Merci beaucoup pour vos paroles de reconnaissance. Monsieur le Sénateur Nègre a mis en exergue l'importance de l'industrie ferroviaire européenne et notre naïveté vis-à-vis des autres grands acteurs mondiaux et en particulier de la Chine. Je ne peux que souscrire à vos propos. Nous avons besoin actuellement de réciprocité. Si nous ouvrons notre marché, il faut que les Chinois ouvrent le leur ! Ni la Chine, ni la Russie n'ont d'intérêt à voir une Europe forte. Elles pratiquent la politique du « divide et impera ». Lorsqu'on considère le marché chinois dans sa globalité, on considère moins le partenaire européen lorsque l'engagement national paraît plus avantageux. Or, nous avons nos chances si nous coopérons ensemble sur ce marché ! Il n'est pas possible que le dumping chinois finisse par détruire notre industrie, en particulier dans le domaine ferroviaire, comme dans d'autres secteurs. Il nous faut être sans cesse plus innovants que les Chinois. Je suis également inquiet, mais je reste convaincu de la nécessité du respect du principe de réciprocité défendu par l'Union européenne et de l'engagement, au niveau international, en faveur de normes économiques ambitieuses.
Nous avons pu mesurer la difficulté d'une telle exigence à l'occasion de la négociation de l'accord économique et commercial global (CETA) et du traité de libre-échange transatlantique (TAFTA). Il y a peut-être eu moins de manifestations en France qu'en Allemagne, mais les citoyens ont la tentation d'associer la mondialisation aux normes de dumping mises en oeuvre par les Chinois. Notre communication ne met en exergue que les risques, et non les chances, de la mondialisation. Avec 1,4 million de jeunes chômeurs, il nous faut être tout particulièrement ambitieux et proactif.
Madame la Sénatrice Keller, nous avons pour ambition commune, avec mon homologue M. Harlem Désir, que l'Europe continue à avancer et à se développer, mais nous sentons bien que l'aptitude au compromis et au consensus s'avère de plus en plus fragile. Il nous est impossible de nous adapter aux souhaits de l'État le plus réfractaire à l'intégration européenne. C'est pourquoi, je refuse une « Europe du noyau », concept apparu en Allemagne dans les années 90 qui me semble véhiculer l'image d'une Europe de la fermeture et selon laquelle quelques États plus unis devanceraient les autres. Je ne souscris pas à ce concept car je suis pour l'ouverture, puisque de nouvelles alliances se font constamment jour dans l'Union européenne comme en témoignent l'examen de la Taxe Tobin ou les débats sur la politique migratoire ou sur le climat. La zone euro a une responsabilité particulière dans ce domaine, car lorsque dix-neuf États partagent la même monnaie, une responsabilité particulière leur échoit. Quels sont les points de convergence envisageables ? Une telle démarche ne consiste pas en une harmonisation de l'État providence. Pourquoi n'arrivons-nous pas à mettre en place des indicateurs qualitatifs obligatoires au niveau européen ?
Je prendrai deux exemples. Lorsque nous nous engageons à employer 3 % de notre produit intérieur brut dans l'éducation et la recherche, tous les partenaires doivent s'y tenir. Lorsque nous nous engageons à respecter un certain salaire minimum au sein de la zone euro et de combattre les salaires trop bas, alors une rémunération minimale doit être instaurée dans chaque État et ce, selon la productivité de telle branche et la situation économique nationale. Ainsi, le salaire minimum de l'Allemagne sera toujours plus haut qu'en Slovaquie ou dans d'autres pays, au moins à moyen terme. Nous avons également besoin de couloirs d'imposition, comme c'est le cas pour la taxe sur la valeur ajoutée puisque les États ne peuvent prélever cette dernière qu'entre 15 et 25 %. Il n'est pas possible que la France taxe ses entreprises à 25 % tandis que d'autres d'États n'exigent que moins de la moitié de ce taux. Il n'est pas non plus possible que, dans le même temps, ces mêmes États reçoivent des financements pour assurer de nouvelles infrastructures, tandis que la France manque d'argent pour financer les siennes ! Ce n'est pas possible et je ne veux pas de cette concurrence qui est déloyale. La zone euro a une responsabilité particulière dans ces trois domaines que je viens de vous exposer.
M. le Sénateur Marie m'a interrogé sur notre perception de l'Italie. Nous avons besoin d'un partenaire important comme l'Italie, qui est signataire du traité de Rome, et c'est pourquoi nous sommes très inquiets quant à l'échec du référendum de Matteo Renzi et la chute à venir du gouvernement italien. En effet, l'Italie est, après l'Allemagne et la France, le pays le plus industrialisé de l'Union européenne. Nous ne pouvons laisser tomber un tel pays et il importe de conserver des relations très étroites avec lui.
Le Brexit est un sujet très important pour le Parlement français. Il n'y aura pas de privilège du Royaume-Uni et je ne peux que vous inviter à négocier à nos côtés. Sans doute les Britanniques tenteront-t-ils de nouer des accords bilatéraux et spéciaux ! Nous avons de l'influence sur notre attitude commune vis-à-vis du Royaume Uni dans le cadre de cette négociation. Notre solidarité devra être telle qu'il n'y aura qu'un seul accord des 27 États membres vis-à-vis d'un pays qui va finir par nous quitter.