Intervention de Jean Bizet

Commission des affaires européennes — Réunion du 14 mai 2014 à 15h00
Énergie — Coopération énergétique franco-allemande - rapport d'information de m. jean bizet

Photo de Jean BizetJean Bizet :

À quelque cinq euros par tonne, le coût du gaz carbonique n'a aucun effet incitatif. Ainsi, alors que l'Allemagne extrait 176 millions de tonnes de lignite et 23 millions de tonnes de charbon, elle en importe encore 50 millions de tonnes. Bien qu'elle soit partie de bonnes intentions, la transition énergétique en Allemagne se traduit par l'importation massive de charbon américain à bon marché. Les centrales à houille et à lignite fournissent plus de 40 % de l'électricité allemande.

Il est donc temps de suspendre le processus et de réfléchir à ce qu'il convient de faire.

Sachant que l'Union consomme quelque 3.000 térawattheures par an, alors que sa capacité atteint 3.500 térawattheures, il est grand temps de ne plus accroître les capacités nettes de production électrique. En revanche, fermer les installations polluantes - fonctionnant au charbon ou au lignite - serait nettement préférable à la disparition de centrales au méthane, émettant certes du gaz carbonique, mais pas de substances toxiques.

D'autre part, tant que l'électricité produite par des sources intermittentes n'est pas stockable à grande échelle, l'extension de leurs capacités ne peut être envisagée que pour améliorer la maîtrise des technologies et les perfectionner. Si la capacité de production allemande en énergies renouvelables était plus que doublée, elle excéderait la demande ordinaire du pays et de ses voisins. Il y aurait de quoi déstabiliser totalement la production énergétique du toute l'Union ! Cette évolution ne se fera donc pas. Certains voisins de l'Allemagne ont déjà commencé à installer des sortes de disjoncteurs à même de confiner hors de leurs frontières l'électricité allemande lorsqu'elle est surabondante. Cette réaction est compréhensible, mais elle aboutit à l'inverse de ce que devrait être une Europe de l'énergie.

En effet, celle-ci devrait en premier lieu assurer des connexions à l'échelle du continent, pour que l'énergie produite en Espagne puisse en cas de besoin parvenir jusqu'à Helsinki, ou celle obtenue en France alimente des usines proches de Bucarest.

L'Europe de l'énergie devra commencer par développer les réseaux intelligents, car ces dispositifs permettent de caler partiellement la demande sur la production, alors que les mécanismes spontanés des marchés est inverse : c'est normalement le volume produit qui s'aligne sur la demande solvable. Avec les réseaux intelligents, les consommations finales d'énergie électrique peuvent être décalées dans le temps - jusqu'à une certaine mesure - afin que l'arrivée du vent et un beau soleil soient accompagnés par un surcroît provoqué de la demande. Par exemple, les chauffe-eau pourraient être mis en marche, de même que les appareils domestiques de lavage au moment où l'énergie renouvelable est abondante, selon un schéma semblable à celui du fonctionnement en heures de nuit, répandu actuellement. Remplacer le fonctionnement nocturne par la mise en marche pendant les pointes de production atténuerait considérablement les inconvénients de l'intermittence, qui est un phénomène certes subi, mais prévisible 24 heures à l'avance. Il est donc possible de quantifier l'excès spontané de production, pour que la gestion de la demande par les réseaux intelligents n'aboutisse pas à une consommation excessive.

Mais la gestion intelligente de la demande, même à l'échelle du territoire de l'Union, sera nécessairement insuffisante si la capacité de production intermittente s'accroît. Il faudra donc ajouter de réelles capacités de stockage. Aujourd'hui, seul est envisageable à grande échelle un stockage sous forme gazeuse, soit sous forme d'hydrogène obtenu par électrolyse de l'eau, soit sous forme de méthane, obtenu en faisant réagir l'hydrogène avec du gaz carbonique. Le passage par le méthane présente deux inconvénients : il nécessite des investissements supplémentaires et fait chuter le rendement énergétique. Cette voie paraît cependant inévitable, car ce gaz est nettement moins dangereux à manipuler que l'hydrogène. En outre, les gazoducs permettant de le transporter existent déjà. Sur le plan énergétique, un gazoduc représente la même capacité que vingt lignes à haute tension ! L'Europe de l'énergie doit donc impérativement devenir toujours plus celle du stockage diffus complété par un stockage à grande échelle de l'électricité produite en excès par suite de la météo.

Enfin, l'Europe de l'énergie doit impérativement trouver les moyens de financer la transition énergétique environnementale.

Ce défi capital peut être relevé de trois façons complémentaires : l'utilisation raisonnée de la filière électronucléaire aux prix de revient particulièrement bas, la vente de la production renouvelable aux conditions du marché, un financement cohérent avec le rythme de la vente d'énergie.

Seule l'électricité hydraulique est moins chère que celle obtenue grâce aux centrales nucléaires. Or, il n'y a guère de place pour augmenter la production des barrages. La filière nucléaire est donc la seule dont les faibles prix de revient apportent la marge de financement nécessaire, sans compromettre ni la propreté de l'air, ni le climat.

Dès lors que les réseaux intelligents conçus à l'échelle du continent et la création de capacités suffisantes de stockage auront mis fin à la déstabilisation des marchés de gros, les prix de marché doivent offrir un débouché acceptable aux producteurs d'énergie renouvelable. Les tarifs de rachat garantis n'auront donc plus lieu d'être. Le modèle économique très particulier de cette nouvelle filière est caractérisé par l'ampleur des investissements immédiats, compensés dans le temps par la gratuité de la ressource utilisée, qu'il s'agisse de l'eau, du vent ou du soleil. Le financement adéquat pourrait donc limiter les remboursements aux périodes où l'électricité obtenus est vendue sur le marché, soit parce que les conditions météorologiques s'y prêtent, soit par déstockage.

Ce coup de projecteur sur l'avenir possible et souhaitable de l'Union sur le plan énergétique trace la voie que la coopération franco-allemande en ce domaine doit s'attacher à explorer, pour entraîner ultérieurement le maximum d'États membres dans une coopération renforcée, en commençant par la Pologne et la Grande-Bretagne. Les finalités proprement énergétiques - notamment en termes d'indépendance et de solidarité - doivent s'accompagner au plus vite d'objectifs de réindustrialisation, condition sine qua non pour une reprise solide de la croissance.

Tel est le sens du rapport dont je vous demande d'autoriser la publication.

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