Intervention de Thierry Repentin

Commission des affaires européennes — Réunion du 19 mars 2014 à 15h05
Institutions européennes — Débat préalable au conseil européen des 20 et 21 mars 2014

Photo de Thierry RepentinThierry Repentin :

ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. - Monsieur le président de la commission des affaires européennes, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis de participer, dans cette maison à laquelle je suis, vous le savez, très attaché, à ce débat préalable au Conseil européen des 20 et 21 mars prochain.

À l'heure où nous parlons, les conclusions de ce Conseil européen sont bien sûr encore en discussion entre les différents États membres. Hier, au cours du conseil Affaires générales, nous avons travaillé à la préparation de ce Conseil européen et aux différents points inscrits à son ordre du jour, sur lesquels je reviendrai.

Les enjeux sont cruciaux pour l'avenir des Européens - et même pour l'avenir de notre planète, le climat étant l'un des sujets majeurs du Conseil européen -, ainsi que pour la création des emplois du futur, eu égard à l'importance du volet industriel, qui n'est pas totalement disjoint de la question énergétique.

La politique industrielle et les objectifs en matière d'énergie et de climat sont donc les deux sujets essentiels inscrits à l'ordre du jour de ce Conseil européen qui clôturera aussi la première phase du semestre européen.

Cependant, le Conseil européen des 20 et 21 mars se tiendra dans un contexte particulier, l'actualité imposant aux chefs d'État et de Gouvernement d'aborder le sujet que vous venez de mentionner, monsieur le président, celui de la situation en Ukraine, laquelle n'a fait que s'aggraver au cours de ces derniers jours.

Comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, le président de la Fédération de Russie a signé hier un traité - c'est le terme employé - d'intégration de la Crimée à la Russie. Comme le Président de la République l'a indiqué hier, cet acte est intervenu après la tenue en Crimée d'un référendum illégal au regard tant du droit ukrainien que du droit international. C'est pourquoi la France et d'autres pays condamnent cette décision russe. Notre pays ne reconnaîtra donc ni les résultats du référendum organisé en Crimée le 16 mars dernier ni le rattachement de cette région d'Ukraine à la Russie.

Conformément à ce qui a été décidé par le Conseil européen extraordinaire du 6 mars dernier et compte tenu du fait que la Russie n'est pas entrée dans une logique de désescalade, le conseil Affaires étrangères d'avant-hier a adopté une liste de vingt et une personnes qui seront soumises à des sanctions, consistant en des gels d'avoirs et des interdictions de visas. Le même jour, en étroite concertation avec l'Union européenne, les États-Unis ont adopté des mesures similaires visant d'autres personnes.

Au travers de ces mesures, l'objectif est de sanctionner des responsables politiques ayant pris part à l'annexion de la Crimée par la Russie, tout en souhaitant laisser la porte ouverte au dialogue, comme Laurent Fabius l'a souligné à plusieurs reprises, à l'instar d'autres ministres des affaires étrangères de l'Union européenne.

Malgré cela, une nouvelle étape a été franchie hier par la Russie, ce qui va conduire le Conseil européen à donner, demain et après-demain, une autre réponse coordonnée entre les vingt-huit États membres de l'Union européenne.

Sur cette question, l'objectif du Conseil européen sera donc double.

D'une part, il s'agit d'afficher, à l'égard de la Russie, à la fois une fermeté unanime des vingt-huit pays de l'Union européenne et une ouverture au dialogue, car personne ne peut croire que, sans dialogue, y compris avec les autorités russes, une solution soit possible. Les chefs d'État et de Gouvernement de l'Union européenne décideront donc d'éventuelles mesures supplémentaires à la lumière des derniers développements. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous ne serez pas surpris d'apprendre que, sur cette question, des échanges auront encore lieu cet après-midi et demain entre les chefs d'État et de Gouvernement.

D'autre part, un certain nombre de décisions seront prises à l'égard de l'Ukraine, qui attend de l'Union européenne un soutien à la transition politique qu'elle est en train de conduire et aux réformes qu'elle va engager. Ce soutien se manifestera, lors du Conseil européen, par la signature des chapitres politiques de l'accord d'association auquel vous avez fait référence, monsieur le président. Ce sera naturellement un geste fort à l'égard du gouvernement intérimaire ukrainien, qui devra de son côté - cela lui sera redit - confirmer ses engagements en matière de réformes et de protection des minorités, notamment.

Nous pourrons ensuite signer le volet commercial de l'accord d'association, une fois que l'élection présidentielle en Ukraine aura eu lieu, c'est-à-dire avant la fin du mois de mai prochain. Auparavant, nous aurons déjà amorcé la mise en oeuvre unilatérale du volet commercial de cet accord pour aider l'Ukraine à surmonter ses difficultés économiques. L'aide européenne à l'Ukraine prendra aussi la forme d'un « paquet » de mesures d'assistance présenté par la Commission européenne ; cela figurera aussi à l'ordre du jour du Conseil européen. Ce « paquet » doit contribuer à la stabilisation et au développement du pays. L'Union européenne le prépare en liaison avec des institutions financières internationales telles que le FMI, la Banque européenne d'investissement, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, ainsi que d'autres grands partenaires bilatéraux ; je pense notamment aux États-Unis, au Canada et au Japon.

Avec cette crise internationale, l'actualité sera donc au centre du Conseil européen. Elle masquera sans doute, hélas ! les autres dossiers importants inscrits à l'ordre du jour, sur lesquels je souhaite maintenant revenir.

Le premier de ces dossiers est celui de la politique industrielle.

Il s'agit d'un enjeu fondamental dont l'Europe doit se saisir davantage et qui dépend fortement des avancées que nous obtiendrons sur le second point figurant à l'ordre du jour, à savoir l'énergie.

Les discussions s'appuieront sur la communication de la Commission européenne du 22 janvier dernier intitulée « Pour une renaissance industrielle », qui place en son coeur l'interdépendance entre notre politique industrielle et le développement de notre marché intérieur, l'accès de l'industrie aux financements, la promotion de la recherche-développement et de l'innovation.

C'est donc un sujet transversal et particulièrement structurant pour la préparation de l'avenir et la création des emplois de demain.

C'est dans ce cadre que la France milite pour que ce Conseil européen permette de doter les institutions européennes d'une véritable feuille de route.

En effet, il est crucial que l'Union européenne reconstruise une base industrielle solide, en adoptant une politique industrielle volontariste, à l'image de ce que font nos principaux partenaires. Il s'agit non seulement d'un impératif économique, au nom de la croissance et de l'emploi, mais aussi d'un impératif politique, au nom de la nécessaire souveraineté de l'Europe.

Sur le fond, nous sommes favorables à l'objectif de relèvement de la part de l'industrie à 20 % du PIB européen à l'horizon 2020 proposé par la Commission européenne. Afin de l'atteindre, il est nécessaire de mobiliser toutes les politiques européennes pertinentes. Cela vaut pour la politique de recherche et d'innovation, la politique énergétique et climatique, le marché intérieur, la politique de soutien aux PME, mais également la politique de concurrence et la politique commerciale.

Une attention particulière doit être accordée, dans ce cadre, à l'établissement d'un cadre européen propice à l'innovation, à la croissance et à l'emploi, tout en prenant en compte la nécessité de garantir des conditions de concurrence loyale pour nos entreprises dans la compétition mondiale.

Nous souhaitons - mais cela n'est en rien évident - que, sur cette question, le projet de conclusions du Conseil européen indique que le cadre applicable aux aides d'État doit être simplifié, notamment en relevant le seuil de minimis, et doit mieux tenir compte de l'avantage comparatif dont les entreprises des pays tiers, moins contraintes, peuvent bénéficier. Ce serait une inflexion très marquée par rapport à ce qui s'est fait jusqu'à présent.

Nous attendons également du Conseil européen de cette semaine qu'il souligne la nécessité de prendre des initiatives visant spécifiquement certains secteurs importants pour la croissance et l'emploi. À cet égard, la Commission européenne devrait poursuivre ses initiatives relatives à des secteurs traditionnels importants, dont l'automobile et la sidérurgie, mais également étendre cette approche à des secteurs d'avenir tels que les technologies vertes - énergies renouvelables, économie circulaire, technologies marines, etc. Nous devons également donner un nouvel élan aux secteurs industriels spécifiques sur lesquels le Conseil européen s'est penché en 2013 : l'énergie, le numérique et la défense.

L'énergie et le climat sont également à l'ordre du jour de ce prochain Conseil européen. Ce second point, qui sera traité vendredi, doit permettre de définir des orientations pour le futur cadre de l'Union européenne en matière énergétique et climatique pour l'après 2020 sur la base du « paquet » présenté par la Commission européenne le 22 janvier dernier.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j'attire votre attention sur le fait que, pour l'instant, c'est la prudence qui semble être à l'ordre du jour. Le texte actuel ne propose pas formellement d'endosser l'objectif de réduction de 40 % des rejets de gaz à effet de serre dans l'atmosphère d'ici à 2030 ; il prévoit plutôt un renvoi à la fin de l'année pour l'adoption d'une décision en la matière.

Notre position sur ce point est très claire : nous demandons que l'ambition européenne soit maintenue et nous saluons la communication de la Commission européenne sur ce sujet.

Nous oeuvrons donc pour améliorer le projet de conclusions du Conseil européen tant sur l'objectif que sur le calendrier d'adoption de l'engagement de l'Union européenne en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Il faudrait que le Conseil européen salue la communication de la Commission européenne du 22 janvier dernier en indiquant qu'elle constitue la base appropriée pour permettre à l'Union européenne d'endosser le plus tôt possible, avec comme perspective le sommet organisé par M. Ban Ki-Moon au mois de septembre prochain, l'objectif de réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre de l'Union européenne proposé par la Commission européenne. Nous avons également à l'esprit, bien sûr, le grand sommet climatique que la France a la responsabilité d'organiser à Paris en 2015.

Cela étant, nous ne sommes pas naïfs : nous savons que l'Union européenne ne pourra pas, par sa seule exemplarité, entraîner le reste du monde vers la conclusion d'un accord ambitieux en 2015. Toutefois, force est de constater que l'Union européenne a aujourd'hui un poids bien plus important que celui de ses émissions - 11 % du total mondial - dans les négociations internationales. Sans prétendre être les seuls moteurs, il nous revient de contribuer à l'effet d'entraînement nécessaire au sein de la communauté internationale.

Or si le prochain Conseil européen aboutissait à des conclusions légères sur cette question, ce serait un signal très négatif envoyé aux autres pays, alors même que ceux-ci réfléchissent actuellement à leurs propres engagements.

Il est par ailleurs crucial pour nos entreprises que l'Union européenne adresse dès à présent un signal politique fort aux investisseurs pour inscrire la transition énergétique dans la durée. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons tous que le marché carbone européen fonctionne. Or c'est précisément d'un nouvel objectif CO2 que ce marché a le plus besoin pour que le prix de la tonne de CO2, actuellement très bas, se réapprécie, rendant par là même le système effectif.

Enfin, nous souhaitons que le texte des conclusions affirme le besoin réel d'une flexibilité accrue pour les interventions publiques - ce qui inclut les aides d'État - dans le domaine des énergies renouvelables ou des industries énergo-intensives.

Par ailleurs, le Conseil européen clôturera le premier semestre européen.

Cette clôture se fera par l'endossement des objectifs qui devront présider à l'élaboration des documents nationaux que les États membres remettront à la Commission européenne d'ici à la fin du mois d'avril prochain et qui, comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, feront ensuite l'objet de propositions de recommandations-pays de la part de la Commission européenne.

Sur ce point, le projet de conclusions répond à nombre de nos attentes, car il rappelle le nécessaire équilibre entre discipline budgétaire et croissance, le besoin de restaurer les conditions du financement réel de notre économie, ainsi que la nécessité de lutter contre les conséquences sociales de la crise.

Le semestre européen ne doit pas se résumer à ces aspects, puisqu'il s'agit d'abord de définir des grandes orientations politiques, sur lesquelles les États doivent ensuite s'appuyer à l'échelon national.

Au-delà des trois grandes thématiques que j'ai développées, le Conseil européen reviendra sur des questions de fiscalité. Je pense que nous sommes très près d'aboutir. En effet, grâce aux avancées enregistrées lors du dernier conseil Ecofin, le Conseil européen devrait être en mesure de saluer un accord politique sur la directive concernant la fiscalité de l'épargne. Ce dossier était en discussion depuis sept ans et était jusqu'à présent bloqué par deux pays, l'Autriche et le Luxembourg. C'est donc un grand pas en avant ; nous progressons vers l'échange automatique d'informations fiscales. Il s'agit d'une demande forte de la France, que nous soutenons à l'échelon européen depuis dix-huit mois.

Puisque M. le président Sutour y a fait référence, j'ajouterai un dernier mot sur le sommet Union européenne-Afrique des 2 et 3 avril prochains. Celui-ci doit marquer une étape supplémentaire dans le renforcement de la relation entre l'Europe et le continent africain, et permettre de dégager de nouveaux axes de travail concrets.

Ce sommet sera sous-tendu par deux priorités.

La première priorité est, bien évidemment, la question de la sécurité sur le continent africain. À ce jour, nous nous efforçons encore d'obtenir des réponses suffisamment concrètes pour donner corps à l'engagement qui a été pris, notamment par Mme Ashton, de mettre sur pied un contingent européen qui soit à la hauteur des ambitions qu'elle avait elle-même fixées : environ 1 000 hommes. Nous n'en sommes pas encore là aujourd'hui, même si plusieurs centaines de soldats doivent intervenir au côté des troupes françaises et africaines.

La seconde priorité de ce sommet Union européenne-Afrique, c'est la question climatique. Dans la perspective du sommet qui se tiendra à Paris en 2015, nous souhaitons engager des négociations dans ce domaine avec le continent africain pour étudier la manière dont nous pouvons progresser ensemble vers l'adoption de mesures concrètes à cette échéance.

Voilà les quelques éléments d'information que je souhaitais vous communiquer, mesdames, messieurs les sénateurs.

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