Intervention de André Gattolin

Commission des affaires européennes — Réunion du 19 janvier 2017 à 8h40
Culture — Paquet « droit d'auteur » : proposition de résolution européenne et avis politique de mme colette mélot et m. richard yung

Photo de André GattolinAndré Gattolin :

Je remercie nos deux rapporteurs : ce sujet est particulièrement complexe, avec souvent une approche franco-française d'un sujet lui-même particulier. Le système américain repose sur le principe du copyright et non du droit d'auteur. Je m'interroge sur certaines formulations de la résolution, qui mériteraient une exégèse.

Pourquoi a-t-on créé des droits d'auteur ? Les droits d'auteur n'apparaissent pas à la fin du XVIIIe siècle ou au début du XIXe siècle en France mais au Royaume-Uni dès le XVIIe siècle, où il était défini comme le droit de l'auteur de contrôler les usages secondaires des produits de son oeuvre. Initialement, il concernait essentiellement des oeuvres littéraires. Il s'est commué en une transaction économique et financière. Auparavant, l'éditeur ou le commanditaire de la commande créative versait des avoirs avant la création. Ce n'est plus le cas, hormis pour la production audiovisuelle où l'État finance des acteurs privés - qui concentrent les droits tout en investissant peu dans ces oeuvres... Dans le secteur du livre, à part quelques grands auteurs, on ne verse plus d'à-valoir, seuls comptent les droits d'auteur.

Plutôt qu'une vision globale, regardons aussi la situation secteur créatif par secteur créatif. Tantôt la création est individuelle, tantôt, notamment dans le secteur des jeux vidéo, il y a une équipe d'auteurs, qui de plus peut changer avec le temps et les modifications du jeu. Il en est de même dans le secteur du journalisme, où toute une équipe collabore ensemble. Les droits journalistiques sont particulièrement mal rémunérés ; j'ai été rapporteur en 2011, en urgence, du projet de loi relatif à la rémunération pour copie privée. La solution trouvée rémunère en fonction du volume stocké sur le disque dur, ce qui aboutit à surreprésenter la vidéo et l'interactif, au détriment du statique - l'écrit et la photo. Cela relève d'une approche quantitative technologique sans rapport avec la valeur de la création.

Le maintien de la perception des droits d'auteur pour les ayants droit 70 ans après le décès de l'auteur s'apparente à une économie de la rente, et amène parfois à des situations compliquées : ainsi, un arrière-petit-neveu d'André Gide interdit la republication de certaines oeuvres dans la Pléiade, bloquant le travail des éditeurs et des chercheurs. Certains descendants en viennent même à avoir des idées contraires à celles, de grande valeur intellectuelle et politique, de leurs illustres ascendants.

Il y a deux ans, le statut des compagnons de la Libération créé par le général de Gaulle a été révisé. Il était décerné à des villes et à des personnes. Tous les particuliers compagnons de la Libération étant décédés, certains ayants-droit professaient des idéologies proches du régime de Vichy. Désormais, l'association existe toujours mais n'en sont plus membres que les villes compagnons de la Libération. Cela pose un problème d'accessibilité à la culture, qui est bloquée par des gens ayant des visions particulières. Il en est de même pour les débats sur le numérique, la modernisation de l'école, de l'enseignement supérieur et de la recherche où le droit de citation universitaire est totalement bafoué. Ainsi, un de mes amis sémiologue qui avait écrit un livre sur Tintin au Tibet, après avoir envoyé en vain 18 requêtes auprès de Moulinsart SA pour obtenir le droit de reproduire des visuels, s'est vu contraint de dessiner des graffitis de pseudo reproductions.

J'avais évoqué ce sujet avec l'ancien commissaire Antonio Vitorino, chargé par Michel Barnier d'explorer cette question des droits d'auteur. Je regrette que rien ne soit posé sur la transparence des sociétés de répartition des droits d'auteur. Actuellement, il y a un lobby incroyable de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) et de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), qui consacrent 25 % de la ressource à des politiques culturelles. Les droits des irrépartissables - les oeuvres dont on ne trouve pas les auteurs - alimentent des caisses, chaque année, avec des intérêts. On ne tient absolument pas compte des rapports annuels de la commission de contrôle, de ces Sociétés de perception et de répartition des droits (SPRD), que nous avons auditionnées pour la première fois il y a quatre ans. L'argent ne revient pas aux auteurs mais bien plus aux gestionnaires des droits d'auteur. Le travail des rapporteurs est très bien mais des zones d'ombre et des interrogations de fond subsistent.

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