Intervention de Michel Billout

Commission des affaires européennes — Réunion du 6 décembre 2012 : 1ère réunion
Questions sociales — L'union européenne et les roms - rapport d'information proposition de résolution européenne et projet d'avis politique de m. michel billout

Photo de Michel BilloutMichel Billout :

Lorsque la Commission européenne a proposé, en avril 2011, un cadre européen pour l'intégration des Roms et enjoint les États membres de soumettre leurs propres stratégies nationales dans ce domaine, j'ai demandé à être chargé d'un rapport sur la situation des Roms en Europe. Les événements de l'été 2010 en France ont donné à cette question une grande actualité tant en France qu'au sein de l'Union européenne.

La Commission européenne formulera des recommandations au printemps prochain, tandis que le Gouvernement français réfléchit lui aussi à la possibilité d'adopter en 2013 de nouvelles mesures. Nous avons donc l'occasion de prendre position, très en amont, dans ce débat et d'espérer peser sur les décisions qui seront prises. Pendant six mois, j'ai auditionné une quarantaine de personnes aux profils très divers, du ministre au simple citoyen, et me suis rendu en Roumanie, en Bulgarie, en Hongrie, en Albanie et en Bosnie-Herzégovine.

Selon les estimations, incertaines car fondées sur le principe déclaratif, 10 à 12 millions de Roms vivraient aujourd'hui en Europe, dont environ 8 millions sur le territoire de l'Union européenne. Ils sont présents, bien qu'à des degrés divers, dans la grande majorité des États membres, à l'exception de Malte, sous l'effet des migrations qui sont intervenues au cours des derniers siècles. Celles-ci, contrairement à une croyance répandue, ne sont pas le fait d'un supposé nomadisme, mais ont été dictées à la fois par les persécutions dont ils étaient victimes, et par des motifs économiques. Ainsi la très grande majorité des Roms sont sédentaires et n'ont pas bougé de leurs pays respectifs depuis plusieurs siècles.

Il n'en demeure pas moins que les populations roms rencontrent aujourd'hui de graves difficultés d'insertion. Elles souffrent de discriminations multiples dans l'accès à l'éducation, à l'emploi, au logement, aux soins de santé, etc. Ces discriminations procèdent bien souvent d'un fort anti-tsiganisme, exacerbé par plusieurs médias et mouvements d'extrême-droite qui y trouvent un sujet porteur pour étendre leur influence. Dans les faits, il apparaît que ce sentiment anti-Roms est surtout lié à une profonde méconnaissance de ces populations ainsi qu'à bon nombre de préjugés qui circulent à leur sujet et qui les associent au nomadisme, à la criminalité ou à une prétendue asocialité. La transformation économique de l'Europe centrale, avec un taux de chômage supérieur parfois à 90 %, constitue un choc qui a amplifié les migrations ces dernières années.

Le Conseil de l'Europe, depuis les années 1970, et l'Union européenne, plus récemment, ont pris diverses initiatives afin de combattre les préjugés et faciliter l'intégration des Roms. Mais c'est surtout avec les événements de l'été 2010 que la question est devenue un sujet d'actualité européen. Sans doute cela est-il dû à l'image de la France comme patrie des droits de l'Homme, car des incidents autrement plus graves s'étaient produits auparavant en Hongrie. Les expulsions de campements ont mis en lumière le refus et, parallèlement, les difficultés des États à intégrer ces populations, sans compter les conséquences négatives qu'elles ont eues pour l'image de l'Europe dans le monde. Le Conseil de l'Europe a alors décidé de renouveler son approche et, de son côté, l'Union européenne a demandé aux États membres d'élaborer des stratégies nationales d'intégration des Roms sur la base d'un cadre européen prédéfini. Le rapport présente les stratégies de la Bulgarie, de la Hongrie et de la Roumanie, ainsi que celles de la France, de l'Espagne et de l'Italie. Force est de constater qu'elles sont de valeur inégale. Certaines se réduisent à un catalogue d'actions déjà existantes, pas toujours efficaces. Seules quelques-unes prévoient les budgets appropriés pour financer les mesures annoncées. Mais, comme le souligne la Commission européenne, elles ont le mérite d'exister. Reste à les mettre effectivement en oeuvre.

Le temps est venu de passer à la vitesse supérieure. Il en va non seulement de l'avenir de ces populations, mais également de la crédibilité de notre continent dont les valeurs sont fondées sur la démocratie, les droits de l'Homme et l'État de droit. Or le manque de coordination entre les initiatives existantes, ainsi que l'approche prioritairement sécuritaire retenue dans certains États, ont considérablement nui à leur efficacité. C'est pourquoi il convient de mieux définir les responsabilités de chaque échelon - européen, national, local - et de renforcer la coordination des politiques.

Mes recommandations portent sur l'intégration des Roms migrants et non sur celle des Gens du voyage. Ces deux catégories de populations sont souvent confondues, à tort. Les Gens du voyage sont, pour la plupart, des nationaux, tandis que les Roms sont, bien souvent, des migrants. En outre, ils ne partagent pas toujours le même mode de vie, le nomadisme étant principalement l'apanage des Gens du voyage, même s'ils ont tendance à se sédentariser. En ce qui les concerne, deux propositions de loi ont été déposées pour améliorer leur situation : l'une au Sénat par M. Hérisson, dont je partage les positions, et l'autre à l'Assemblée nationale, par un certain Jean-Marc Ayrault.

Ma première proposition porte sur la lutte contre l'anti-tsiganisme. Tous mes interlocuteurs l'ont souligné : aucune action, si bonne soit-elle, ne pourra pleinement porter ses fruits tant que les Roms continueront de souffrir d'une image fausse et dégradée au sein de nos sociétés. Ne gaspillons donc pas l'argent public sans combattre parallèlement les préjugés. Il appartient au Conseil de l'Europe, qui jouit d'une longue expérience en matière de lutte contre l'anti-tsiganisme, et dont le champ géographique de compétences, avec 47 États membres, est le plus vaste, de coordonner cette lutte.

Mes propositions suivantes concernent l'Union européenne. J'ai été surpris de constater, lors de mes déplacements, que Bruxelles avait pratiquement découvert l'existence du « problème rom » il y a cinq ans. Mais depuis 2010, la Commission a décidé de s'impliquer dans le dossier. Encourageons-la. Le prochain collège des commissaires ne sera peut-être pas aussi sensible à la question. Il faut soutenir toutes les actions qui peuvent être accomplies avant 2014 pour pérenniser et raffermir le rôle de l'Union européenne dans ce domaine. L'Union européenne est, en tout état de cause, parfaitement fondée à intervenir en raison de la dimension transfrontalière qui découle du principe de libre circulation reconnue aux personnes sur l'ensemble du territoire de l'Union.

Selon moi, trois axes d'actions se font jour. Tout d'abord, l'Union doit faciliter la coordination et le dialogue entre les États membres, en particulier entre les pays dits d'origine et les pays dits d'accueil, et accompagner l'échange de bonnes pratiques. Deuxièmement, elle doit inciter les États membres à prendre des mesures en faveur de l'intégration des Roms et surveiller les résultats qu'ils enregistrent, les éventuelles défaillances et pratiques discriminatoires. Ce rôle d'impulsion et de surveillance nécessite que la Commission développe une véritable capacité de suivi, pour s'assurer que les stratégies nationales remises par les États membres n'en restent pas au stade du simple affichage. Troisièmement, il convient que l'Union aide financièrement les États membres dans leur mise en oeuvre. Des améliorations substantielles sont nécessaires en ce qui concerne les fonds européens. Les interlocuteurs que j'ai rencontrés, qu'il s'agisse d'associations ou de collectivités, se sont tous plaints de la complexité des règles d'obtention et d'utilisation, au point que certains en viennent à renoncer à en demander le bénéfice. La situation est plus préoccupante encore dans les nouveaux États membres où, faute de capacités administratives suffisantes, ils sont dramatiquement sous-utilisés : la Roumanie, considérée comme un bon élève, ne consomme que 25 % des crédits. De plus, les obligations en matière de cofinancement paraissent bien lourdes pour les États dans une période où il leur est demandé, dans le même temps, de mettre en place des politiques d'austérité.

Aussi je propose que nous demandions à la Commission de simplifier les règles d'obtention et d'assouplir les conditions d'utilisation des fonds européens. Je propose également que nous émettions des réserves sur le souhait de la Commission de conditionner l'octroi des fonds structurels aux États membres à l'existence et à la mise en oeuvre des stratégies nationales. Si l'idée me semble tout à fait louable, elle comporte des effets pervers : cette conditionnalité risque, à terme, de porter préjudice aux projets menés en faveur des Roms, ainsi qu'à tout autre projet social éligible au bénéfice des fonds européens. Soutenons en revanche la proposition de la Commission d'affecter 20 % des ressources du Fonds social européen à l'objectif d'inclusion sociale et de lutte contre la pauvreté. Certains États membres s'y opposent au nom de la liberté dont ils souhaitent disposer dans l'affectation des fonds. Mais cela constituerait une garantie qu'un minimum d'actions en faveur des communautés marginalisées, auxquelles sont rattachés les Roms, puissent trouver un financement dans les années à venir.

Ma troisième série de propositions concerne la coordination entre les pays dits d'origine et les pays dits d'accueil des populations roms. Celle-ci est nécessaire pour deux raisons : d'une part, la montée des discours populistes dans les pays dits d'accueil, qui donnent à croire, de manière simpliste, que la faute incomberait uniquement aux pays dits d'origine ; d'autre part, les difficultés structurelles en matière économique et sociale que rencontrent plusieurs pays dits d'origine et qui empêchent le retour dans de bonnes conditions de certains Roms migrants, dont ce serait pourtant le voeu. Invitons l'Union européenne à faciliter une telle coordination et rappelons que les États peuvent, sans attendre son action, conclure des accords sur une base bilatérale. L'accord signé entre la France et la Roumanie en septembre dernier me paraît ainsi aller dans la bonne direction. En effet, il prévoit d'octroyer, à titre expérimental, à 80 familles roumaines roms rentrées de France, une aide financière pour la création d'une entreprise et une formation adaptée. C'est peu. Les responsables de l'Office français des migrations internationales (OFII) à Bucarest m'ont indiqué que d'autres expérimentions avaient eu lieu avec succès. Mais il manque des moyens financiers pour en faire davantage. L'aide de l'Union européenne à ces accords bilatéraux serait précieuse. En soutenant la mise en place d'un tel dispositif d'aide à l'insertion, nous encouragerons son développement à l'avenir.

Ma quatrième catégorie de propositions porte sur les politiques à définir et mettre en oeuvre au niveau national. Les politiques nationales doivent viser à intégrer ces populations au droit commun. La Commission a tort, me semble-t-il, lorsqu'elle plaide pour la mise en place de mesures de discrimination positive destinées aux Roms. La question n'est pas de savoir s'il s'agit d'une approche compatible avec le droit français. La reconnaissance aux Roms de droits, en tant que minorité spécifique, peut s'avérer contreproductive, encore plus dans le contexte social actuel où elle risque d'accroître le ressentiment et les préjugés à l'encontre de ces populations. En outre, l'application du droit commun aux populations roms ne dispense pas les États membres d'agir en leur faveur : il leur appartient de faire en sorte qu'ils puissent avoir accès aux dispositifs de droit commun en matière d'éducation, d'emploi, de santé ou de logement par exemple. Cela suppose de développer le nombre des médiateurs, afin de sensibiliser davantage les Roms à leurs droits, mais aussi de former les agents publics à la problématique rom ou encore d'engager une réflexion sur les questions de domiciliation. Cela suppose enfin de mieux associer les collectivités territoriales et la société civile à l'élaboration des politiques.

Je conclurai par les recommandations concernant la stratégie de la France. Les retombées au niveau européen de la politique menée par notre pays à l'égard des Roms sont telles que je ne pouvais pas éluder cette partie. D'abord, je salue l'approche du nouveau Gouvernement, plus multidimensionnelle, comme en témoigne la nomination d'un délégué interministériel chargé des questions relatives aux Roms, et plus centrée sur les droits humains, depuis la publication de la circulaire du 26 août 2012. Entre le moment où j'ai commencé mes auditions, au début du mois de mars, et celui où je les ai finies, à la fin du mois d'octobre, j'ai ressenti la volonté d'un changement de cap, même s'il tarde encore à se traduire sur le terrain avec la poursuite des expulsions.

En matière d'emploi, les dispositions transitoires qui restreignent l'accès au marché du travail des ressortissants roumains et bulgares doivent être levées. Ces mesures sont discriminatoires puisque les ressortissants de ces deux nationalités doivent, à la différence des citoyens des autres pays de l'Union, être en possession d'un titre de séjour et d'une autorisation de travail, au même titre que les ressortissants étrangers extra-européens, pour pouvoir accéder au marché du travail français. De plus ces restrictions sont inutiles puisque la liste des métiers qui leur sont accessibles a déjà été étendue à 291 métiers, soit 70 % des offres de Pôle emploi en octobre dernier, et qu'il devra être mis fin à ces dispositions, en tout état de cause, le 31 décembre 2013 au plus tard. Pourquoi compliquer encore la tâche de l'administration pendant un an avec des procédures longues ? La levée des dispositions transitoires n'a créé aucun appel d'air dans les États membres qui les ont abolies, comme l'Italie. 20 000 personnes sont concernées. Il serait plus pertinent de s'occuper des 330 000 salariés employés, sous un autre régime juridique, en sous-traitance en France.

En matière de logement, des efforts substantiels peuvent être accomplis. Le Gouvernement doit se montrer prudent avec la politique des villages d'insertion, souvent présentée comme « la » solution miracle, alors qu'elle n'est pas dénuée de risques et ne s'inscrit pas dans une logique de droit commun. Cette solution n'est acceptable que si elle est conçue comme un dispositif d'hébergement transitoire préparant l'accès au droit commun et si ces villages sont ouverts à l'ensemble des populations en situation de grande précarité, faute de quoi nous ne ferions que renforcer la logique de ségrégation. Ces villages ne doivent pas être un moyen d'isoler le « problème rom » du reste de la société. Or, l'utilisation des fonds européens en France est très largement consacrée à ces villages. Pourquoi ne pas diversifier les solutions ? Egalement, je propose de demander au Gouvernement de faciliter l'accès au logement social des populations roms en levant les discriminations dont ils sont victimes. J'ai en effet constaté, à titre personnel, que les dossiers présentés par des familles roms auprès des offices HLM se retrouvaient systématiquement au bas de la pile, quand bien même la demande était tout aussi légitime qu'une autre et le dossier tout aussi complet.

Concernant les démantèlements de campements illicites, les termes de la circulaire du 26 août 2012 doivent être scrupuleusement respectés : il ne peut être procédé à aucune expulsion sans diagnostic préalable des besoins des populations et sans que des solutions de relogement aient été proposées. Il s'agit de décence et d'humanité, tant les expulsions peuvent être traumatisantes et plonger les personnes dans des situations d'extrême précarité, entraînant même parfois des ruptures dans la scolarité et dans l'accès aux soins. En outre, le démantèlement d'un camp ne fait que déplacer le problème et le massifier. Les familles déplacées se regroupent, animées par un souci de sécurité, avec l'accord tacite, sinon l'encouragement, des forces de l'ordre. J'en ai été le témoin en Seine-et-Marne.

Enfin, je vous propose de demander la suppression de l'aide au retour pour les ressortissants d'un pays de l'Union européenne. Cette aide, de 300 euros, octroyée par l'OFII, a créé un véritable appel d'air et donne lieu à un véritable trafic car un billet de bus aller-retour pour la Roumanie ne coûte que 60 euros. Les employés de l'OFII n'ont pas le temps de vérifier que les bénéficiaires sont bien rentrés dans leur pays. Je suggère qu'une aide à l'installation économique lui soit substituée, en prévoyant un concours de fonds français, de l'Europe et des pays d'origine.

La population rom représente 8 millions de personnes, la population de l'Union européenne, 503 millions : la tâche de les intégrer ne paraît pas insurmontable. Mais, pour cela, nous devons nous y atteler véritablement et faire enfin tomber la barrière des préjugés.

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