La délégation qui m'accompagne représente toutes les sensibilités de la politique roumaine.
Je suis un grand ami de la France et je dois dire que nos relations bilatérales traversent une période délicate. C'est un sujet de préoccupation pour l'opinion publique roumaine qui est habituée à voir dans la France le principal allié de la Roumanie et son partenaire historique. Des signaux d'alerte précoce de cette situation se sont manifestés à l'occasion du débat sur l'adhésion de la Roumanie à l'espace Schengen. Cela a créé un climat compliqué qui pourrait provoquer des dégâts importants.
J'ai par ailleurs le sentiment qu'après la crise financière, l'Europe pourrait perdre de son poids et de son pouvoir d'influence dans le monde. Il faut resserrer les rangs et développer les synergies entre les États membres.
Or, il y a un vrai risque d'une Europe à plusieurs vitesses qui serait composée d'un noyau dur efficace et compétitif, d'un noyau moins efficace, d'anciens États membres et de nouveaux États membres.
Dans ce contexte, je veux délivrer devant vous un message de concertation pour que nous retrouvions les anciennes synergies entre nos deux pays.
Avant l'adhésion de la Roumanie à l'Union européenne, toutes les énergies roumaines ont été dirigées vers ce grand projet. Mais, à mon sens, les deux années supplémentaires que nous avons eues, par rapport aux autres nouveaux États membres, avant d'entrer dans l'Union n'ont pas été utilisées de manière efficace. Nous devons encore rattraper des handicaps structurels, ce qui explique nos difficultés actuelles. C'est ainsi que la Roumanie subit encore une décroissance de 1,2 % en 2010.
Sur l'adhésion à l'espace Schengen, les sentiments de l'opinion publique en France et dans l'Union européenne ont changé. On observe une sensibilité plus forte des populations sur la question de l'immigration tant légale qu'illégale. Cela a des effets sur les comportements politiques. Je constate que la géographie met sur la Roumanie un poids encore plus lourd que sur les pays qui sont déjà membres de l'espace Schengen. La Roumanie a en effet 2 000 km de frontières extérieures, soit la longueur la plus importante de tous les États membres après la Finlande. Elle doit gérer un voisinage complexe, intégrant l'Ukraine, la Serbie, ou encore la Moldavie. Je ne veux pas que la Roumanie devienne le corridor des mafias venant de l'est comme de l'ouest. Les Roumains sont tout aussi intéressés que les autres États membres à contrôler efficacement leurs frontières.
L'idée d'une Europe à plusieurs vitesses me paraît très contestable. Si elle se concrétisait, l'Europe en sortirait affaiblie. Nous demandons que la Roumanie soit traitée comme les autres pays qui ont été évalués sur leurs mérites propres par rapport à la reprise de l'acquis Schengen.
Lorsque j'étais ministre des affaires étrangères, j'avais moi-même proposé la mise en place du mécanisme de coopération et de vérification pour rassurer les États membres qui avaient exprimé des craintes sur la fiabilité du système administratif et judiciaire roumain. Depuis quatre ans, ce mécanisme fonctionne. Il me paraît difficile d'envisager un nouveau mécanisme qui répliquerait dans le cadre de Schengen le mécanisme de coopération et de vérification.
Je veux maintenant aborder la question de la situation des Roms, qui constitue un problème réel lié au préjugé majoritaire de la population roumaine par rapport à cette minorité. Je rappelle que, jusqu'au milieu du XIXe siècle, les Roms étaient pratiquement en situation d'esclavage. Je constate que persiste encore dans la population roumaine un préjugé par rapport à cette minorité. Nous n'avons pas encore su résoudre le problème des Roms, alors que nous avons pu le faire pour la minorité hongroise. Je veux souligner qu'il ne s'agit pas d'un problème racial, mais d'un problème social. Je relève aussi que moins de 600 000 personnes se déclarent en tant que Roms. La grande majorité des personnes issues de cette minorité (entre 1 et 1,5 million) se déclarent comme Roumains parce que leur intégration a commencé.
Il ne s'agit pas non plus d'un problème de religion, la minorité hongroise que nous avons su intégrer est elle-même partagée entre catholiques et protestants. Notre stratégie pour une insertion des Roms n'a pas été assez forte et crédible. Je crois que nous devrons passer par la loi pour éviter que cette politique d'insertion, qui a besoin de continuité et du soutien de l'Union européenne, ne soit mise en cause au gré des changements politiques.
L'intégration des Roms constitue un problème européen qui est partagé entre les États membres. Il doit recevoir une attention très forte de la part de la Commission européenne pour qu'une réponse européenne vienne appuyer les politiques nationales.
Je n'ai par ailleurs pas d'hésitation sur la nécessité d'une sanction effective des crimes et délits. Nous avons d'ailleurs renforcé notre coopération entre les polices nationales et entre les autorités judiciaires. C'est l'intérêt même de la Roumanie qui, je veux le rappeler, constitue l'un des pays les plus sûrs en Europe.
Sur la gouvernance économique européenne, la Roumanie soutient l'idée du semestre européen. Mon pays a connu une période de croissance exceptionnelle avec un taux de 6,5 % en moyenne par an entre 2000 et 2008. Mais cette croissance ne s'est pas traduite en progrès réel pour le pays, et s'est accompagnée d'un manque de discipline budgétaire et financière. Nous avons donc besoin d'une politique plus rigoureuse avec une planification pluriannuelle et des règles plus strictes, qui permettront d'assurer une croissance durable sans effets pervers macroéconomiques ou sur les taux de change.
La Roumanie souhaite être associée au débat qui se déroule à Berlin ou à Paris. Je rappelle que l'on est en train de définir le cadre des politiques publiques en Europe et les coûts qui devront être supportés par les pays devant entrer dans la zone euro.
La Roumanie ne peut pas se permettre de ne pas entrer dans l'euro. C'est le pays le plus enthousiaste sur le projet européen. Pour nous, l'Europe doit peser dans le monde et jouer un rôle protecteur.
Pour ce qui est de l'élargissement, il me paraît nécessaire de construire un projet attrayant pour les voisins de l'Union européenne, sinon celle-ci perdra de son influence et ne sera plus un acteur de premier rang au niveau international. Il faut prendre en compte l'ensemble du sud de l'Union européenne jusqu'à l'Asie centrale. La Roumanie peut jouer un rôle très important dans ce sens.
Sur la politique agricole commune et la politique de cohésion, les intérêts roumains rejoignent ceux de la France. Il est très important que les propositions du commissaire roumain à l'agriculture, M. Dacian Ciolos, aient reçu l'appui de la France. La Roumanie est le deuxième ou le troisième pays agricole de l'Union européenne mais elle importe une grande partie de ses produits agro-alimentaires. Ceci constitue un problème stratégique. Nous sommes dans ce domaine un allié naturel de la France. Le Sénat roumain fera connaître au mois de mars son point de vue officiel sur l'avenir de cette politique.
Nos juristes examinent, par ailleurs, les solutions qui pourraient permettre d'obtenir une révision simplifiée du traité par les parlements nationaux en vue d'y inscrire le mécanisme de stabilité financière dans la zone euro.
Je sais gré à la France d'avoir investi dans la formation des jeunes Roumains. J'ai moi-même été élève à l'École nationale d'administration en 1992. La France constitue le pays d'adoption des Roumains de génie, comme Brancusi, Ionesco ou Cioran. Je veux aussi insister sur le rayonnement culturel de la Roumanie, dont le réalisateur d'origine roumaine Radu Mihaileanu vient d'être nominé pour les Oscars.
Pour conclure, je souhaite que nous sachions résoudre les difficultés liées à l'adhésion de la Roumanie à l'espace Schengen sans compromettre l'ensemble de notre relation bilatérale, qui demeure très vivante avec plus de 5 milliards d'euros d'échanges, une présence très forte des entreprises françaises en Roumanie, et des jumelages nombreux entre nos collectivités.