Intervention de Michel Barnier

Commission des affaires européennes — Réunion du 10 juin 2014 à 15h03
Économie finances et fiscalité — Audition de M. Michel Barnier commissaire européen chargé du marché intérieur et des services

Michel Barnier, commissaire européen chargé du marché intérieur et des services :

Monsieur le rapporteur général, le temps de la démocratie est forcément plus long que le temps des marchés. Le processus collégial n'est pas une formalité mais une garantie : l'alchimie entre services, cabinets, commissaires sert à construire l'intérêt général. Une fois que nous avons abouti à une proposition, vient le temps du processus démocratique, devant le Parlement et le Conseil en formation législative. Entre le moment où un texte est présenté et son adoption, il faut compter entre un et trois ans.

J'ai présenté le texte sur la réforme structurelle du secteur bancaire après que bien d'autres mesures ont été adoptées. Nous avons fait quarante-et-une lois, qui suffisaient pour la quasi-totalité des banques, mais pas pour les trente plus grandes. Il était plus sérieux de faire cette réforme après le reste. Je souhaite que le gouvernement et le Parlement français prennent leurs responsabilités sur un texte que je crois raisonnable et complémentaire des législations nationales existantes. « Un baiser aux Britanniques » ? Ce n'est pas comme ça que je travaille. J'ai proposé un texte qui va plus loin que la loi française et allemande en interdisant le proprietary trading, la spéculation pour compte propre, qui n'a aucun lien avec l'économie réelle. Je vais moins loin que le rapport Liikanen sur la filialisation : c'est un texte raisonnable pour traiter les vingt-neuf banques qui sont too big to fail, too complex to resolve, trop chères pour être financées par les fonds publics. Le rapport Vickers va théoriquement plus loin. La Commission contrôlera s'il y a bien équivalence entre les législations européenne et nationales ; si tel est le cas, il n'y aura pas lieu d'imposer la loi européenne.

Nous sommes le premier continent à avoir encadré les bonus, grâce au Parlement européen, que j'ai soutenu. La loi s'applique, cela n'a pas fait plaisir aux banques. L'ABE sera très vigilante sur les risques de contournement. Nous ne sommes pas une économie administrée, il n'est pas question d'encadrer les rémunérations mais les bonus porteurs de risques, risques qui sont payés in fine par le contribuable.

Nous n'avons pas interdit le trading haute fréquence, méthode utile pour la liquidité mais qui comporte des risques. Nous l'avons encadrée. Laissons ces mesures être mises en oeuvre, nous verrons s'il y a lieu d'aller plus loin. J'ai essayé de peser le pour et le contre. Le texte comporte en outre des dispositions intéressantes contre la spéculation excessive sur les matières premières, notamment agricoles, que je considère scandaleuse.

Sur la résolution, le dispositif est assez éloigné de ce que je proposais initialement, mais c'est le fruit d'un compromis. Le Conseil et le Parlement européen travaillent chacun de leur côté, puis il faut se mettre d'accord. Le dernier trilogue sur la résolution bancaire a duré dix-sept heures, sans interruption. Ce texte est sérieux, crédible, et a été reçu comme tel par les acteurs financiers. Même s'il y a une progressivité dans la mutualisation, le mouvement sera prouvé en marchant. L'important est d'avoir enfin un système de résolution, un mécanisme de décision rapide. Avec la directive Résolution, les actionnaires paieront plus que les contribuables. Les stress tests en cours démontreront sans doute certaines faiblesses des banques, qu'il faudra traiter par des mesures de restructuration bancaire, de capitalisation et d'appel au marché, mais nous ne sommes pas là dans le cadre d'une faillite bancaire.

J'ai soutenu depuis le premier jour la taxe sur les transactions financières, qui avait été demandée par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel. Mon collègue Algirdas Semeta, qui ne manque pas de courage, a présenté un texte ambitieux, avec une taxe à taux faible et base large, y compris sur les produits dérivés. Faute d'unanimité, il a été restreint. Onze pays ont décidé de s'engager, c'est un progrès. Une telle taxe me paraît économiquement supportable, techniquement assez facile et moralement juste. Je préfèrerais qu'elle soit mondiale, pour que les marchés financiers contribuent à relever les défis mondiaux.

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