Intervention de Claude Haut

Commission des affaires européennes — Réunion du 25 juin 2015 à 8h30
Agriculture et pêche — Situation du secteur laitier : rapport d'information et proposition de résolution européenne de mm. claude haut et michel raison

Photo de Claude HautClaude Haut :

Comme vous l'avez dit, Monsieur le Président, nous sommes deux co-rapporteurs. Mais à la différence de Michel Raison, je suis le néophyte. J'ai découvert le secteur, les éleveurs, les fermes avec un regard neuf.

Il m'a d'abord fallu comprendre la situation et les inquiétudes des éleveurs. Ce sont ces deux points que je vais évoquer avant de passer le relais.

Pendant plus de trente ans, le secteur laitier a été le plus administré de l'agriculture européenne et tous les leviers de l'action publique ont été mobilisés. Les quotas laitiers ont été la pièce maîtresse du dispositif de régulation de l'offre. Le 1er avril 2015, le régime a basculé dans le libre marché. Le secteur est passé du presque trop au presque rien.

Ce basculement a généré en France une certaine appréhension. La fin des quotas coïncidait avec un retournement de conjoncture. Une crise s'annonçait même, pareille à celle de 2009. « La crise ? Quelle crise ? » : le mot fait sourire nos partenaires. C'est juste un nouveau contexte pour les éleveurs européens et un défi à relever.

Ce furent trente années émaillées de disputes qui ont même duré jusqu'au dernier jour.

Je dois préciser que si la fin des quotas laitiers est perçue comme un changement radical, elle n'est, en réalité, sur le plan juridique, que l'application retardée du régime prévu en 1984 qui n'était que « provisoire », jusqu'en 1989. Ses reconductions successives l'ont fait passer pour un régime permanent. D'ailleurs, jusqu'au bout, de nombreux éleveurs ont cru que la réforme ne serait pas appliquée. Comme cela fut le cas, deux ans auparavant avec la réforme des droits de plantation, grâce à une mobilisation politique dans laquelle le Sénat a eu sa place. Cette fois, le retournement n'a pas eu lieu.

Il y a des divergences d'intérêt entre États, dont quelques-uns s'estimaient pénalisés par des quotas trop restrictifs. Il y a le clivage entre partisans d'une régulation du marché et ceux qui ne jurent que par la libre concurrence.

Le débat sur les quotas laitiers a également agité le monde politique français, chaque camp accusant l'autre d'avoir abandonné les éleveurs.

Quel est le bilan de ce dispositif ?

L'idée du contingentement visait à supprimer les surproductions. Il faut reconnaître que les quotas, qui n'ont jamais été très rigoureux, n'ont eu qu'un rôle mineur dans cette résorption. D'autres instruments ont été autrement plus efficaces pour réduire les volumes, qu'il s'agisse de la baisse des prix d'intervention et des restitutions ou du découplage des aides.

En revanche, les quotas se sont avérés très utiles pour assurer une production laitière équilibrée dans l'ensemble de l'Union européenne et dans l'ensemble des régions. Ils ont ainsi contribué aux politiques d'aménagement du territoire.

Si l'abandon des quotas est acté, il reste un regret. Les quotas furent l'emblème d'un choix équilibré entre la politique et l'économie, entre la productivité et l'aménagement du territoire, entre l'homme et le marché.

Le maintien des quotas était peut être possible avec quelques ajustements : une augmentation pour répondre à la demande mondiale, une nouvelle répartition entre États, des ajustements plus automatiques. Mais la force du courant abolitionniste était telle que cette option n'a guère été envisagée.

Telle est l'histoire de la fin des quotas laitiers.

Place au marché.

En France, ce passage suscite des appréhensions légitimes.

En premier lieu, le dispositif juridique censé assurer la transition de la fin des quotas laitiers n'a pas donné toute satisfaction.

La fin des quotas a été préparée en 2012 par un règlement connu sous le nom de « Paquet lait ». Ce règlement concerne le rôle des organisations de producteurs (OP) dans le secteur laitier et évoque les relations contractuelles entre les éleveurs et les transformateurs.

Les OP du secteur laitier présentent des singularités. Le coeur de la mission reste la négociation de contrats de livraison de lait, mais cette opération a deux spécificités : la négociation a lieu qu'il y ait ou non transfert de propriété. L'éleveur reste propriétaire et mandate un tiers pour négocier ses livraisons ; la négociation porte sur les prix et les volumes, ce qui est une dérogation exceptionnelle au droit commun de la concurrence.

De son côté, la contractualisation figure dans la loi de modernisation de l'agriculture de 2010. Elle fut présentée comme une sorte de relais qui permettait de maintenir un cadre dans les relations entre éleveurs et fabricants.

La plupart des intervenants dressent un bilan mitigé de ces dispositifs.

Les éleveurs sont très critiques sur les OP et la contractualisation.

L'idée courante est que les OP ne servent à rien. Que peut peser une OP de quelques centaines d'éleveurs face aux géants mondiaux de l'industrie laitière ? Le contrat ne peut qu'entériner les pratiques antérieures. Ce constat désabusé s'appuie aussi sur une certaine maladresse française. La logique aurait été de s'organiser en OP avant de négocier. C'est le contraire qu'a fait la France, en imposant des contrats, avant la mise en place des OP. Résultat : quand les OP ont été créées, il n'y avait plus rien à négocier. Les seules OP qui marchent sont les OP qui sont entre les mains des laiteries. « OP maison - OP bidon ? » s'interrogeait d'ailleurs notre président.

Les industriels ont eu aussi leurs raisons de se plaindre.

Il y a une critique sur la durée des contrats. Une douzaine de pays ont choisi la formule de contractualisation obligatoire, mais seule la France a choisi une durée de contractualisation de 5 ans alors qu'elle est de 6 mois ou d'un an dans les autres pays.

Il y a aussi une critique sur le prix. Les formules de prix sont applicables pendant trois ans. Pour éviter des renégociations périodiques, et pour tenir compte de la guerre des prix de la grande distribution, les industriels multiplient les clauses de sauvegarde qu'ils actionnent quand bon leur semble.

Ainsi, personne ne semble satisfait du dispositif mis en place. Ces critiques doivent être entendues mais aussi analysées avec circonspection.

Il y a bien sûr des raisons objectives à la lenteur de mise en place des OP, mais pour les observateurs, les oppositions aux OP sont aussi et surtout de nature politique.

Il y a d'abord une méfiance des coopératives. A priori, les coopératives ne sont pas concernées par les OP puisque leurs relations avec leurs adhérents relèvent du statut et non du contrat. Mais il n'y a pas d'étanchéité et les éleveurs pourraient être mobiles s'ils voient que les OP défendent mieux les prix que les coopératives. Comme ce fut le cas en Pologne, par exemple.

Mais il y aurait également de fortes réticences du côté syndical. Derrière un discours officiel favorable à ces regroupements, les structures syndicales peuvent être inquiètes d'une redistribution des rôles qui ne leur est pas favorable. Tandis que les syndicats auraient une action d'influence, les OP auraient la charge de signer les contrats. Pour le médiateur des contrats, je cite, « Il y a un combat d'arrière-garde, notamment par ceux, qui pétris de syndicalisme agricole, déplorent leur perte d'influence. L'OP a exproprié une partie de leur pouvoir et leur capacité à faire pression ».

Dans ce flot de critiques, il y eut pourtant quelques voix encourageantes.

D'abord parce que les OP se mettent en place progressivement. On compte 50 OP en avril 2015 qui couvrent 45 % du potentiel de la collecte privée concernée. Et puis, selon le médiateur des contrats, « les contrats et les OP ont apporté des progrès dans les relations entre éleveurs et fabricants. On est sorti de la confrontation syndicale. Aujourd'hui, les OP discutent avec les collecteurs. »

Ensuite, même si les industriels sont vigilants, les OP sont loin d'être « à la botte des industriels ». Le contentieux récent entre une OP et Lactalis, inimaginable en 2012, est même le signe d'un vrai pouvoir des OP.

En deuxième lieu, les hypothèses de marché sont peut-être optimistes.

La croissance du marché mondial semble acquise, de l'ordre de 2 % par an, et l'Union européenne peut y prendre sa place. Pourtant, certains tempèrent cet enthousiasme, en évoquant de possibles déconvenues.

Il y a d'abord des doutes sur les prix. Plus de volume, certes, mais à des prix plus faibles. Autrement dit : « travailler plus, pour gagner moins ». Et puis, la volatilité des prix, indissociable du marché mondial, est perçue très négativement par les éleveurs. L'éleveur admet parfaitement que son prix dépende de la pluie et du beau temps ; il ne peut comprendre qu'il dépende aussi des nurseries de Shanghai !

Il faut cependant noter que la volatilité des prix n'entame en rien la confiance des grands États laitiers dans les vertus du libre marché. Les pays les plus engagés dans la libéralisation du marché sont aussi les pays où la volatilité des prix est la plus forte. C'est le risque du marché, parfaitement assumé par les intéressés et qui, à aucun moment, ne les ferait regretter leur choix.

Il y a aussi des déconvenues possibles sur les perspectives de marché.

La sensibilité des échanges aux parités monétaires est cruciale. Un incident sanitaire peut casser une dynamique. De même, un écart minime sur la croissance du marché asiatique a un impact immédiat sur les importations de ces pays. Gare aussi aux nouvelles concurrences. Les États-Unis sont une très grande puissance laitière, une sorte de « géant endormi » qui pourrait perturber les prévisions.

Enfin, à trop se focaliser sur le marché extérieur on a tendance à oublier l'importance du marché intérieur.

Les belles performances françaises à l'exportation ne parviennent pas à faire disparaître une certaine inquiétude. La tradition française a orienté le marché vers les produits à haute valeur ajoutée, mais aujourd'hui, c'est sur la poudre qu'il faut aller. Les perspectives pour le fromage sont excellentes, mais c'est le fromage ingrédient qui s'exporte et pas nos fromages de tradition. Les Français sont globalement assez inquiets.

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