Vingt ans après leur accession à l'indépendance et sept ans après leur double adhésion à l'Union européenne et à l'OTAN, la Lettonie et la Lituanie traversent une crise économique sans précédent et tentent, dans le même temps, de répondre aux défis, tant politiques qu'économiques, qu'impose leur enclavement énergétique.
Je m'attarderai dans un premier temps sur les conséquences de la crise économique dans ces deux pays.
Les années de croissance effrénée qu'ont connues la Lettonie et la Lituanie - 10 % en moyenne pour la Lettonie entre 2004 et 2007, 8 % pour la Lituanie sur la même période - semblent en effet révolues. Ces deux pays ont connu une crise d'une ampleur inégalée en 2008, marquée par un effondrement de la croissance et une augmentation exponentielle du chômage.
Cette situation contraste avec les années précédentes, durant lesquelles ces deux « tigres » baltes étaient considérés comme les bons élèves de l'Union européenne, alliant dynamisme économique et discipline budgétaire. La croissance économique est alors le résultat de la combinaison de plusieurs facteurs reliant compétitivité de la main d'oeuvre locale, attractivité du territoire, dérégulation bancaire et fiscalité avantageuse. Les deux pays ont, par ailleurs, arrimé leur monnaie à l'euro dès le début des années quatre-vingt-dix et renforcé leur ouverture internationale, notamment en ce qui concerne le secteur bancaire letton.
L'augmentation des salaires, près de 20 % en moyenne annuelle entre 2004 et 2007, a permis une augmentation importante de la consommation et facilité une inflation record - 15 % en 2008 en Lettonie, 11 % en Lituanie - comme en témoigne l'apparition d'une bulle immobilière en Lettonie, où les prix dans ce secteur augmentent de 60 % entre 2006 et 2007.
La crise économique mondiale est venue exacerber la surchauffe des économies, provoquant au sein des deux pays une contraction de l'activité inédite : - 18% en Lettonie en 2009, - 14,7 % en Lituanie, doublée d'une explosion du taux de chômage : 14,5 % fin 2010 en Lettonie, 17,4 % chez le voisin lituanien. L'ouverture accélérée des économies locales en vue de rattraper le niveau de vie moyen des pays européens a clairement montré ses limites, les deux pays demeurant largement tributaires du dynamisme des marchés voisins.
Par ailleurs, l'arrimage des monnaies locales à l'euro a interdit aux gouvernements locaux le recours à une dévaluation compétitive, ne laissant d'autre choix que des politiques d'ajustement sévères pour la population.
La rigueur préconisée en Lituanie est ciblée et vise avant tout à restaurer la compétitivité de l'économie. Afin de répondre à ses engagements européens, les mesures adoptées par le gouvernement chrétien-conservateur élu en 2008 se traduisent par une réduction sévère des dépenses publiques, matérialisée par une baisse des salaires - y compris ceux des dirigeants, la présidente de la république voit ainsi sa rémunération amputée de 45 % - mais aussi des pensions et une augmentation des recettes fiscales pesant sur la consommation. L'ambition des autorités locales est de permettre un retour à la croissance par le biais des exportations et non par la demande interne, une augmentation du PIB de 3,3 % étant escomptée pour l'année 2011.
La crise économique a débouché en Lettonie sur une crise bancaire nécessitant une aide financière internationale de 7,5 milliards d'euros versée par l'Union européenne, le Fonds monétaire international et les voisins scandinaves fin 2008. Celle-ci est corrélée à l'adoption par Riga d'un vaste plan de rigueur. Les salaires dans le secteur public sont ainsi abaissés de 30 %, 10 % des écoles sont fermées, les ministères voyant leurs crédits diminués de 20 à 40 %. Cette rigueur porte aujourd'hui ses fruits, le gouvernement ne devrait ainsi utiliser que 5 milliards d'euros sur les 7,5 accordés. Une croissance du PIB de 3,3 % est attendue au cours du présent exercice, le gouvernement poursuivant cependant ses efforts comme en témoigne l'adoption de nouvelles hausses d'impôts.
Les plans de rigueur mis en oeuvre ont d'abord pour objectif de restaurer la compétitivité des économies lettone et lituanienne, mais visent également l'intégration dans la zone euro à l'horizon 2014. Si les déficits publics devraient passer, d'ici le 31 décembre 2012, en dessous de la barre des 3 % du PIB, la Lituanie comme la Lettonie sont confrontées à un retour de l'inflation. Il convient, en outre, de s'interroger sur l'ampleur des réformes restant à mener en ce qui concerne les régimes sociaux ou l'économie dite « grise ». Enfin, les mesures de consolidations budgétaires ont un coût social et politique indéniable, qui tend à fragiliser le consensus politique autour d'une adoption de l'euro d'ici deux ans.
Venons-en, dans un deuxième temps, à la question du désenclavement énergétique et de façon plus générale aux relations qu'entretiennent ces deux pays avec l'Union européenne et la Russie. Je serais tenté de dire que c'est cette relation avec Moscou qui détermine, dans une large partie, la politique européenne de la Lettonie et de la Lituanie.
Mue par le souvenir douloureux de l'occupation soviétique, l'intégration simultanée à l'Union européenne et à l'OTAN marquait, de la part des États baltes, un souhait manifeste de s'affranchir durablement de l'influence du voisin russe et rompre ainsi avec la tutelle qu'il tente encore d'exercer sur les anciennes républiques soviétiques. Le conflit entre la Géorgie et la Russie en août 2008 est venu, aux yeux des gouvernements locaux, donner raison à cette stratégie.
Cette logique, se heurte néanmoins à une double réalité : le partenariat économique que la Lituanie comme la Lettonie ont noué avec Moscou et la dépendance énergétique de ces pays à l'égard de la Russie. En outre, 30 % de la population lettone est d'origine russe. L'intégration de cette minorité est, d'ailleurs, source de crispations avec Moscou. L'émanation politique des russophones, le Centre de la concorde, constitue la deuxième formation du pays. Le rapprochement progressif de Moscou avec les structures européennes et atlantiques tempèrent cependant toute opposition frontale.
En effet, si le souci de se prémunir contre la puissance militaire, politique et énergétique de Moscou demeure une constante des politiques extérieures lettone et lituanienne, il n'existe aucune objection aux partenariats noués entre la Russie, l'Union européenne et l'OTAN. Les assurances obtenues en matière militaire de la part de l'Alliance atlantique suite à la guerre entre la Géorgie et la Russie comme le souhait réitéré à plusieurs reprises par l'Union européenne de parvenir au désenclavement énergétique des pays baltes à l'horizon 2015 facilitent cet assouplissement des positions. La participation des États baltes aux côtés de la Russie au projet de dimension septentrionale de l'Union européenne, sorte de partenariat euro-méditerranéen nordique, illustre cette volonté de dialogue.
La Russie demeure, par ailleurs, le premier partenaire commercial de la Lettonie et de la Lituanie. Cette relation privilégiée n'est pas uniquement liée à la dépendance énergétique de ces deux États à l'égard de la Russie. Le voisin russe concentrait ainsi en 2010 plus de 15 % des exportations lituaniennes et lettones. La Russie reste, par ailleurs, un investisseur important au sein de ces deux pays. La Lettonie est, ainsi, largement exposée aux capitaux russes. 403 millions d'euros ont ainsi été investis par les Russes en 2010 dans les secteurs de l'énergie, des transports, bancaire ou immobilier. Une large partie des investissements chypriotes en Lettonie sont, de surcroît, d'origine russe, les capitaux transitant en effet par cette île. A cet égard, Chypre est le huitième investisseur étranger en Lettonie en 2010 avec près de 377 millions d'euros.
La Lituanie enregistre également ces dernières années une forte progression des investissements russes sur son sol, Moscou détenant, au 1er janvier 2010, 6,5 % du stock d'investissements directs, soit 623 millions d'euros.
Les deux pays jouent par ailleurs un rôle indéniable en ce qui concerne le transit vers la Russie d'un certain nombre de produits et inversement. Les ports de Klaïpeda en Lituanie et ceux de Ventspils, Riga et Liepaja en Lettonie jouent à plein leur rôle d'interface vers la Russie. Riga comme Vilnius entendent par ailleurs renforcer leurs connexions avec le voisin russe en vue de mettre en place une nouvelle route de la soie, ferrée, à destination de l'Asie centrale.
A la relation économique, s'ajoute une réelle dépendance énergétique de la Lettonie et de la Lituanie à l'égard de la Russie. La fermeture de la centrale nucléaire d'Ignalina en Lituanie en 2009, imposée par l'Union européenne a renforcé la dépendance énergétique des pays baltes à l'égard de la Russie. Vilnius s'était engagée lors des négociations d'adhésion à fermer ce site en raison de sa dangerosité, les installations étant de type Tchernobyl.
Cette dépendance énergétique s'explique principalement par l'absence de ressources suffisantes dans les sous-sols de la région. Par ailleurs, le réseau énergétique qui maille, à l'heure actuelle, les territoires baltes est issu de l'époque soviétique et renforce l'interdépendance avec la Russie et ses anciennes républiques. L'approvisionnement énergétique dépend en conséquence quasi exclusivement des oléoducs et gazoducs russes, la Lettonie et la Lituanie ne disposant pas de réelle connexion en la matière avec les réseaux européens. Au-delà du gaz et des hydrocarbures, Vilnius et Riga sont également connectés au réseau russe d'électricité, le réseau UPS. La notion d'île énergétique prend de fait tout son sens en ce qui concerne les pays baltes tant ils semblent isolés du réseau européen. Cette insularité est renforcée par la forte présence des entreprises russes sur le marché énergétique local, notamment celle de Gazprom.
Cette dépendance énergétique n'est pas sans conséquence sur les relations entre Moscou et les États baltes, ni sans incidence économique. Une prise de distance des États baltes se traduit inévitablement par une hausse de la facture énergétique pour Vilnius et Riga. A cette influence directe sur le prix de l'énergie, s'ajoute la capacité de nuisance de Moscou, qui s'efforce, en particulier, de contrarier le projet de centrale nucléaire régionale de Vigasinas (Lituanie), destinée à approvisionner les pays baltes et la Pologne. La mise en oeuvre d'un projet semblable, sans garantie environnementale, dans l'enclave russe de Kaliningrad en est un signe tangible.
Les conclusions du Conseil européen du 4 février dernier témoignent d'une réelle implication de l'Union européenne dans le désenclavement énergétique des pays baltes. Aux termes de celles-ci, aucun État membre de l'Union européenne ne devrait, en effet, demeurer à l'écart des réseaux européens d'électricité et de gaz au-delà de 2015, ni voir sa sécurité énergétique menacée par le manque de connexions appropriées. Des projets d'infrastructures seraient ainsi financés à hauteur de 500 millions d'euros par l'Union européenne.
Le financement européen devra néanmoins être ciblé tant les autorités lettones et lituaniennes sont en concurrence sur les projets de centrale nucléaire et de terminal de gaz naturel liquéfié. Il est indispensable que l'Union européenne encourage la complémentarité entre les deux pays, la Lituanie ayant une expérience certaine en ce qui concerne le nucléaire, la Lettonie disposant d'infrastructures adaptées pour le stockage du gaz naturel liquéfié. L'Union doit cesser d'apparaître comme un guichet ouvert dans la région, destiné à combler, au cas par cas, des problèmes de financement.
Au-delà de la question énergétique, il convient de relever l'importance des financements européens dans les économies locales. La Lituanie devrait ainsi percevoir près de 8,58 milliards d'euros au titre des fonds européens pour la période 2007-2013. La Lettonie recevra quant à elle 5,706 milliards d'euros au cours de la même période. Ces montants sont proches des budgets annuels des deux États. La manne financière de l'Union européenne est donc une opportunité indéniable pour ces deux pays en vue de poursuivre la modernisation de leurs infrastructures et parer, de la sorte, à l'insuffisance de leurs ressources budgétaires.
L'implication des deux États dans les dossiers financiers contraste avec leur relative timidité dans les autres domaines communautaires. L'Union européenne demeure avant tout un biais pour une modernisation des structures économiques voire sociales de chacun des deux pays avant d'être un véritable projet politique.
L'adhésion à l'Union européenne est, pour les Lettons comme pour les Lituaniens, un élément d'affirmation voire d'opposition face à l'ancien tuteur russe. Elle n'implique pas, pour autant, un renforcement de la solidarité locale. Seul le partenariat oriental de l'Union européenne suscite une adhésion certaine, tant il est envisagé comme un moyen de tempérer l'influence russe dans la région. Le renforcement de l'implication des pays baltes dans ce partenariat me paraît très souhaitable. S'il apparait difficile, pour des raisons historiques, de combler le déficit d'image que l'Union européenne enregistre dans le domaine militaire, par rapport aux États-Unis, il est néanmoins indispensable d'associer un peu plus les pays baltes, et en particulier la Lituanie, dans la gestion du partenariat oriental, afin de bénéficier de leur expertise dans ce domaine.