Intervention de Susanne Wasum-Rainer

Commission des affaires européennes — Réunion du 4 mars 2015 à 15h05
Institutions européennes — Audition de Mme Susanne Wasum-rainer ambassadeur d'allemagne en france

Susanne Wasum-Rainer :

C'est une joie pour moi d'être votre invitée aujourd'hui et de pouvoir évoquer avec vous le rôle du couple franco-allemand sur le plan européen. J'ai déjà été reçue à plusieurs reprises lors d'auditions du Sénat et de l'Assemblée nationale et elles se sont chaque fois révélées une importante source d'inspiration et d'impulsion. Je me réjouis donc vivement à la perspective de la discussion qui suivra mon exposé. Je suis ambassadeur à Paris depuis trois ans, et travaille au Ministère allemand des affaires étrangères depuis 30 ans où j'ai constaté la relation hors norme entre la France et l'Allemagne. C'est un grand privilège de travailler ici.

Si vous le permettez, je partagerai tout d'abord avec vous quelques réflexions générales sur l'intégration européenne et le rôle du couple franco-allemand dans ce processus. Puis je m'intéresserai à quatre dossiers de politique européenne d'actualité, à savoir :

- l'économie et les finances,

- le climat et l'énergie,

- la sécurité et la lutte contre le terrorisme,

- la politique étrangère et de défense.

Chacun de ces thèmes est assez riche pour faire à lui seul l'objet d'une audition. Je me contenterai donc d'en aborder les grandes lignes mais serai heureuse d'approfondir lors de notre échange.

Dans le flot quotidien des débats, nous perdons parfois de vue l'essentiel en matière de politique européenne. Nous tenons bien trop l'intégration européenne pour acquise. Nous nous acharnons bien trop souvent à critiquer les instruments et les procédures et ne voyons pas les avantages que nous tirons de l'unification européenne. Ce n'est qu'en période de crise que nous prenons conscience du fait que l'Europe n'est pas seulement une communauté économique, mais aussi une communauté de valeurs. Les réactions aux terribles attentats de Paris au début de l'année ont prouvé que l'Europe fait front face à la crise. C'est cet esprit européen que nous devons nous efforcer de préserver au quotidien.

Cela vaut également pour le tandem franco-allemand. On écrit beaucoup sur nos divergences de vues et nos approches différentes vis-à-vis de grandes questions européennes. Je ne nierai pas ces différences. Et je dirai même que si le couple franco-allemand est si important pour l'Europe, c'est précisément parce que ces différences existent. Mais je voudrais aussi souligner que notre coopération est bien plus dense qu'on ne l'imagine souvent. Je pense bien sûr aux remarquables efforts diplomatiques déployés par le président Hollande et la Chancelière Merkel pour désamorcer le conflit en Ukraine ou à l'étroite concertation de nos ministres des Finances. Mais je pense surtout au dialogue franco-allemand quotidien à tous les niveaux administratifs et politiques. Moi qui suis ambassadeur en France depuis près de trois ans maintenant, je continue d'être impressionnée par la diversité et l'intensité de ces échanges, qui échappent souvent au grand public.

Permettez-moi à présent de montrer que le couple franco-allemand joue un rôle absolument central mais aussi que les compromis franco-allemands sont le fruit de processus de concertation parfois laborieux. J'illustrerai mes propos à l'aide de quatre dossiers d'actualité.

Dans les domaines de l'économie et des finances, nos positions initiales sont généralement différentes, en particulier lorsqu'il s'agit de politique économique et financière européenne. Toutefois, les importantes avancées obtenues ces dernières années dans l'approfondissement de l'union économique et monétaire prouvent que les compromis franco-allemands sont souvent porteurs de perspectives prometteuses.

En réponse à la crise de la dette, nous avons mis en place une politique d'assainissement budgétaire, de croissance mais aussi, et j'insiste sur ce point, de solidarité. Ensemble, nous devons maintenir ce cap.

Nous voulons qu'à l'avenir, l'Europe soit en mesure de résister aux crises. Pour cela, nous devons résoudre les faiblesses structurelles de l'euro et doter notre union monétaire d'une coopération plus étroite en matière de politique économique, financière et budgétaire.

Dans un marché commun avec une monnaie commune, on ne peut plus permettre que chacun n'en fasse qu'à sa guise. Nous devons davantage nous percevoir comme les éléments d'un ensemble plus vaste. L'euro, notre monnaie commune, lie étroitement nos économies. C'est ce qui explique l'intérêt que les responsables politiques allemands portent par exemple à la politique budgétaire de la France. Ou l'intérêt des responsables politiques français pour la politique d'investissement de l'Allemagne. Le gouvernement fédéral se félicite vivement des mesures prises par le gouvernement français afin de soutenir les entreprises.

Le ministre des finances allemand, Wolfgang Schäuble, a présenté pour 2015 un budget à l'équilibre pour la première fois en plus de 30 ans. L'Allemagne n'entend pas contracter de nouvelle dette en 2015. Nous sommes convaincus que pour assurer l'avenir de nos enfants, nous devons avoir un rapport responsable à l'endettement. Et ce n'est absolument pas contradictoire avec une politique d'investissement raisonnable destinée à stimuler la croissance. Ainsi, Monsieur Schäuble a annoncé des investissements supplémentaires à hauteur de 15 milliards d'euros sur les trois prochaines années. La France, et parfois d'autres pays, appelle souvent l'Allemagne à investir davantage et à utiliser ses marges de manoeuvre budgétaires pour stimuler la croissance en Europe.

Le gouvernement fédéral considère toutefois que les dépenses publiques ne sont pas adaptées pour créer une croissance durable. Seuls l'activité du secteur privé et les investissements privés peuvent générer cette croissance. Un État ne peut pas augmenter ses dépenses à crédit pour relancer son économie à court terme, ce n'est pas viable. L'Allemagne estime que l'État devrait avoir pour priorité de créer des conditions favorables incitant les investisseurs privés et les entreprises à investir et à embaucher. La confiance est un élément clé à cet égard. Et des finances publiques saines sont essentielles pour instaurer cette confiance.

J'aimerais à présent dire quelques mots à propos de la Grèce. Le gouvernement fédéral et ses partenaires européens ont d'emblée opté pour une politique de stabilisation et de consolidation de la zone euro avec tous ses membres, y compris la Grèce bien entendu. Dans la lutte contre cette crise, les pays européens ont dès le début fait preuve d'une immense solidarité et apporté une aide considérable à leurs partenaires en difficulté.

Tout comme la France, l'Allemagne a largement contribué à cette aide. En contrepartie, les pays en difficulté devaient consentir de vastes efforts et mener des réformes de grande ampleur. On peut résumer ce principe par « une aide extérieure en échange d'efforts venant de l'intérieur ». Cela a toujours été et reste le fondement de la coopération dans la zone euro.

Nous saluons par conséquent le compromis qui vient d'être trouvé avec le gouvernement grec. Les négociations ont abouti à un résultat essentiel: La Grèce s'est engagée à ne pas faire cavalier seul et a réaffirmé sa volonté d'honorer en temps voulu l'intégralité de ses engagements financiers envers ses créanciers. Dans le même temps, nos partenaires européens ont promis de rester solidaires avec la Grèce. C'est un signal important, notamment vis-à-vis des marchés financiers.

J'en viens à présent au deuxième grand enjeu européen que je souhaite aborder ici : la politique climatique et énergétique. Il y a quelques semaines, le président Hollande a annoncé qu'il faisait de la réussite de la COP21 en France une priorité. L'Allemagne entend faire tout ce qui est en son pouvoir pour contribuer au succès de cette conférence sur le climat. À cette fin, la Chancelière a placé cette thématique en tête de l'agenda du G7 dans le cadre de sa présidence. Ainsi, la lutte contre le changement climatique figurera à l'ordre du jour de la rencontre des ministres des Affaires étrangères du G7 en avril et du sommet de juin.

À l'instar du gouvernement français, le gouvernement fédéral estime que la politique climatique et la politique énergétique sont indissociables. Nous pensons que le projet d'union de l'énergie ne doit pas amener les États membres de l'Union européenne à se croire dispensés de faire le nécessaire pour diversifier leur approvisionnement énergétique et « décarboner leur énergie ».

L'une des priorités est la construction d'une union de l'énergie dotée d'une politique visionnaire en matière de climat. Ce projet comprendra cinq grands axes : le marché intérieur, la sécurité énergétique, l'évolution technologique, l'efficacité énergétique et la « décarbonisation ». Il serait souhaitable d'intensifier la coopération, en particulier entre la France et l'Allemagne, en matière de développement des réseaux et de technologies de stockage. Le Conseil des ministres franco-allemand à la fin du mois portera ainsi notamment sur la politique climatique et énergétique.

S'agissant à présent de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme, le Conseil des ministres franco-allemand s'intéressera également aux enseignements que nous pouvons tirer des tragiques attentats à Paris et Copenhague. Les réactions de l'Union européenne ont pour l'instant lancé un signal qui va dans le bon sens. Sans tomber dans un zèle interventionniste, il faut définir des mesures concrètes et cohérentes pour se protéger des dangers terroristes et garantir la liberté et la sécurité en Europe. Nous plaidons pour une mise en oeuvre rapide des stratégies et plans d'action européens conçus dans ce but. Ils comprennent notamment l'introduction dans les meilleurs délais d'un système européen permettant de contrôler les données des passagers du transport aérien (PNR) tout en garantissant une protection efficace des données personnelles.

Sous notre présidence du G7, nous nous consacrerons également avec énergie à la question des combattants étrangers et à la lutte contre le financement du terrorisme.

Pour conclure, j'aimerais revenir brièvement sur la coopération franco-allemande en politique étrangère. Dans ce domaine, l'année 2014 a été particulièrement difficile et aucun d'entre nous ne peut sérieusement croire que l'année 2015 sera moins éprouvante. En 2014, l'ordre de paix européen que nous avions construit ensemble au fil de nombreuses années a temporairement pris fin avec la violente remise en cause de frontières en Europe. 25 ans après la chute du Mur de Berlin, des réflexes datant de la Guerre froide que l'on pensait oubliés depuis longtemps ont ressurgi. Les efforts diplomatiques communs de François Hollande et Angela Merkel ont été déterminants pour le règlement du conflit en Ukraine auquel sont parvenues les différentes parties le 12 février à Minsk et que nous espérons durable. Ils ont aussi montré ce que nos deux pays peuvent accomplir sur la scène internationale lorsqu'ils agissent dans le même sens et mettent tous deux leur poids dans la balance, en véritable tandem. L'enjeu sera désormais de maintenir durablement le cessez-le-feu et de s'assurer que les éléments convenus à Minsk soient mis en oeuvre point par point.

Le dialogue à ce sujet s'est poursuivi lors de la dernière réunion des ministres des Affaires étrangères français, allemand, russe et ukrainien le 24 février à Paris. L'Allemagne et la France entendent maintenir leurs efforts conjoints au « format Normandie » en vue de la stabilisation d'une situation qui reste fragile et de la résolution d'un conflit qui a fait plus de 6 000 victimes.

La terreur inhumaine semée par Daech au Moyen-Orient nous montre clairement à quel point les acteurs non-étatiques jouent un rôle de plus en plus important dans la politique internationale et ce dont ils sont capables, ne se sentant aucunement soumis au droit international ou tenus de respecter les droits de l'homme.

Depuis des décennies, nous n'avions pas connu une année avec autant de crises internationales de natures aussi différentes et en autant de lieux dans le monde. Aux crises que j'ai déjà évoquées, j'ajouterai simplement le Proche-Orient, Ebola et la Syrie. La diplomatie joue un rôle crucial. Elle est sollicitée comme rarement auparavant. L'action commune de la France et de l'Allemagne en lien avec nos partenaires européens n'en est que plus importante.

Notre ministre, Frank-Walter Steinmeier, mène actuellement au sein du ministère des Affaires étrangères un processus de réflexion sur la politique étrangère allemande. Que pouvons-nous et voulons-nous faire autrement, et surtout plus efficacement ? Qu'attendent de nous nos partenaires ? Et en particulier la France ? De quels moyens et instruments disposons-nous ? Dans le cadre d'un processus de dialogue élargi, nous avons constaté que nos partenaires, notamment la France, attendent de l'Allemagne une présence encore plus engagée et plus active sur la scène diplomatique internationale.

La population allemande a déjà été interrogée lors d'une grande enquête dont les résultats ne correspondent peut-être pas à vos attentes envers la politique étrangère allemande : 37 % des Allemands seulement sont favorables à une plus large participation de l'Allemagne à des opérations militaires internationales, et 60 % s'y opposent. Les citoyens allemands sont particulièrement réticents devant l'engagement militaire : 82 % d'entre eux souhaitent que la Bundeswehr réduise sa participation à des missions à l'étranger. Vous imaginez bien la difficulté pour les responsables allemands chargés de la politique étrangère qui sont tiraillés entre les attentes de nos partenaires et des considérations de politique intérieure. Le déroulement des négociations du cessez-le-feu en Ukraine a montré combien l'Allemagne prend sa responsabilité internationale et européenne au sérieux.

Notre engagement international ne date d'ailleurs pas d'hier : l'Allemagne est, devant la France, le troisième plus grand contributeur au budget des Nations Unies, et, toujours devant la France, le troisième donateur d'aide internationale au développement. Actuellement, l'Allemagne compte 2 600 hommes engagés dans des missions internationales, notamment au Mali, ainsi que 850 soldats en Afghanistan. Elle est aussi le quatrième contributeur aux opérations de maintien de la paix des Nations unies. Comme vous le savez, la participation des forces armées allemandes à des opérations extérieures est toutefois impossible sans l'aval du parlement, qui exige généralement un mandat des Nations unies, de l'Union européenne ou de l'OTAN.

Contrairement à la France, l'Allemagne n'est pas une démocratie présidentielle. En dépit de ces différences, la coopération franco-allemande fonctionne bien également dans le domaine de la politique de sécurité et de défense commune. Avec la lettre commune de nos ministres des affaires étrangères et de la défense en juillet 2013, nos deux pays ont beaucoup pesé dans les résultats du Conseil européen de décembre 2013. Depuis lors, ils ont suivi de près la suite donnée à leurs propositions. Récemment encore, nos deux gouvernements ont convenu d'apporter une nouvelle contribution au processus de discussion européen en présentant une autre lettre commune signée par nos ministres en amont du prochain Conseil européen de juin 2015.

Je terminerai sur cette perspective du Conseil européen de juin. Je me tiens maintenant à votre disposition pour réagir à vos commentaires et questions sur les quatre thèmes que j'ai abordés ou sur tout autre sujet dont vous souhaiteriez débattre avec moi.

Je vous remercie !

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