Intervention de Jean-Claude Mignon

Commission des affaires européennes — Réunion du 8 février 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Jean-Claude Mignon président de l'assemblée parlementaire du conseil de l'europe

Jean-Claude Mignon, président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe :

Je tenais au préalable à saluer la présence de mes collègues de la délégation française. Vous avez rappelé à l'instant mon élection récente à la tête de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Celle-ci est le fruit d'un véritable travail d'équipe mené par l'ensemble de la délégation depuis environ cinq ans. La France a su se faire entendre dans l'hémicycle et au sein des commissions qui composent l'Assemblée, au point d'y apparaître comme le premier de ce qu'on peut appeler les « grands pays membres » du Conseil de l'Europe.

Je me réjouis de cette invitation à venir m'exprimer devant vous, car cela me paraît s'inscrire dans la logique de ce que j'ai toujours défendu, à savoir la nécessité de liens plus étroits entre l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et les parlements nationaux. Des réunions comme celles d'aujourd'hui n'ont rien d'exceptionnel chez nos voisins européens.

Nous sommes, en effet, mandatés par nos assemblées respectives pour siéger à Strasbourg. Il est logique que nous en rendions compte à nos mandants et que nous sollicitions leur appui pour faire avancer les projets et idées défendus par cette Assemblée paneuropéenne regroupant 47 parlements nationaux.

Un exemple bien connu de l'intérêt de cette coopération est l'exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme. Certains parlements nationaux jouent déjà un rôle important dans ce domaine, ne serait-ce au minimum qu'en exigeant de leurs gouvernements un rapport annuel sur ce sujet et en lui demandant de justifier de la bonne application des décisions de la Cour. J'ai ainsi relevé des pratiques très positives aux Pays-Bas, en Finlande, en Italie, en Allemagne ou en Suède. Pourquoi ne pas faire de même en France ? Je vous rappelle d'ailleurs que la Cour était présidée jusqu'en octobre dernier par le Français Jean-Paul Costa.

L'intérêt pour ce que fait le Conseil de l'Europe me semble d'autant plus nécessaire et légitime que ses travaux ne sont pas des affaires étrangères aux 800 millions d'Européens. Que l'on en juge par quelques exemples :

- La Direction européenne de la qualité du médicament, dite aussi Pharmacopée. Qui connaît le rôle qu'elle joue dans le contrôle du contenu des médicaments, y compris en Asie où l'on produit l'essentiel de ceux mis sur le marché ?

- Le Comité de prévention de la torture (CPT) dont le rôle dans l'amélioration des conditions de détention dans les lieux de privation de liberté est incontestable. Nous nous en sommes inspirés pour créer en France le Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Et le référentiel en ce domaine, les règles pénitentiaires européennes, est l'oeuvre du Conseil de l'Europe ;

- Le Groupe Pompidou. Parmi les nombreux problèmes de société auxquels nous devons faire face, le trafic de drogue n'est-il pas l'un des plus graves ? A l'évidence, il ne peut être résolu au niveau national. Ce groupe est d'ailleurs présidé par un Français, Etienne Appaire, que j'inviterai prochainement à intervenir devant la Commission permanente de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.

Je ne vais pas multiplier à l'infini les exemples mais ils sont nombreux. On est tout de même loin de l'agence de voyages à laquelle François Mitterrand assimilait le Conseil de l'Europe.

J'ajoute qu'au-delà de cet aspect normatif, les prises de position de l'APCE, sous forme de résolutions ou de recommandations, ne sont pas dépourvues de portée. L'APCE a joué ainsi un rôle décisif dans l'abolition de la peine de mort. Nous ne devons pas sous-estimer l'impact qu'a cette Assemblée dans la construction d'une doctrine internationale sur des sujets de société. J'en veux pour preuve les débats acharnés qui ont animé notre Assemblée sur des sujets de société comme l'objection de conscience des personnels médicaux ou la burqua.

Je me réjouis donc de la réussite d'une organisation qui réunit dans cette action la Russie et la Turquie, preuve s'il en est de la pertinence du champ géographique de notre organisation. S'y ajoute une fructueuse coopération avec des pays arabes voisins de notre continent.

Certes, nous devons aussi être plus visibles. Pour cela, je m'efforcerai de redonner toute leur pertinence politique à nos débats, en réduisant le nombre de thèmes et en les insérant au mieux dans l'actualité. Efforçons-nous de réagir en temps réel sur les événements qui secouent le monde, si possible en faisant en sorte que l'organisation parle d'une seule voix, avec par exemple des prises de positions communes du Secrétaire général, du Président du Comité des Ministres et du Président de l'Assemblée.

Prenons l'exemple du monde arabe. L'APCE a pleinement qualité pour s'exprimer sur ce sujet. Israël est observateur et nous avons récemment accordé le statut de partenaire pour la démocratie au Conseil national palestinien. Et les deux se parlent à Strasbourg ! L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a d'ailleurs été la première institution internationale à admettre en son sein le Conseil national palestinien en 2011, avant l'UNESCO. Nous avons également accordé ce statut au Parlement marocain.

Au-delà, je voudrais que nous n'ayons aucun tabou, que nous n'hésitions pas à nous attaquer à des sujets brûlants. Ma première priorité sera les conflits gelés, dont Chypre. Je tiens à me rendre sur cette île avant que ne s'ouvre la présidence chypriote de l'Union européenne. Je souhaite aussi me pencher sur la question de la Transnistrie, la Moldavie devrait d'ailleurs être le lieu de mon premier déplacement en tant que président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Il est également indispensable de vérifier la conformité des engagements pris par les Russes à l'égard de l'Union européenne et du Conseil de l'Europe en ce qui concerne l'Ossétie du Sud et l'Abkhazie.

Il nous faudra aussi nous pencher sur le cas d'un certain nombre d'États européens, membres ou non de l'Union européenne, dont on peut parfois douter qu'ils respectent pleinement les valeurs démocratiques qui sont les nôtres. J'ai suivi au nom de la commission de monitoring de l'APCE l'évolution de la situation en Bosnie-Herzégovine, dont la Constitution s'avère aujourd'hui être un obstacle de taille à son développement. Il conviendra également de se pencher sur le cas de la Macédoine et tenter de trouver une solution à la querelle entretenue avec la Grèce sur son nom.

J'ai donc l'intention de me rendre en Ukraine si le Gouvernement de ce pays me garantit que je pourrai rendre visite à Mme Tymoschenko, dont le sort nous préoccupe tous. Sans préjuger des charges retenues contre elle, ses conditions de détention semblent inacceptables au regard des valeurs du Conseil de l'Europe. Je souhaite être accompagné sur place du nouveau commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe, Nils Muiúnieks, qui a été élu en janvier par l'APCE.

Autre priorité de ma présidence, l'amélioration des relations avec l'Union européenne. Je crois profondément que nos deux organisations sont complémentaires et non concurrentes. Une passerelle nous sépare du Parlement européen et pourtant, notre voisin nous ignore. Il ne faut plus, comme l'avait écrit un jour Jean-Claude Juncker, que l'Union européenne traite le Conseil de l'Europe comme une ONG. Je vais donc, dès ce mois, entreprendre des démarches en ce sens auprès des principaux dirigeants du Parlement européen. M. Juncker sera, par ailleurs, invité à s'exprimer devant notre Assemblée.

Ensemble, nos deux organisations peuvent faire progresser cette idée merveilleuse qu'est l'Europe. Je regrette, à ce titre, que le Conseil de l'Europe n'ait pas été consulté au moment de l'élargissement de l'Union européenne, pour faire notamment un point concernant le respect de l'ensemble des critères relevant de la démocratie, de l'État de droit et des droits de l'Homme. Les excès que nous constatons ici et là, je pense à la Hongrie que vous avez évoquée dans votre intervention Monsieur le Président, auraient pu être de la sorte évités.

Pour autant, agissons rationnellement et évitons à tout prix, en ces temps de crise, les doubles emplois et les redondances. Pourquoi refaire au niveau de l'Union européenne, à grands frais, ce que le Conseil de l'Europe fait déjà fort bien ? L'Union européenne a tout d'abord créé une Agence des droits fondamentaux à Vienne, puis une autre agence à Vilnius, et maintenant l'on veut créer un Fonds européen pour la démocratie à Varsovie. Ce Fonds duplique ni plus ni moins le Conseil de l'Europe. La proposition de résolution que j'ai déposée à l'Assemblée a pour objet de prendre une position de principe sur ce sujet et envoyer un double message. A nos gouvernements, quels qu'ils soient et quel que soit le pays, ne pratiquez pas de doubles standards. Austérité budgétaire à Strasbourg pour le Conseil de l'Europe et laxisme à Bruxelles ! Et pensez à consulter le Parlement sur ces questions, en particulier lorsqu'il s'est déjà exprimé sur le sujet. Je pense en particulier, dans le cas de la France, aux travaux du Sénateur Badré sur les agences de l'Union européenne. Mais des collègues de divers États membres m'ont fait part de points de vue similaires. Rappelons tout de même que le budget annuel de l'Agence européenne des droits fondamentaux est supérieur à celui de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, 20 millions d'euros contre 15.

En conclusion, je voudrais à nouveau vous exprimer toute ma satisfaction d'être présent aujourd'hui au Sénat et mon souhait que cette rencontre soit le début d'une fructueuse collaboration.

Mon souhait le plus cher en ce domaine serait que les commissions des affaires européennes des deux assemblées ne soient pas seulement celles des questions liées à l'Union européenne, dont je ne conteste pas l'importance fondamentale, mais aussi celles du Conseil de l'Europe. Et l'audition d'aujourd'hui constitue un premier pas très positif dans cette voie. Il existe d'ailleurs des questions qui relèvent des deux organisations, ainsi l'adhésion de l'Union à la Convention européenne des droits de l'Homme, la protection des données personnelles ou la politique du médicament. Nous pourrons à ce titre vous envoyer avant chaque partie de session l'ordre du jour de celle-ci afin que votre commission, si elle le souhaite, adopte une position sur tel ou tel sujet.

Je vous remercie de votre attention et serais heureux de répondre à vos questions et observations.

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