Intervention de Michel Delebarre

Commission des affaires européennes — Réunion du 21 décembre 2011 : 1ère réunion
Réforme de la politique de cohésion proposition de résolution de m. michel delebarre

Photo de Michel DelebarreMichel Delebarre :

La Commission européenne a proposé, en parallèle des négociations sur le prochain cadre financier pluriannuel, de réformer les grandes politiques de l'Union européenne.

Pour la politique de cohésion, elle a publié un paquet législatif de six textes : une proposition de règlement général concernant les cinq fonds en gestion partagée - FEDER, FSE, fonds de cohésion, FEADER et FEAMP (Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche) ; trois propositions de règlement sur chacun des fonds relevant de la cohésion - FEDER, FSE, fonds de cohésion ; et, enfin, deux textes consacrés à la coopération territoriale.

Notre commission avait déjà brossé à grands traits la nouvelle politique de cohésion qu'elle appelait de ses voeux en adoptant le rapport que vous aviez présenté avec Yann Gaillard, monsieur le Président, puis une proposition de résolution européenne devenue résolution du Sénat le 3 juin 2011. La réforme, qui reprend les pistes du 5ème rapport de la Commission européenne sur la cohésion de novembre 2010, répond globalement, sans le satisfaire pleinement, à notre triple souci d'une politique de cohésion plus équitable, plus efficace et plus simple.

Sur l'équité, d'abord, nous pouvons nous féliciter du rééquilibrage que propose la Commission : elle maintient la solidarité entre régions européennes comme principe fondamental, mais prend les moyens d'éviter une explosion des soldes nets des États membres. Elle abaisserait ainsi le plafond des transferts aux États membres à 2,5 % du PIB, plafond actuellement compris entre 3,23 à 3,78 % du PIB depuis 2006. De fait, le rattrapage opéré par les nouveaux États membres ne justifie plus un tel niveau de crédits que ces États peinaient, en tout état de cause, à consommer.

Elle créerait également une catégorie de régions « en transition », regroupant l'ensemble des régions dont le PIB est compris entre 75 et 90 % de la moyenne communautaire. L'idée est de coller davantage à la réalité du terrain pour traiter de manière identique des régions à niveau de richesse équivalent : une région dont le PIB revient de 78 à 76 % de la moyenne communautaire reçoit aujourd'hui moins qu'une autre dont le PIB a augmenté de 74 à 76%. Seraient consacrés à ces régions « en transition » 10 % du budget total de la politique de cohésion, 70 % des fonds continuant d'aller aux régions les moins prospères. Dix de nos régions métropolitaines bénéficieraient de cette avancée. Se concrétiserait ainsi la dimension territoriale de la politique de cohésion qu'a consacrée le traité de Lisbonne. Enfin, un filet de sécurité reste prévu pour les régions sortant de l'objectif de convergence ; elles seront garanties de conserver au moins les deux tiers de leur dotation actuelle.

L'équité commande aussi de tenir compte des spécificités géographiques des régions ultrapériphériques. Quatre départements d'outre-mer français resteraient éligibles à l'objectif « convergence » en 2014 : la Martinique, qui bascule dans les régions en transition, laisse sa place à Mayotte. La Commission européenne réduirait leur allocation spécifique, complémentaire du FEDER, de près de la moitié. Une telle amputation mettrait en cause la continuité des projets initiés grâce aux fonds structurels européens ; insistons sur ce point auprès du Gouvernement. En revanche, point positif pour les DOM, la possibilité de créer un groupement européen de coopération territoriale entre un pays tiers et un seul État membre. Elle favoriserait leur intégration dans leur environnement géographique. D'autant que l'enveloppe de la coopération territoriale progresserait de 30 %.

Pour renforcer l'efficacité de la politique de cohésion, la Commission européenne promeut le développement local intégré qui consiste, dans l'esprit des programmes LEADER, en des interventions ciblées sur des territoires infrarégionaux spécifiques, conduites par des « groupes d'action locale ». Elle met l'accent sur les villes en leur réservant 5 % du FEDER et en leur déléguant la gestion de ces investissements - entre parenthèses, je préférerais que l'on parle d'agglomération, une notion qui est moins étroite. Sans contester le bien-fondé de ce choix, je m'inquiète pour les zones rurales : le montant du FEADER dépendra des négociations en cours et la part consacrée au développement territorial pourrait diminuer.

Autre levier d'efficacité, éviter le saupoudrage et concentrer les aides sur « l'investissement pour la croissance et l'emploi » qui se décline en onze objectifs. L'exigence de concentration thématique serait d'autant plus forte que les régions seraient riches : pour les régions les plus développées et celles « en transition », 80 % de la dotation du FEDER iraient à trois objectifs ; pour les régions sortant de l'objectif « convergence », 60 % ; et pour les moins développées, 50 %. En outre, la Commission propose, et c'est nouveau, de garantir 52 % des fonds structurels dans les régions les plus développées au FSE, 40 % pour les régions en transition, et seulement 25 % dans les régions les moins développées. Pour le FSE, les régions « en transition » bénéficient donc d'une plus grande souplesse ; cette souplesse devrait leur être donnée pour l'usage du FEDER. D'une manière générale, ces règles doivent rester souples pour s'adapter à la réalité des territoires.

Dernier levier d'efficacité des fonds, l'introduction de conditionnalités. D'abord, des conditionnalités ex ante : en ce domaine, les exigences directement liées à la politique de cohésion sont justifiées, bien qu'une précision excessive corsète inutilement les politiques menées par chaque État membre. Il en va autrement des conditionnalités macroéconomiques. La Commission, faisant écho à la demande franco-allemande d'août dernier, propose de lier le versement des fonds européens au respect du Pacte de stabilité et des règles de gouvernance économique. Ce mécanisme jusqu'ici réservé au seul fonds de cohésion et jamais utilisé, est illégitime, inutile, injuste, déstabilisant et même contre-productif. Illégitime, car rien ne justifie de suspendre des paiements destinés aux autorités régionales au motif que l'autorité nationale ne remplit pas ses obligations. Inutile, car l'Union européenne a déjà prévu de renforcer l'automaticité des sanctions financières. Injuste, car les États membres n'ayant pas vocation à rejoindre la zone euro ne pourront être sanctionnés. Déstabilisante, car les acteurs hésiteront à s'engager au côté des collectivités territoriales quand les versements peuvent être brutalement suspendus. Contre-productive, enfin, car une telle sanction financière accroîtrait les difficultés de l'État dont la politique économique est défaillante. D'ailleurs, le récent relèvement des taux de cofinancement en Grèce atteste de l'intérêt de maintenir le financement de projets porteurs d'avenir dans des États incapables d'investir.

La conditionnalité ex post valorise, elle, la performance. La Commission propose d'inclure, dans chacun des contrats de partenariat qu'elle signera avec les États membres, des indicateurs financiers et des objectifs chiffrés spécifiques à chaque programme. En sus, il y aurait des indicateurs communs : 34 pour le FEDER, 23 pour le FSE et 14 pour le fonds de cohésion. A partir de ces éléments, la Commission effectuerait une revue de la performance qui donnerait lieu en 2019 à la répartition d'un bonus. Je suis assez réservé sur la méthode : quels critères retenir ? Comment juger qu'ils sont atteints ? Tout cela risque d'induire des charges administratives disproportionnées.

J'en termine par la simplification. L'application des règles du FEDER, qui sont plus souples, aux quatre autres fonds en gestion partagée, est bienvenue. Cette spectaculaire avancée sera l'occasion de préciser les champs respectifs de ces fonds, notamment du FEDER et du FEADER en matière de développement rural. L'adoption de ce cadre stratégique commun par acte délégué, qui a la préférence de la Commission européenne, a l'avantage de la souplesse et de la rapidité : pour rectifier le tir, il suffira d'adopter un autre acte délégué. De toute façon, l'entrée en vigueur d'un acte délégué est subordonnée à l'absence d'une opposition des États membres dans un délai donné et le législateur conserve la possibilité de retirer la délégation qu'il a donnée à la Commission. Malgré les interrogations, que je comprends, sur sa forme juridique, l'acte délégué apparaît donc préférable.

Le financement d'un même programme opérationnel sur plusieurs fonds représentera aussi une souplesse utile quand les fonds seront cloisonnés par thèmes.

En matière de règles de gestion, le recours aux coûts forfaitaires et les simplifications pour les projets « générateurs de recettes » favoriseront le développement des partenariats public-privé. La Commission européenne innove également avec le « plan d'action commun » pour lequel une obligation de résultats serait fixée en échange d'un allègement des contrôles et avec des contrôles réduits pour les petits projets et les projets fiables, ce que nous avions défendu.

En revanche, la modification des systèmes de gestion et de contrôle pourrait être source de complexité en imposant l'apurement annuel des comptes et une déclaration d'assurance de gestion, de même que l'obligation faite aux autorités de gestion de payer d'abord les bénéficiaires avant de demander remboursement à la Commission. La modulation selon cinq taux de cofinancement en fonction du niveau de richesse accroît également la complexité.

Je salue en revanche la simplification des programmes de coopération territoriale, naturellement lourds à gérer en ce qu'ils impliquent des acteurs de différents États membres avec la désignation d'une seule autorité de gestion, le dégagement d'office des crédits trois ans après leur engagement...

En dépit des avancées, demeurent donc de vrais motifs d'inquiétude sur lesquels je vous propose d'attirer l'attention du Gouvernement. L'adoption de ces textes, dont le Parlement européen est co-législateur pour la première fois, interviendra théoriquement fin 2012. Que le temps des négociations soit l'occasion d'associer les collectivités territoriales à l'élaboration du contrat de partenariat que la France signera avec la Commission européenne avant la fin 2013 !

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