Intervention de Daniel Raoul

Commission des affaires européennes — Réunion du 9 février 2017 à 8h30
Institutions européennes — Simplification du droit européen : rapport d'information proposition de résolution européenne et avis politique de mm. jean bizet pascal allizard philippe bonnecarrère michel delebarre jean-paul emorine claude kern didier marie daniel raoul et simon sutour

Photo de Daniel RaoulDaniel Raoul :

Je retiens essentiellement deux enseignements du travail mené avec Pascal Allizard sur le processus normatif européen, l'un assez classique, l'autre plus original ; ce fut une découverte pour moi.

Le premier enseignement est qu'à l'initiative de la Commission Juncker, des efforts sont déployés pour que l'Europe intervienne là où on l'attend et ne complique pas les choses là où on ne l'attend pas, c'est-à-dire pour décider au plus près des réalités et des besoins. Je n'insisterai pas sur les exemples tels que le volume des cuves de toilettes et la taille des bananes. C'est le fameux « mieux légiférer » européen, qui a donné lieu en avril 2016 à un accord entre les trois grandes institutions bruxelloises. Cela n'a pas empêché des ratés comme le récent projet de directive sur les armes à feu, mais je retiens toutefois deux points qui nous donnent espoir : tout d'abord, ce « mieux légiférer » s'applique aussi au passé ; nous l'avions évoqué lors d'une réunion précédente de notre commission. Il concerne le stock de propositions de la Commission dans lequel un grand ménage a été fait depuis deux ans et s'applique au stock de réglementations européennes inutiles ou trop complexes qui sont passées au crible de la plateforme REFIT, rénovée l'an dernier. Notre commission se souvient du texte sur le plomb dans le cristal ou du projet de directive stupide qui interdisait tout simplement l'utilisation des scanners et des IRM, car on était en présence d'un champ électromagnétique.

Ensuite, ce « mieux légiférer » ne semble pas être une simple réforme de processus administratif, mais procède d'une véritable volonté politique portée en particulier par le premier vice-président de la Commission, M. Timmermans. Il est en effet urgent de rendre plus efficace le processus normatif européen vis-à-vis des citoyens. Nous n'avons plus le temps de modifier les traités, personne n'envisage d'en écrire un nouveau, tout cela doit donc être engagé dans le cadre institutionnel existant. Nous sommes d'avis que le « mieux légiférer » combiné au meilleur respect du principe de subsidiarité et de proportionnalité posé par le traité de Lisbonne peut donner des résultats. Cela se fera notamment si la nouvelle procédure d'études d'impact inclut davantage les PME, qui sont les grandes exclues des processus de normalisation, notamment en étendant la pratique des tests PME ; si ces études s'appliquent aux actes délégués et aux actes d'exécution, qui en ont souvent le plus besoin ; si les évaluations ex post sont vraiment pratiquées ; si nos administrations nationales jouent le jeu. Or à ce jour, alors qu'on parle de « mieux légiférer » à Bruxelles et de « choc de simplification » à Paris, il serait souhaitable que les deux initiatives s'articulent.

Le deuxième enseignement concerne un aspect moins connu du processus normatif européen : de nombreuses normes européennes sont des coproductions public-privé. On pourrait presque parler d'un partenariat public-privé, ou PPP, où le maître d'ouvrage est la Commission ; les PME souffrent d'un manque de représentativité, la participation aux différents groupes de travail n'étant pas à leur portée.

Je ne parle pas du lobbying classique par lequel les grands groupes tentent trop souvent d'imposer des normes qui finissent par tuer la concurrence, en particulier parce que les PME ne peuvent les satisfaire, ni des procédures de consultations publiques, mais d'un phénomène qui porte un nom un peu barbare, le « mandat de normalisation », qui prend une importance considérable depuis quinze ou vingt ans. Dans un grand nombre de secteurs, les directives européennes se contentent de fixer les caractéristiques générales auxquelles les produits européens doivent répondre et renvoient, pour les éléments plus précis, à des normes négociées essentiellement entre les professionnels au sein du Comité européen de normalisation, le CEN, qui est l'AFNOR européen. Si elles sont validées par la Commission, ces normes ne sont plus de simples normes volontaires de type ISO ou AFNOR, mais pas non plus des normes obligatoires. Elles sont dans un entre-deux : les produits qui répondent à ces normes bénéficient d'une présomption de conformité pour obtenir le marquage CE qui ouvre les portes du marché intérieur. Il est toujours possible de respecter la directive par d'autres procédés, si on le prouve. Évidemment, il y a là encore deux poids, deux mesures : les PME ont moins les moyens d'administrer cette preuve et d'échapper à la norme que les grandes entreprises, ce qui peut mettre en danger leur capacité d'innovation vis-à-vis des grands groupes.

Les normes du CEN adoptées sous mandat ont donc in fine un caractère quasi obligatoire. C'est un élément de simplification qui évite d'avoir des législations européennes trop détaillées ou peu flexibles. Mais ce faisant, cela crée aussi une zone grise qui complexifie la notion de norme européenne.

Le rapport propose quelques améliorations pour clarifier les procédures du CEN, vers moins de lobbys et plus de représentativité, et pour simplifier l'accès de nos entreprises à ces normes. En effet, même dans le cas où elles sont rendues obligatoires par l'État français, l'accès à ces normes est payant. C'est notamment très sensible dans le domaine du bâtiment. « Nul n'est censé ignorer la loi », dira-t-on à nos PME, mais quand cette loi est complexe à identifier et de surcroît payante, cela fait beaucoup !

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