Intervention de Jean-Claude Frécon

Commission des affaires européennes — Réunion du 16 février 2011 : 1ère réunion
La situation au kosovo Audition de M. Jean-François Fitou ambassadeur de france au kosovo de Mme Marie-Thérèse Bruguière et de M. Jean-Claude Frécon sénateurs

Photo de Jean-Claude FréconJean-Claude Frécon :

L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a adopté le 25 janvier dernier une résolution demandant l'ouverture d'enquêtes internationales sur les allégations de traitement inhumain de personnes et de trafic illicite d'organes humains au Kosovo. Ce vote a été précédé, dans l'hémicycle, par la présentation d'un rapport de M. Dick Marty, au nom de la commission des questions juridiques et des droits de l'Homme de cette même assemblée. Ce parlementaire suisse est notamment connu pour son excellent travail sur les centres de détention de la CIA en Europe. Il a pris, par le passé, position contre les bombardements de l'OTAN sur la Serbie en 1999 et contre l'accession à l'indépendance du Kosovo en février 2008.

Le rapport porte principalement sur les activités de l'Armée de libération du Kosovo, l'UCK, entre 1998 et 2000, soit au moment du conflit pour l'indépendance et dans l'immédiat après-guerre. Faisant état d'indices concrets et convergents, le document dénonce ainsi l'existence de sept lieux de détention secrets, sous le contrôle de l'UCK, situés au nord de l'Albanie, dans lesquels des soldats serbes, mais également des opposants kosovars albanais, auraient été séquestrés et soumis à des traitements inhumains et dégradants.

Relayant des extraits des mémoires de l'ancienne procureure auprès du Tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavie (TPIY), Carla del Ponte, le rapport de la commission des questions juridiques fait également état d'un possible trafic d'organes prélevés sur des prisonniers serbes et albanais à partir d'une clinique située en territoire albanais. Aux yeux de Dick Marty, l'actuel Premier ministre et ancien chef de l'UCK, M. Hashim Thaçi, aurait une responsabilité directe dans ce macabre commerce. Le chef de l'actuel gouvernement kosovar et ses compagnons d'armes du « groupe de la Drenica » seraient par ailleurs impliqués dans d'autres activités de type mafieux : contrebande d'alcool et de cigarette, trafic de stupéfiants et prostitution.

Le symbole de cette dérive criminelle serait la fameuse « maison jaune », présentée par l'hebdomadaire allemand der Spiegel en 2008 comme la « maison de la fin du monde ». Située au nord de l'Albanie, dans le village de Ribe, elle aurait ainsi servi de lieu de déportation de prisonniers enlevés au Kosovo. 300 détenus auraient ensuite été sélectionnés en vue de prélever certains de leurs organes.

Selon le rapporteur, une approche politique pragmatique a conduit les organisations internationales sur place à privilégier la paix locale après la guerre à la nécessité de rendre justice sur ce point. Dick Marty insiste à cet égard sur le fait que l'UCK était l'alliée de fait de l'OTAN en 1999. Il mésestime néanmoins les deux enquêtes internationales menées, respectivement par la MINUK en 2004 et par EULEX en 2009, qui n'ont pas abouti, faute de preuves tangibles.

La faiblesse du rapport de mon collègue suisse tient d'ailleurs à cette absence de preuve. Il se fonde, en effet, essentiellement sur des témoignages, pour la plupart anonymes. Par ailleurs, il y a lieu de s'interroger sur les conditions matérielles pour la mise en place d'un trafic d'organes dans cette région, notamment en ce qui concerne le transfert des organes prélevés, malgré la présence de l'aéroport de Tirana à proximité du lieu où étaient censées se dérouler les opérations.

Je crains malheureusement que tout ceci ne soit le fruit d'une forme de confusion entre un passé douloureux et l'actualité, marquée par le scandale de la clinique Medicus de Pristina impliquée dans un trafic d'organes et actuellement sous le coup d'une enquête d'EULEX. M. Marty tente pourtant de relier les deux, là encore sans avancer plus de preuves.

Entendons-nous bien, il ne s'agit pas de nier l'existence de crimes intolérables et d'exactions au Kosovo entre 1998 et 1999. Il apparaît simplement indispensable de distinguer entre rumeurs et réalité et que la justice puisse s'exercer pleinement, sur la base de faits dûment vérifiés.

Dans mon intervention devant l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, j'ai souhaité insister sur les difficultés que posait ce manque de preuves pour corroborer les allégations de trafic d'organes. D'autant plus que la publication du rapport intervient dans un contexte délicat. Comme nous l'a indiqué notre collègue Marie-Thérèse Bruguière, des négociations sont actuellement en cours pour mettre en place une nouvelle coalition gouvernementale. Par ailleurs, les conditions sont réunies pour l'ouverture à court terme d'un dialogue entre Pristina et Belgrade. On ne peut mésestimer l'impact du rapport en Serbie. Peut-on raisonnablement imaginer un responsable politique serbe entamer des pourparlers avec un Premier ministre kosovar, présumé coupable de crimes contre l'humanité aux yeux du Conseil de l'Europe ?

La résolution annexée au rapport de Dick Marty a été adoptée par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe à la quasi-unanimité, 169 voix pour contre 8 oppositions et 14 abstentions. Le texte invite EULEX, la mission civile de l'Union européenne au Kosovo, à poursuivre ses travaux d'investigations en ce qui concerne ces allégations de trafic. Elle invite l'Union européenne et les autres États contributeurs à renforcer les moyens de la mission civile et lui offrir le soutien politique dont elle a besoin pour mener à bien son enquête. Elle appelle également les autorités kosovares et albanaises à coopérer pleinement avec les organisations internationales à ce sujet.

Cet appel à l'ouverture d'enquêtes internationales a, notamment, emporté l'adhésion de la délégation française tant celles-ci devraient enfin permettre de faire toute la lumière sur la véracité de ces allégations. Il convient, à cet égard, de noter la volonté affichée des gouvernements kosovar et albanais de coopérer avec EULEX dans ce dossier.

Par ailleurs, au-delà de la question médiatique du trafic d'organes, on ne peut passer sous silence d'autres volets plus aboutis du rapport, notamment en ce qui concerne la question des personnes disparues au cours du conflit. Dick Marty rappelle à cet égard que sur les 6 000 personnes disparues à cette occasion, plus de 2 000 n'ont toujours pas été retrouvées, principalement au sud de l'Ibar. De nouvelles enquêtes devront à cet égard être menées. Elles sont indispensables en vue de favoriser à terme la réconciliation entre Serbes et Kosovars.

Je voudrais rappeler, pour terminer, que le 26 janvier, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a également adopté une résolution invitant les autorités kosovares à renforcer la protection des témoins cités à comparaître dans les affaires de crimes de guerre touchant notamment l'UCK. Ce texte n'a pas bénéficié d'un écho médiatique comparable au rapport Marty, alors qu'il est tout aussi indispensable en vue de consolider l'État de droit au Kosovo.

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