Intervention de Simon Sutour

Commission des affaires européennes — Réunion du 24 octobre 2013 : 1ère réunion
Politique de voisinage — La politique méditerranéenne de l'union l'exemple du maroc et de la tunisie : rapport d'information et proposition de résolution européenne de m. simon sutour mmes bernadette bourzai catherine morin-desailly et m. jean-françois humbert

Photo de Simon SutourSimon Sutour, président :

Bernadette Bourzai, Catherine Morin-Desailly, Jean-François Humbert et moi-même nous sommes rendus au Maroc et en Tunisie du 1er au 6 septembre derniers afin d'évaluer sur place la perception qu'avaient ces pays de la politique méditerranéenne de l'Union européenne, 18 mois après le printemps arabe.

Quinze ans après son lancement à l'occasion du processus de Barcelone, la politique méditerranéenne de l'Union européenne a été en effet profondément bouleversée par ces événements. Concentrée jusque-là sur les aspects commerciaux ou le lancement de grands projets, l'Union européenne n'avait pas anticipé les profondes mutations socio-politiques qui ont conduit à l'explosion de janvier 2011.

Le printemps arabe a révélé une vision européenne des enjeux méditerranéens décalée par rapport à la réalité politique et sociale des États de la rive Sud de la Méditerranée. Le processus de Barcelone puis l'Union pour la Méditerranée étaient plus motivés par la volonté de certains États membres de l'Union européenne d'intensifier leurs échanges commerciaux avec les pays de la rive Sud et de développer une coopération en matière de lutte contre le terrorisme et de gestion des flux migratoires que d'oeuvrer véritablement à la promotion des valeurs reconnues par l'Union européenne.

La réaction de l'Union européenne a cependant été efficace, puisqu'elle a mis en place dès le mois de mars 2011 de nouveaux instruments financiers dédiés à cette région, mais aussi des programmes destinés à consolider les réformes démocratiques. Un nouveau fonds de soutien au partenariat, à la réforme et à la croissance inclusive : le programme SPRING, doté de 350 millions d'euros, a ainsi été créé. Les initiatives soutenues par ce programme se concentrent sur les défis socioéconomiques urgents auxquels doivent faire face les pays concernés (60 % des crédits) et sur l'accompagnement du processus de transition démocratique (40 % des crédits). Les financements s'effectuent sur la base d'une évaluation des avancées du pays en matière démocratique, selon le principe « More for more ». Plus un pays est engagé sur la voie de la modernisation politique et institutionnelle, plus le financement est important. Dès le lancement du programme, l'Égypte, la Jordanie, le Maroc et la Tunisie ont bénéficié de ces fonds. Des négociations pour la signature d'un accord de libre-échange complet et approfondi avec ces quatre pays ont également été lancées. Le Maroc fait figure, à cet égard, de bon élève : il est le plus motivé et le plus avancé.

Je le rappelais hier, la priorité accordée ces dernières semaines au volet oriental de la politique européenne de voisinage dans la perspective du sommet de Vilnius du 28 novembre 2013 ne peut l'être au détriment des actions déjà menées dans les pays de la rive Sud de la Méditerranée. L'Union européenne doit poursuivre son action en faveur du développement politique, économique et social de la région au travers de formules innovantes, à l'instar du Statut avancé mis en oeuvre avec le Maroc. Le printemps arabe et ses conséquences justifient pleinement le maintien du financement actuel de la politique européenne de voisinage : un tiers des crédits pour les pays du partenariat oriental et les deux tiers restants pour la rive Sud de la Méditerranée. Il s'agit désormais d'accompagner la consolidation démocratique en cours dans ces pays, qu'ils soient plus ou moins bien avancés sur cette voie.

Reste à utiliser de façon optimale ces fonds. Les dispositions prises par l'Union européenne pour accompagner le printemps arabe sont parfois comparées à l'effort entrepris au moment de la chute du Mur de Berlin, en direction de l'Europe centrale et orientale. Cette comparaison doit cependant être évitée. Si, au début des années 90, l'Union européenne pouvait développer des instruments uniformes à destination de pays issus d'un même bloc, le printemps arabe appelle des réponses plus ciblées. Les pays de la rive Sud de la Méditerranée ne présentent pas tous le même degré d'évolution démocratique, comme en témoignent les soubresauts égyptiens, les tensions claniques en Libye ou, bien évidemment, la poursuite de la guerre civile en Syrie.

L'approche ciblée par pays ne doit pas pour autant exclure une approche transversale, afin de mettre en oeuvre une véritable coopération intercontinentale. Elle doit permettre aux États de la rive Sud de la Méditerranée de ne pas forcément regarder vers les États-Unis, la Turquie ou les monarchies pétrolières du Golfe persique pour faire face aux défis de la modernité. Il importe ainsi que l'Union européenne encourage une véritable unification du Maghreb. Le coût du non-Maghreb est estimé entre 1 et 2 points de croissance pour chacun des États concernés, quand bien même un accord de libre-échange unit Égypte, Tunisie et Maroc. Moins de 10 % des échanges dans la région méditerranéenne se font entre États de la rive Sud. Un tel processus permettrait également de faire de la rive Sud de la Méditerranée le point de contact pour permettre aux entreprises européennes de pénétrer le marché africain.

Au-delà de la question économique, une coopération transversale présente un réel intérêt stratégique, en vue notamment de lutter contre les mouvances islamistes au Sahel et au Sahara. Le combat contre ces groupes radicaux passe indubitablement par un partenariat avec les pays de la zone, eux même soumis à ces menaces.

Nous détaillons avec mes collègues, dans le rapport et la proposition de résolution européenne qui lui est annexée, les institutions sur lesquelles l'Union européenne pourrait s'appuyer pour faire avancer une telle coopération transversale, de l'Union pour la Méditerranée à la Communauté des États sahelo-sahariens, en passant par le dialogue « 6+6 » ou l'Union du Maghreb arabe. La question des migrations pourrait également être traitée à ce niveau.

Pour conclure, je m'attarderai quelques instants sur la situation des deux pays dans lesquels nous nous sommes déplacés, le Maroc et la Tunisie.

Le Maroc fait incontestablement figure de bon élève dans la zone. Sous l'impulsion du roi, il a su anticiper le printemps arabe, s'engageant sur la voie de la démocratisation dès 1999. La Constitution, adoptée en 2011, est venue couronner cette logique. Elle met en place un régime parlementaire, garantissant les droits fondamentaux. Sur le plan économique, le lancement du projet Tanger Med en 2001 a rapproché un peu plus ce pays du continent européen, ouvrant clairement le marché africain aux entreprises du Vieux continent. Le port de Tanger disposera d'ailleurs d'ici à 2015-2016 de la même capacité de traitement de conteneurs que celui de Rotterdam. Restent bien évidemment des défis sociaux auxquels le pays est confronté, je pense au chômage des jeunes, à la formation, au faible taux d'activité des femmes - dans un contexte économique relativement morose. Contexte qui peut d'ailleurs susciter un certain nombre de réticences quant à une plus grande libéralisation des échanges avec l'Union européenne. Le Maroc reste néanmoins à l'avant-garde des pays du Bassin méditerranéen dans ses rapports avec l'Union européenne, puisqu'il dispose depuis 2008 d'un statut avancé. Cette formule originale peut être résumée par la formule « plus que l'association et moins que l'adhésion ». Elle conduit aujourd'hui le pays à se lancer dans un grand travail de convergence réglementaire de ses normes avec celles de l'Union européenne. Travail réellement titanesque que la France soutient au travers d'un grand nombre de programmes de jumelages entre les administrations de nos pays.

La Tunisie se trouve, quant à elle, dans une situation plus délicate. Bien qu'il dispose d'indéniables atouts économiques, le pays reste miné par une transition démocratique ralentie par le conflit larvé entre islamistes et modernistes et l'apparition de la violence politique avec l'assassinat de deux députés en février et juillet derniers. L'Assemblée nationale constituante a dû suspendre ses travaux quelques semaines face au boycott d'une partie de ses membres. Le lancement d'un dialogue national le 5 octobre constitue une tentative de sortie de crise par le haut, avec la démission annoncée du gouvernement et son remplacement par un cabinet technique sous un mois, soit le délai accordé à l'Assemblée nationale constituante pour parvenir à un accord sur un projet de constitution. Des élections législatives se tiendront ensuite courant 2014.

C'est dans ce contexte difficile que se poursuit, au ralenti, le rapprochement avec l'Union européenne en vue de concrétiser le statut de partenaire privilégié accordé à la Tunisie en novembre 2012. Comme au Maroc, les négociations visent à créer une zone de libre-échange et à faciliter la mobilité entre l'Union européenne et la Tunisie. La priorité reste néanmoins pour l'Union européenne d'encourager toutes les forces politiques à sortir rapidement de la crise politique afin que le pays puisse disposer d'institutions stables pour négocier avec elle. Si tel était le cas, le chaos aurait alors été « fécond », selon une expression entendue lors de nos entretiens sur place.

Je laisse maintenant la parole à mes collègues pour compléter, s'ils le souhaitent, ce bref compte-rendu.

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