Intervention de Pierre Sellal

Commission des affaires européennes — Réunion du 7 juillet 2016 à 8h30
Institutions européennes — Audition de M. Pierre Sellal ambassadeur représentant permanent de la france auprès de l'union européenne

Pierre Sellal, représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne :

Plutôt lamassourien... L'idée était d'indiquer que l'appartenance à l'Union résultait d'un choix volontaire, que nul ne pouvait être contraint de rester dans l'Union contre son gré. Ce choix politique s'est traduit par un paradoxe apparent, puisque le règlement de divorce peut faire l'objet d'un vote à majorité qualifiée alors qu'il faut l'unanimité pour être intégré ! Le veto d'un seul État membre ne peut suffire à contraindre un autre État à rester contre son gré. L'article 50 a l'avantage de procurer un cadre et une procédure ordonnés pour organiser la sortie d'un État membre de l'Union européenne.

Dans le cas du Royaume-Uni, il nous faut engager cette procédure le plus rapidement possible, car tout retard serait préjudiciable aux intérêts économiques tant britanniques qu'européens, comme le montrent les récentes fluctuations des marchés. Il ne s'agit pas de bouter les Anglais hors du continent et nous devons nous garder d'un langage à caractère trop punitif. L'intérêt partagé et le devoir de solidarité entre les États membres, voilà les arguments qu'il nous faut avancer. L'accord de février était un effort de solidarité destiné à faciliter la campagne référendaire de M. Cameron. Nous attendons que le Royaume-Uni nous rende la pareille en cessant de tergiverser.

Pour autant, l'article 50 repose sur l'initiative de l'État membre qui souhaite se retirer. Par conséquent, nous devons attendre que le Premier ministre britannique formalise le souhait de son pays de quitter l'Union européenne par un courrier ou une déclaration claire devant le Conseil européen. Un débat s'est ouvert au Royaume-Uni pour savoir si cette décision de notification relevait du gouvernement ou appelait un vote de la Chambre des Communes. La majorité des juristes à Londres considèrent qu'il n'est pas besoin d'un vote des Communes pour lancer la procédure, car il s'agit d'ouvrir une négociation, pas de signer l'acte juridique qui marque le retrait. Encore faudrait-il qu'il y ait un Premier ministre. David Cameron est démissionnaire et la situation politique est extrêmement confuse. Le parti conservateur devrait avoir fait son choix à échéance des 8 ou 9 septembre, souhaitons que l'incertitude soit levée le plus vite possible.

Les conservateurs et leur favorite, Mme May, manquent d'un plan B qui définisse des objectifs et un nouveau statut à proposer aux partenaires européens. La campagne du Remain s'est surtout construite sur des arguments négatifs qui démontaient les statuts intermédiaires envisagés pour éviter le Brexit. Que ce soit les conservateurs ou les travaillistes, aucun n'est capable de définir les relations à nouer avec l'Union européenne.

Dans cette incertitude, l'engagement de la procédure de l'article 50 est perçu par les Britanniques comme un compte à rebours, car le texte prévoit un délai de deux ans à partir de la notification de sortie de l'Union pour trouver un accord sur les modalités du divorce. À défaut d'un accord, le droit de l'Union européenne cessera automatiquement de s'appliquer, sauf accord unanime des États membres pour prolonger la négociation et ce délai de 2 ans. Le risque est loin d'être négligeable pour le Royaume-Uni. Voilà pourquoi le gouvernement britannique hésite, renvoie, louvoie. Ce n'est pas seulement par esprit dilatoire ; c'est aussi parce que la réalité politique est complexe.

Notre intérêt partagé est d'aller vite. Sachons convaincre les Britanniques, en affirmant clairement qu'il n'y aura aucun contact préalable, ni aucune négociation formelle sur le futur statut du Royaume-Uni avant l'engagement de la procédure. Nos amis britanniques ont un certain talent pour courtiser de potentiels alliés. Évitons d'être naïfs et ne les laissons pas rompre l'unité des 27. De plus, tant que la procédure n'est pas engagée, le Royaume-Uni reste pleinement un État membre, avec les droits et les obligations qui lui incombent. C'est une situation difficile à tenir pour le gouvernement britannique, qui aura du mal à justifier dans la durée que le pays continue à contribuer au budget européen ou à faire l'objet de procédures d'infraction de la part de la Commission européenne. Enfin, il y a la pression des marchés, les décisions d'investissements retardées, les délocalisations qui menacent...

Une fois que la notification aura été prononcée, il appartiendra au Conseil européen de fixer le cadre de la négociation du règlement de séparation, à l'unanimité. Ce n'est que dans un deuxième temps qu'il faudra organiser le statut futur du Royaume-Uni, qui sera un statut d'État tiers qui ne participera plus aux décisions européennes. Il faudra aussi réaffirmer le caractère indissociable des quatre libertés de circulation des biens, des prestations de services, des personnes et des capitaux, principes qui ont été rappelés dans la déclaration des 27 adoptée au lendemain du Conseil européen (à 28) le 29 juin, à l'initiative d'ailleurs du Premier ministre de Malte. Enfin, nous devrons également inscrire un principe général de bonne coopération avec un pays qui restera un partenaire essentiel de l'Europe.

L'article 50 opère une distinction entre le règlement de divorce et la définition du statut futur qui ne pourra être conclu qu'une fois que la sortie du Royaume-Uni sera effective et selon une procédure différente. Néanmoins, il est précisé que le règlement de divorce devra être conçu en tenant compte de ce que sera le statut futur du Royaume-Uni par rapport à l'Union. Dans le cas où le Royaume-Uni n'entretiendrait plus que des relations juridiques minimales avec l'Union européenne, le règlement de divorce organisera la cessation complète de l'application du droit européen, avec sans doute l'aménagement de certaines périodes de transition. Dans le cas de relations plus développées et plus proches qui reprendraient la quasi-totalité du droit européen, le règlement de divorce organisera surtout des passerelles entre la situation actuelle et celle où le pays continuerait à appliquer ce droit, mais sans participer à son développement.

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