La lutte contre le terrorisme pourrait en effet devenir, comme l'aide aux migrants, une nouvelle clause de flexibilité du Pacte de stabilité et de croissance.
Comme vous le savez, à la suite des attentats de Paris du 13 novembre, le Président de la République a annoncé au Congrès la création de 8 500 nouveaux postes au sein de la gendarmerie, de la justice et des douanes. 6 500 suppressions de postes dans l'armée d'ici 2019 ont, par ailleurs, été gelées. Ces mesures font suite à celles déjà adoptées en avril 2015, où 18 500 suppressions de postes avaient été annulées. Dans ces conditions, le Président de la République a estimé que les engagements souscrits en matière de déficit public sont caducs et que la France ne pourrait pas réduire son déficit public en deçà de 3 % en 2017. Le « Pacte de sécurité » l'emporterait donc sur le Pacte de stabilité, selon la formule du Chef de l'État. Formule sur laquelle je voudrais émettre des réserves. Comme l'a souligné le directeur de l'Institut Jacques Delors il y a quelques jours, elle peut en effet laisser penser que l'Union européenne, pourrait vouloir empêcher la France d'assurer sa sécurité.
Quelle est justement la réponse de la Commission européenne à cette formule ?
Par le passé, les dépenses militaires n'ont jamais été intégrées par la Commission européenne dans la catégorie des dépenses relevant des « circonstances inhabituelles ». Le discours semble avoir changé cette année. Le président de la Commission européenne a estimé le 18 novembre dernier que « les dépenses de sécurité de la France devraient être exclues des calculs entrant dans le champ des règles de l'Union européenne sur les déficits ». Lors de la présentation des plans budgétaires nationaux, le 17 novembre, la Commission a jugé que l'impact financier de ces nouvelles mesures serait appréhendé de manière constructive et en temps voulu. Elle estimait cependant que ces nouvelles dépenses, dont elle n'avait pas encore connaissance, ne devraient pas infléchir considérablement la trajectoire des finances publiques françaises.
On ne saurait lui donner tort. Les mesures d'avril 2015 représentaient environ 3,8 milliards d'euros sur la période 2015-2019. Elles ont été intégrées dans le plan budgétaire transmis par la France à la Commission. Après les votes intervenus au Sénat au début de cette semaine, les dernières annonces de novembre sont, quant à elles, évaluées à 815 millions d'euros pour l'année 2016. Elles représentent environ 0,04 point de PIB au titre de l'exercice 2016, soit une hausse des dépenses budgétaires de l'État de seulement 0,13 %. On est loin d'une dérive des comptes publics, en tout cas, pas pour cette raison-là. Le ministre des finances en a d'ailleurs convenu devant nous, en estimant que le Pacte de stabilité serait respecté.
Il est indispensable que l'effort de guerre de la France soit soutenu au niveau européen, tant il participe de la sécurité de l'Union européenne. Reste que son financement par la dette, le pays étant en déficit, affaiblit indirectement la souveraineté de la France et pose question. Un soutien financier direct de l'Union européenne et des États membres serait sans doute plus adapté qu'une autorisation à dépenser plus. La lettre des ministres de l'économie allemand et français, Sigmar Gabriel et Emmanuel Macron, du 24 novembre dernier qui envisage la création d'un fonds franco-allemand dédié au financement de la lutte contre le terrorisme et du contrôle des migrations est incontestablement une piste à suivre. La lettre esquisse une dotation initiale de 10 milliards d'euros et prévoit que le fonds soit ouvert à tous les États membres volontaires.
La Commission européenne a présenté, de son côté, le 19 octobre un projet de budget rectificatif pour 2015 prévoyant une diminution du montant global des contributions nationales au budget de l'Union européenne de 9,4 milliards d'euros. Pour la France, il s'agit d'une économie de 1,453 milliard d'euros. Lors du vote sur ce texte le 25 novembre dernier, le Parlement européen a souhaité que le montant de cette réduction soit affecté au financement de l'aide humanitaire à destination des réfugiés.
Je vous propose qu'on approfondisse ces points dans les prochaines semaines.
J'en viens maintenant à l'examen du plan budgétaire français.
Nous nous étions inquiétés, ici même, en mars dernier de la position de notre pays à l'égard de ses partenaires. Il nous semblait fragilisé par son incapacité à répondre à l'objectif de réduction de son déficit public auquel il avait pourtant préalablement souscrit.
La recommandation adressée à la France, le 10 mars 2015, par le Conseil a permis un nouveau report du délai de correction du déficit excessif de 2015 à 2017. Afin d'atteindre cet objectif, le texte prévoit un déficit public de 4 % du PIB en 2015, 3,4 % en 2016 et 2,8 % du PIB en 2017. Une telle trajectoire pouvait être respectée si le déficit structurel - c'est-à-dire hors effets de la conjoncture - était réduit de 0,5 % du PIB en 2015, 0,8 % du PIB en 2016 puis 0,9 % l'année suivante, nécessitant un effort d'ajustement de 75 milliards d'euros.
Le plan budgétaire transmis par le Gouvernement français tablait, le 15 octobre, sur un déficit public ramené à 3,8 % du PIB en et 3,3 % en 2016. Ces chiffres répondent pour partie aux prévisions de la Commission européenne. Les projections de croissance convergent également : autour de 1 % en 2015 puis 1,5 % en 2016. L'écart sur l'endettement public est plus sensible : 96,5 % du PIB en 2016 pour le gouvernement et 97,1 % du PIB pour la Commission européenne. Le pays est, dans ces conditions, « globalement en conformité » avec les objectifs de la recommandation.
L'avis du Haut conseil des finances publiques, obligatoire dans le cadre de l'application du « two pack », confirme la plausibilité des projections du Gouvernement tout en restant nuancé : l'estimation de la croissance en 2016 ne lui paraît pas prudente et le ralentissement prévu des dépenses publiques lui apparaît ambitieux.
Au-delà des chiffres convergents sur le déficit public en 2015 et 2016, la Commission, se montre, de son côté, sceptique sur le respect par la France des objectifs en 2017. Elle émet plusieurs réserves, considérant que la conjoncture favorable - baisse des taux d'intérêts et ralentissement de l'inflation - n'a pas été mise au service de l'amélioration du solde structurel. Elle relève à cet effet que la trajectoire assignée en la matière en mars 2015 ne sera pas respectée. Le déficit structurel devrait être réduit de 0,1 % en 2015 et 0,3 % en 2016. L'effort structurel attendu de 0,5 % du PIB en 2015 a quant à lui été revu à la baisse par la Commission européenne. Le Gouvernement intégrait en effet dans son calcul la mise aux enchères de licences 4G, considérées à juste titre comme des mesures ponctuelles par la Commission européenne. L'effort budgétaire est donc considéré comme largement inférieur à celui recommandé. La stratégie budgétaire du Gouvernement lui semble tributaire de la conjoncture économique et non des efforts structurels accomplis. La Commission européenne salue néanmoins la réforme territoriale, porteuse d'économies substantielles, le pacte de responsabilité et de solidarité ou la réforme des régimes de retraite complémentaire. Elle regrette cependant la faiblesse des efforts déployés pour simplifier le régime fiscal et améliorer son efficacité.
Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que le déficit budgétaire attendu par la Commission européenne en 2017 atteigne 3,3 % du PIB et non les 2,8 % estimés par le Gouvernement. Ce qui peut laisser songeur quant à la formule « globalement en conformité ». Ce chiffre n'intègre pas le nouvel « effort de guerre » français. Il y a fort à craindre qu'en 2017 la France soit, avec l'Espagne, le seul pays de la zone euro dont le déficit public sera supérieur à 3 %.
Je vous rappelle pour conclure que le Gouvernement devra présenter un rapport sur l'état d'avancement des réformes le 10 décembre prochain devant le Comité économique et financier. Celui-ci est composé des représentants des États membres de la Commission européenne et de la Banque centrale européenne. La France reste donc sous la surveillance étroite de ses pairs et des institutions européennes.