Intervention de Pierre Sellal

Commission des affaires européennes — Réunion du 7 juillet 2016 à 8h30
Institutions européennes — Audition de M. Pierre Sellal ambassadeur représentant permanent de la france auprès de l'union européenne

Pierre Sellal, représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne :

Mais le Royaume-Uni peut-il accepter une telle solution ? Sans compter que pour accéder au marché intérieur, il devrait d'abord rejoindre l'Association européenne de libre-échange (AELE) - aux côtés de la Norvège, de l'Islande et du Liechtenstein - puis intégrer l'espace économique européen. C'est peu gratifiant, et la Norvège elle-même n'est pas favorable à une arrivée du Royaume-Uni qui déséquilibrerait l'AELE. Ajoutons que la Norvège fait partie de l'espace Schengen. Il serait pour le moins paradoxal que le référendum conduise le Royaume-Uni à le rejoindre...

Autre formule, le système suisse, plus respectueux de la souveraineté nationale, qui repose sur une série d'accords bilatéraux - plus d'une centaine - avec l'Union européenne. Compte tenu de l'imbrication encore plus forte des relations entre le Royaume-Uni et l'Union, fruit de 43 ans de vie commune, une telle solution impliquerait encore davantage de complexité, de lourdeur, et une gouvernance difficile. Du reste, une négociation est en cours avec la Suisse pour revoir ce système assez défectueux. L'un des enjeux est l'interdépendance entre les accords et les obligations afférentes. Ainsi, la clause dite « guillotine » prévoit une remise en cause d'autres accords en cas de manquement à l'un d'entre eux - une situation qui s'est produite lors du référendum suisse remettant en cause la libre circulation des personnes. Il faudrait imaginer une disposition analogue avec le Royaume-Uni, ce qui semble difficile.

Enfin, une relation sur le modèle de l'accord transatlantique que l'Union européenne a passé avec le Canada crée des liens économiques et juridiques mais reste en deçà de ce qu'attend le Royaume-Uni, en particulier pour les services financiers : ce modèle ne prévoit pas l'équivalent d'un passeport européen.

Au Royaume-Uni de choisir, d'arbitrer entre l'intérêt économique et la limitation de souveraineté et de nous soumettre ses propositions. Une chose est sûre, la solution trouvée sera moins satisfaisante que la situation d'État membre. Malheureusement, la campagne du Remain n'a pas réussi à le montrer. Un État membre a un commissaire européen, un siège au Conseil européen, des parlementaires et un juge à la Cour de justice de l'Union européenne. Pas un État tiers.

Avec nos partenaires, nous devrons être fermes dans la défense de nos intérêts. Rien ne serait pire qu'un accès maintenu au marché européen pour les entreprises britanniques, sans la pleine application des règles du droit de l'Union, ce qui sera le cas si le passeport européen ne s'accompagne pas d'une régulation européenne garantissant des conditions de concurrence égale aux entreprises de l'Union européenne. La France et la majorité de nos partenaires refusent également la logique du pick and choose, consistant pour le Royaume-Uni à choisir ce qui l'intéresse dans l'Union européenne : une participation pleine et entière au marché intérieur et aux services, assortie de contraintes moindres sur la circulation des personnes, d'une exonération de toute participation à la politique de cohésion et à la PAC. Si nous acceptons cela, il n'y aura plus d'Europe, parce que d'autres pays réclameront des avantages analogues.

La France doit cependant se rappeler les échanges économiques, les relations stratégiques, les intérêts croisés en matière de défense, la proximité géographique qui justifient le maintien de liens étroits sur le plan bilatéral et d'un cadre européen favorable à nos relations. Au seul point de vue économique, le Royaume-Uni est le premier poste d'excédent commercial de la France.

Il convient que la sortie se déroule dans une unité aussi grande que possible des 27 - le Président a insisté sur ce point - et dans la transparence. Les négociations doivent être conduites dans le cadre strict de l'article 50, pour éviter les débauchages, les compromis particuliers, les échanges singuliers d'avantages.

Le Conseil européen de la semaine dernière s'est déroulé en trois temps : la réunion proprement dite du Conseil, le dîner consacré à la question britannique et, le lendemain, la réunion à 27. Il serait erroné d'ignorer, en considérant que seul le Royaume-Uni est concerné, que ce référendum reflète une insatisfaction de beaucoup de nos concitoyens à l'égard du fonctionnement de l'Union. Deux messages qui peuvent sembler contradictoires ont émergé de la réunion : l'Europe ne s'arrête pas, les politiques communes ne sont pas suspendues et nous allons de l'avant dans le cadre de l'agenda stratégique défini il y a deux ans ; mais rien ne serait pire que le business as usual, privilégier la continuité sans tenir compte du message délivré par le référendum.

Deux thèmes orientent la réflexion des 27 : le recentrage et les résultats. L'action européenne doit être focalisée, concentrée et plus visible sur les priorités que sont la sécurité, attente principale des Français, la protection, l'emploi, avec une attention particulière pour la jeunesse qui, dans sa majorité, a voté pour le Remain. Ensuite, l'Union européenne doit délivrer des résultats visibles, concrétisés dans des indicateurs. Nourrir cette réflexion et la concrétiser, c'est le programme de l'été...

Une illustration de l'ampleur de la tâche qui attend le Royaume-Uni : en quittant l'Union européenne, il sort des 54 accords commerciaux en vigueur entre l'Union et les pays tiers : il devra ainsi renégocier chacun d'entre eux de manière bilatérale. Or le commerce extérieur est, historiquement, la première compétence de l'Union européenne qui, depuis plus de quarante ans, conduit les négociations commerciales au nom des Etats membres. Ces derniers ont par conséquent perdu ces capacités qu'il faudra recréer au niveau national. C'est le cas dans d'autres domaines comme la réglementation des produits pharmaceutiques ou du transport aérien. Voilà sans nul doute un fort gisement d'emplois ! Symétriquement, les fonctionnaires britanniques à Bruxelles s'interrogent sur leur avenir.

De notre côté, nous préparons avec notre partenaire allemand des propositions et des initiatives dans la perspective de la réunion du 16 septembre.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion