Intervention de Jean Bizet

Commission des affaires européennes — Réunion du 14 mai 2014 à 15h00
Énergie — Coopération énergétique franco-allemande - rapport d'information de m. jean bizet

Photo de Jean BizetJean Bizet :

Vous connaissez l'intérêt que je porte aux relations franco-allemandes, thème auquel j'ai consacré assez récemment un rapport, dont celui que je vous présente aujourd'hui constitue une sorte de prolongement.

La coopération énergétique franco-allemande est un thème capital pour l'avenir économique de l'Union européenne, dont la réindustrialisation est notamment conditionnée par la disponibilité d'une énergie concurrentielle avec celle proposée sur le continent nord-américain.

Ce thème comporte de nombreux aspects, techniques ou économiques, abordés de façon systématique dans le rapport.

Aujourd'hui, je me propose d'adopter un autre axe d'approche, en faisant porter la présentation sur les enjeux : le coût de la transition énergétique engagée en Allemagne ; les conséquences délétères à grande échelle inhérentes à l'intermittence des énergies renouvelables éoliennes ou solaires ; les pistes techniquement prometteuses pour éviter ces graves effets ; enfin, le modèle économique très particulier des énergies renouvelables et les conclusions à en tirer.

Une facture annuelle qui atteint 24 milliards d'euros en 2012, avec un dynamisme très soutenu : tel est le coût de la transition énergétique en Allemagne, où les exonérations en faveur d'industries électro-intensives coûtent bon an mal an, 500 millions de plus que l'année précédente : le montant est passé en 2013 de 5,1 milliards d'euros à 5,6 ! Les autres consommateurs, notamment les ménages, subissent ainsi de plein fouet le coût astronomique induit par la décision d'éliminer à marche forcée la production électronucléaire en Allemagne, accompagnée d'une politique extrêmement volontariste quant au développement des énergies renouvelables, alors que les ressources hydroélectriques allemandes ne sont pas illimitées.

Au coût stratosphérique des subventions publiques, versées à guichet ouvert sans égard pour l'intérêt de la production renouvelable concernée, s'ajoute l'impossibilité concrète de persévérer dans une voie qui n'offre pas de perspective réaliste en matière d'énergie renouvelable, du moins tant que les conséquences délétères de l'intermittence continuent à se manifester avec la force irrésistible que nous connaissons.

En effet, la cause majeure des graves difficultés est inhérente à une caractéristique majeure du soleil et du vent : ils ne se manifestent que de façon intermittente.

Or, l'intermittence de ces énergies renouvelables offre aujourd'hui ses pires aspects dans toute leur plénitude.

Le premier est le surinvestissement en capacités par rapport à la contribution moyenne au bouquet énergétique. Pour obtenir une quantité d'électricité donnée, il faut créer une capacité trois fois plus importante pour l'éolien de mer, quatre fois plus grande pour l'éolien terrestre et huit fois plus en photovoltaïque ! Ainsi, la composition du bouquet d'énergies renouvelables remplaçant un certain niveau d'énergies traditionnelles peut se traduire par l'obligation de créer des capacités nouvelles atteignant au moins cinq fois celles détruites pour peu que l'on répartisse les capacités de remplacement à raison d'un tiers dans chacune de ces trois grandes filières de production d'électricité renouvelable.

Il est vrai que la moyenne décevante d'utilisation complète est la résultante de moments où aucune énergie renouvelable n'est produite, de périodes où le débit est simplement inférieur au potentiel maximal et de pointes où chaque source d'énergie renouvelable produit au maximum. En Allemagne, la situation est particulièrement critique pour des raisons de géographie : les énergies renouvelables principalement produites au nord, la consommation industrielle est concentrée au sud, mais la population allemande refuse la construction de nouvelles lignes à haute tension.

Hélas, et contrairement à ce que l'on pourrait croire, cette dernière situation comporte elle aussi de graves inconvénients techniques et économiques.

Techniquement, l'électricité produite doit bien aller quelque part, à un moment où les autres sources de production électrique ne sont pas nécessairement à l'arrêt. Or, la capacité maximale des énergies renouvelables allemandes atteint la consommation courante du pays. Comme le soleil et le vent conjuguent leurs forces indépendamment de la demande, l'afflux massif d'électricité renouvelable rend aisément inutiles toutes les autres sources d'électricité. Tant qu'elles ne sont pas arrêtées, ce qui n'est pas possible rapidement en dehors des centrales au gaz, l'excès d'électricité emprunte les lignes à haute tension disponibles, hors des limites frontalières lorsque les lignes nationales sont déjà utilisées au maximum de leurs possibilités. Ce phénomène revient à répercuter sur ses voisins certains inconvénients d'une transition lancée de façon hâtive.

Mais transporter l'électricité ne suffit pas : il faut également la vendre sur le marché de gros. Ce qui se passe sur ce marché est fort simple : l'offre à utiliser immédiatement connaît une brusque poussée alors que la demande n'a aucune raison de bondir. L'énergie provenant de sources renouvelables précipite donc le marché de gros vers des abîmes exclus par les schémas économiques habituels, puisque les prix peuvent même faire des incursions en zone négative, du moins dans certains cas extrêmes. En d'autres termes, il arrive que les producteurs de gros payent les clients à qui leur production est «vendue» pour qu'ils veuillent bien l'«acheter». Autant dire que de graves difficultés apparaissent à l'horizon pour les producteurs traditionnels d'électricité. Vous savez comment l'actualité brûlante illustre cette situation, sur laquelle dix grands producteurs européens d'énergie avaient alerté en vain les pouvoirs publics il y a un peu plus d'un an. Ils soulignaient à juste titre le paradoxe insupportable de prix de gros trop bas, alors que les consommateurs finaux subissent des factures en hausse rapide. Sont en cause les taxes prélevées pour financer les investissements dans les énergies renouvelables : leur montant représente environ le tiers de la somme à payer en France, la moitié en Allemagne !

Les effets du gaz de schiste sur le marché américain tombent au plus mal pour la transition énergétique de l'Union européenne vers des ressources énergétiques non polluantes et ne contribuant pas au réchauffement climatique. En effet, le prix du gaz de schiste a privé le charbon de sa compétitivité sur le marché nord-américain. Les producteurs de ce carburant solide ont donc cherché de nouveaux débouchés. Ils ont trouvé très rapidement, puisque les tarifs élevés caractérisant les marchés énergétiques européens leur assurent une demande à la fois solvable et rentable. Contrairement à ce qui se passe aux États-Unis, le charbon est aujourd'hui moins cher que le gaz sur le territoire de l'Union. Ainsi, une transition énergétique à finalité environnementale engagée sur un marché en surcapacité se traduit à court et moyen terme par l'essor de la pire production qui soit ! Le mot « absurdité » s'impose de lui-même.

En 2013, l'Allemagne a émis 760 millions de tonnes de CO2, contre 346 millions de tonnes émis par la France, alors que les niveaux de production d'électricité sont comparables.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion