Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Conseil européen des 20 et 21 mars prochain se tiendra dans un contexte de crise de la zone euro.
Cela a été dit, la croissance, la compétitivité et l'emploi seront les principales thématiques inscrites à l'ordre du jour. Les discussions permettront notamment d'aborder le sujet essentiel du coût de l'énergie dans la production et la compétitivité industrielles. Dans ce cadre, un débat d'orientation aura lieu sur la base de la communication de la Commission européenne en matière de climat et d'énergie.
Bien évidemment, comme à l'accoutumée, un point sera fait sur l'évolution de l'Union économique et monétaire, avec l'objectif d'évaluer les progrès d'ensemble réalisés dans la mise en oeuvre des recommandations pour chaque pays.
Par ailleurs, ce sera également l'occasion de dresser un bilan de l'avancement des travaux concernant la mise en oeuvre de la stratégie Europe 2020, qui vise à développer une croissance intelligente, durable et inclusive.
Si nous soutenons volontiers la démarche de recherche d'une croissance durable et intelligente, que nous estimons nécessaire au vu de la transition énergétique en cours, nous sommes, en revanche, beaucoup plus sceptiques sur les conclusions de ce Conseil européen en matière de bilan économique. Une fois de plus, les décisions seront prises aux dépens des spécificités et des intérêts des États.
Or, en matière d'énergie, c'est non seulement l'incidence sur l'environnement qu'il faut prendre en compte, mais également la portée sociale et économique inhérente à toute réflexion préalable aux transitions énergétiques.
Certes, il faut une énergie plus propre, mais il importe qu'elle soit accessible, produite et distribuée par des réseaux publics en dehors de toute concurrence libérale qui se ferait au détriment des consommateurs.
La définition même du développement durable, concept issu, en 1992, du rapport Brundtland, repose sur les trois piliers que sont l'économique, le social et l'écologique, soutenus par une gouvernance fondée sur la participation de tous les acteurs au processus de décision.
Nous sommes loin de telles considérations avec les décisions de la Commission européenne... Celle-ci souhaite imposer son orthodoxie libérale en dehors de toute prise en compte des spécificités nationales.
Non seulement l'ultra-libéralisation du secteur énergétique pourrait toucher durablement les ménages français, mais elle remettrait en cause la notion d'énergie comme bien universel. Il s'agit finalement d'imposer d'en haut des mesures déconnectées de toute réalité vécue par les citoyens.
Il en est de même pour les négociations relatives au traité transatlantique, dont on ne sait pas grand-chose et sur lesquelles aucun Parlement ni aucun citoyen n'a de droit de regard. Négocié dans le plus grand secret, ce traité, ardemment soutenu par les grandes multinationales, prévoit l'ouverture à la concurrence et la déréglementation de nombreux secteurs, notamment les services publics.
Bien que l'on nous répète que cela n'est pas, pour le moment, à l'ordre du jour - nous en doutons -, ce traité est une copie conforme de l'accord multilatéral sur l'investissement négocié entre 1995 et 1997, qui prévoyait déjà une libéralisation accrue des échanges à l'exclusion de toute barrière inscrite dans les législations nationales. Il bradera des pans entiers du secteur non marchand et présente donc un certain nombre de menaces pour les droits sociaux, l'emploi, l'environnement, l'agriculture, les droits civiques, la vie privée, la santé, la régulation financière et la démocratie. Nous sommes donc plus que sceptiques sur les effets positifs à attendre de ce traité transatlantique en termes d'emplois et de croissance.
Monsieur le ministre, pourriez-vous faire un point précis sur l'état des négociations, les mesures discutées et les dispositions protectrices prévues, afin de clarifier la situation ? Surtout, nous demandons un droit de regard du Parlement et des citoyens sur cet accord, qui est susceptible de modifier totalement notre paysage économique et social.
Par ailleurs, il est fâcheux de constater que la Commission européenne ne se gêne pas pour user de son droit de regard sur les États membres, notamment sur ceux qu'elle considère comme étant les mauvais élèves : avec certains indicateurs économiques dans le rouge, la France est désormais placée sous haute surveillance !
Le 5 mars dernier, la Commission européenne exprimait, par la voix de son commissaire aux affaires économiques et monétaires, Olli Rehn, ses griefs contre la France : le coût du travail serait trop élevé dans notre pays, la dette publique ne cesse de gonfler et la compétitivité n'est pas au rendez-vous. Dans un communiqué, la Commission européenne explique que l'aggravation de déséquilibres macroéconomiques impose la mise en place d'une surveillance étroite et l'adoption de mesures politiques ambitieuses. En dénonçant le franchissement de la barre des 3 % par le déficit public français, la Commission européenne exerce, ni plus ni moins, une police budgétaire.
Les dirigeants européens réclament donc, sans surprise, une nouvelle casse sociale du système économique français, alors que la France est la deuxième économie de l'Europe. Cette ingérence de la Commission européenne dans les comptes publics de la France est une atteinte à la souveraineté nationale et relève d'un déni de démocratie de la part des institutions européennes.
Pourtant, la France a les moyens d'être compétitive et dispose de toutes les ressources, aussi bien humaines que technologiques, pour relever le défi de l'innovation et de la croissance. En ce sens, nous saluons la prise de position de M. le ministre chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation, Benoît Hamon, qui a osé évoquer le coût du capital, quand seul le coût du travail est pointé du doigt pour expliquer une compétitivité prétendument trop basse.
Certains avancent que le manque de compétitivité de nos entreprises sur le marché international est dû au coût du travail dans notre pays et à nos acquis sociaux ; pourquoi, pour reprendre les termes de M. Hamon, ne pas examiner si la faiblesse des investissements n'est pas aussi la conséquence d'un coût du capital trop élevé ? N'est-il pas temps d'engager enfin de véritables discussions sur le coût du capital pour l'économie et la compétitivité françaises ?
De même, nous aimerions savoir, monsieur le ministre, ce qu'il en est des discussions sur la fameuse taxe sur les transactions financières. La création de cette taxe serait, nous dit-on, en bonne voie, mais elle ne cesse d'être reportée à plus tard. De plus, des exceptions seraient prévues. On peut légitimement s'interroger : face à la levée de boucliers des banques, la volonté politique ne va-t-elle pas encore céder ?
Enfin, le Conseil européen sera aussi l'occasion d'aborder le volet des relations extérieures de l'Union européenne. À cet égard, la situation ukrainienne nous impose de relever deux défis importants.
En premier lieu, l'Ukraine - unitaire ou coupée en deux - ne doit pas servir de zone tampon où Américains, Européens et Russes batailleraient pour sauvegarder leurs intérêts au détriment des Ukrainiens. Après plusieurs années de lutte contre l'oligarchie de la corruption, que ce soit celle du président Ianoukovitch, celle de son prédécesseur Viktor Iouchtchenko ou encore celle de la nouvelle faction au pouvoir, les Ukrainiens veulent un pays apaisé, démocratique, qui puisse enfin se concentrer sur son développement économique. L'Union européenne et la France doivent pleinement s'engager dans le soutien aux forces progressistes et démocratiques ukrainiennes.
En second lieu, il ne s'agit pas de prendre parti de façon unilatérale dans ce conflit géopolitique dans lequel préexistent des intérêts non seulement politiques, mais également économiques et énergétiques.
L'Union européenne et la France doivent travailler à remettre à plat au plus vite les négociations et les discussions avec la Russie, partenaire historique, afin d'élaborer une politique de voisinage dépassant les tensions et les ruptures du passé, que les résultats du référendum organisé dimanche dernier en Crimée n'ont fait qu'exacerber.
Les aspirations des anciens pays d'Europe centrale et orientale - les PECO - ne peuvent trouver de réponse complète ni auprès de la seule Union européenne ni auprès de la seule Russie, comme l'expliquent d'ailleurs nos collègues Simon Sutour et Jean Bizet dans leur rapport d'information.
Il nous revient d'encourager et de soutenir le processus démocratique, mais laissons au peuple ukrainien la liberté de se prononcer sur les questions d'intérêt national dont il est le seul garant.
Je conclurai mon propos en évoquant la tenue du quatrième sommet Union européenne-Afrique, les 2 et 3 avril prochain à Bruxelles. Ce sera l'occasion de resserrer les partenariats existants et de progresser vers une meilleure collaboration. Il est plus que nécessaire de tirer les leçons de l'échec de la conférence de Tripoli de 2010 et de redéfinir les partenariats stratégiques usés par le régionalisme et le manque de cohérence et de collaboration au sein de l'Union africaine. J'ai compris, monsieur le ministre, que ce sera aussi le moment de faire le point sur la participation européenne à l'intervention menée en Centrafrique. La mobilisation européenne, si laborieuse, continue à se faire attendre !
Telles sont les réflexions que le groupe CRC souhaitait verser au débat préalable au prochain Conseil européen.