Intervention de Simon Sutour

Commission des affaires européennes — Réunion du 25 juin 2015 à 8h30
Économie finances et fiscalité — La situation de la grèce dans la zone euro : rapport d'information de m. simon sutour

Photo de Simon SutourSimon Sutour :

Je me suis rendu à Athènes du 8 au 12 juin derniers afin de faire un point sur les relations entre la Grèce et la zone euro, particulièrement délicates ces derniers mois. J'ai souhaité, au cours de ce déplacement, rencontrer des membres du gouvernement et de l'opposition, des représentants du monde économique et des acteurs de la société civile. J'étais parti, je dois l'avouer, avec l'idée de remettre en perspective les critiques qui visent ici et là ce pays. Vous connaissez mon attachement pour la Grèce. Je dois reconnaître que ma perception a quelque peu évolué à l'issue de cette mission. Le rapport que je vous présente aujourd'hui est le fruit de cette analyse.

Les négociations entre la Grèce et ses créanciers se sont enfin accélérées ces derniers jours. J'insiste sur le mot enfin tant cette succession de réunions et de sommets à tous niveaux organisés depuis cinq mois n'avait pour l'heure débouché sur aucun résultat tangible. Les seuls éléments concrets tenaient au montant de l'aide octroyée à la Grèce depuis 2010. Ce montant est de 240 milliards d'euros. Il ne reflète pas d'ailleurs les restructurations de la dette opérées en 2012 et que je détaille dans le rapport. L'exposition de la France à l'égard de la dette grecque est d'ailleurs de 55 milliards d'euros au moins, soit plus de 800 euros par Français. Précisons qu'il s'agit essentiellement de dette publique, puisque la dette privée a été largement restructurée en 2012. Autre chiffre concret, celui du montant des dépôts bancaires, qui ne cesse de décroître depuis la fin de l'année 2014. Une quarantaine de milliards ont ainsi été retirés, soit 25 % des dépôts. Somme qu'il convient de rapprocher de l'aide aux banques octroyée par la BCE depuis : 87 milliards d'euros. Je pourrais également ajouter à cette liste la disparition de l'excédent primaire que le pays avait commencé à dégager depuis 2013 et celle de la croissance attendue pour 2015 ou les chiffres du chômage, un quart de la population active, plus de la moitié des 15-24 ans. Le chômage des jeunes ne décroît d'ailleurs qu'en raison du départ à l'étranger de cette catégorie d'âge. 34 000 jeunes ont ainsi rejoint l'Australie et le Canada en 2014.

A égrainer ces constats, on peut s'interroger sur l'efficacité de l'aide européenne et de cette solidarité sans faille jusqu'alors. Mon constat sera moins sévère pour les bailleurs de fonds, dont je ne mésestime pas pour autant certaines erreurs d'appréciation, que pour les autorités grecques. J'emploie à dessein le mot autorités. Il ne s'agit pas pour moi de viser uniquement le gouvernement en place. Celui-ci s'inscrit malheureusement dans la continuité du gouvernement précédent qui s'est décidé à ne plus agir après les élections européennes de mai 2014, de peur de froisser un électorat de plus en plus séduit par le discours anti-mémorandum de Syriza.

Mon déplacement m'a confirmé que la dynamique vertueuse dans laquelle semblait se placer le pays au début de l'année dernière était rompue depuis. La Grèce semble aujourd'hui un pays plus que jamais sans stratégie pour son avenir, incapable de dresser les contours d'un modèle de croissance viable. On aurait pu croire qu'avec l'arrivée d'une nouvelle majorité, moins usée par l'exercice du pouvoir que le PASOK ou Nouvelle démocratie, de vraies réformes de fond seraient lancées. Rien ne semble bouger et même la Task force pour la Grèce mise en place par la Commission européenne pour aider à la mise en place de ces réformes présente un bilan modeste. Ces réformes auraient pourtant permis au pays de rompre avec les pratiques clientélistes qui le minent. Il s'agissait pourtant de l'une des revendications des électeurs de Syriza. Il aurait pu se doter de structures administratives dépolitisées, utiles pour affronter le problème crucial de la fiscalité. Cinq mois plus tard, rien de tout cela n'a été entrepris. Les armateurs et l'Église orthodoxe, qui ne sont pas les électeurs traditionnels de la gauche radicale grecque, sont toujours exonérés d'impôts. L'argument de la délocalisation semble freiner toute mesure visant les armateurs et l'Église orthodoxe bénéficie d'une certaine bienveillance compte tenu à la fois de son rôle dans l'histoire du pays et de l'action en faveur des plus démunis qu'elle assume. Les professions libérales ou les petites entreprises unipersonnelles semblent s'affranchir de l'impôt. Pire, les réformes structurelles lancées pour moderniser la fonction publique ou lever l'impôt foncier ont été suspendues. L'essentiel des efforts continue à être porté par les salariés, dont un nombre négligeable ont vu leur rémunération amputées de près de 50 % ou souffre de retards de paiements, ou par les fonctionnaires dont le nombre est passé de 900 000 à 600 000 en trois ans.

Le gouvernement s'est focalisé sur le versement d'une dernière tranche de l'aide internationale dont il ne voulait pas initialement, essayant de récupérer, en attendant, les liquidités disponibles de toutes les structures publiques ou parapubliques. Ne payant plus, il faut insister sur ce point, ses fournisseurs ou ne remboursant plus les tiers payant.

Cette contradiction reflète le mandat paradoxal qui lui a été donné par les électeurs : maintenir le pays dans la zone euro et mieux équilibrer l'ajustement budgétaire demandé pour cela. Cette double orientation nécessitait du pragmatisme. Force est de constater que le gouvernement a en premier lieu choisi une vision idéologique de la situation, méfiant à l'égard de ses partenaires européens ou de son administration. Maintenir l'unité de Syriza, qui est, comme vous le savez, composée d'anciens du Pasok, d'altermondialistes, de communistes et de maoïstes, a pu également apparaître comme une priorité pour une équipe qui, ne le mésestimons pas non plus, manque singulièrement d'expérience. Préserver la coalition gouvernementale qui unit Syriza et ANEL, un petit parti populiste de droite, a aussi joué en faveur de l'adoption d'une position attentiste dans les négociations avec ses partenaires européens, quand il n'a pas cédé à la provocation. Cette alliance avec ANEL s'imposait face à l'absence de majorité absolue au parlement et au refus de Syriza de s'associer à To Potami, la formation de centre gauche au message européen affirmé.

Je détaille dans le rapport les polémiques sur la question de la dette « odieuse » générée par une attaque concertée des banques européennes, sur le rapprochement avec la Russie qui peut laisser songeur, sur le débat autour d'hypothétiques réparations allemandes ou sur la volonté de résoudre le problème des migrants en permettant à ceux-ci de disposer de papiers leur facilitant l'accès à l'espace Schengen, quitte à y faire entrer des djihadistes selon le mot du ministre de la défense, par ailleurs président d'ANEL. Je m'inquiète de cette polarisation de l'opinion publique grecque sur l'Allemagne, nourrie par tous les courants politiques confondus, qui la rendent quasiment responsable de tout.

Ces polémiques ont contribué à susciter l'exaspération des partenaires de la Grèce. Le gouvernement a mésestimé le fait que le fonctionnement de l'Union européenne reposait sur la concertation et le compromis. Pis, en instrumentalisant la possibilité d'un échec, il a rendu l'hypothèse d'un défaut plausible et celle d'une sortie de la zone euro probable, alors même qu'elle n'est pas prévue par les traités. On est loin, me semble-t-il, des aspirations du peuple grec en faveur de l'Europe, qui ne se sont jamais démenties après plus de six ans de crise économique.

Je suis satisfait qu'aujourd'hui le gouvernement grec ait enfin entrepris une démarche de clarification, telle que je l'appelle de mes voeux dans le rapport. « Il n'y a de vent favorable que pour celui qui sait où il va », disait Sénèque. Même si elles sont tendues, les négociations qui se sont accélérées ces derniers jours montrent en effet qu'un cap semble avoir été choisi, celui de l'ancrage dans la zone euro. Nous n'avons, de notre côté, aucun intérêt au départ de la Grèce, sauf à considérer que la monnaie unique n'est pas un projet politique et à laisser aux marchés financiers le soin de déterminer ultérieurement quel serait le prochain pays à sortir. Des compromis doivent en tout état de cause être trouvés afin que les intérêts de chacun puissent être respectés. Il apparaît délicat de toucher aux retraites les plus modestes, soutenues par une prime complémentaire. Par contre, il est largement envisageable d'augmenter la TVA sur les activités touristiques ou dans les îles qui bénéficient d'afflux de visiteurs. La situation de Corfou et de Mykonos n'est pas celle d'Amargos. Le succès de la saison touristique ne dépend pas de l'augmentation de la TVA, la Grèce étant devenue une destination privilégiée pour les Européens suite au « printemps arabe ».

Au-delà de cet accord, que faire ? Un accord sur le versement de 7,2 milliards d'euros ne résoudra pas tous les problèmes de la Grèce, loin s'en faut. Il faut sans doute déjà songer à une ligne de crédit complémentaire destinée à accompagner son retour sur les marchés. Celle-ci doit être conditionnée à la mise en place de réformes d'envergure visant l'État et la fiscalité bien sûr et favorisant le développement de secteurs clés comme le tourisme, où les capacités du pays sont clairement sous-exploitées.

Nous pouvons également envisager un débat sur la restructuration de la dette. Il est prévu par l'Eurogroupe depuis 2012, à condition que le pays retrouve un excédent primaire. Nous pouvons aller plus loin que la simple réduction des taux d'intérêt ou l'allongement de la maturité des prêts. L'idée de certificats d'investissements, que je détaille dans le rapport permettrait de relier remboursement de la dette et croissance, l'un n'excluant plus l'autre.

L'atonie de l'économie grecque n'est, en tout état de cause, pas une fatalité. Notre rôle, en tant que partenaire et ami de la Grèce n'est plus de gloser sur l'opportunité de leur adhésion à la zone euro voire à l'Union européenne. Celle-ci s'imposait après le retour de la démocratie en Grèce, elle était notamment souhaitée par le président de la République de l'époque, Valéry Giscard d'Estaing, indiquant qu'« on ne faisait pas jouer Platon en deuxième division ». Il convient aujourd'hui de les aider à définir une stratégie économique, permettant de garantir à la population grecque le niveau de développement qu'elle est en droit d'attendre. C'est une tâche de grande ampleur qui nécessite du temps. Il s'agit de faire ce que nous n'avons pas assez fait lors de son adhésion en 1981 et ce que l'on demande désormais à tout nouvel entrant.

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