Intervention de Hubert Védrine

Commission des affaires européennes — Réunion du 15 juin 2011 : 1ère réunion
Audition de M. Hubert Védrine ancien ministre des affaires étrangères accompagné de M. Antoine Sfeir directeur des cahiers de l'orient et de M. Christian Makarian consultant pour les questions internationales d'i-télé en commun avec la commission des affaires étrangères de la défense et des forces armées

Hubert Védrine :

Il y a un certain lien entre les conséquences de la crise financière et ce qui se passe dans le monde arabe. Mais ce lien n'explique pas l'essentiel. C'est bien pourquoi toutes les dictatures de la planète sont inquiètes et tous les dirigeants autoritaires sont sur leurs gardes, en particulier en Asie.

Sur la différence entre le traitement réservé par l'Occident à la Libye et celui réservé à la Syrie, il y a une différence énorme entre les deux situations : il n'y a pas eu de déclaration de la Ligue arabe demandant que soit établie une no-fly zone au-dessus de la Syrie. Et sans l'appel de la Ligue arabe, il n'y aurait pas eu de résolution 1973 car la Russie et la Chine, qui toutes deux détestent au plus haut point les ingérences de ce type, l'auraient bloquée.

Concernant le principe de la responsabilité des peuples - la RDP - que je connais bien pour avoir favorisé sa genèse, la réalité c'est que Kofi Annan en 2005 voulait qu'on dépasse une bonne fois pour toutes le concept de droit voire de devoir d'ingérence qui n'a jamais réussi à convaincre qu'une partie de l'opinion publique occidentale, en particulier française car personne n'avait été capable de dire qui a le droit de s'ingérer chez qui et pour faire quoi. La RDP ce n'est pas « s'ingérer », c'est une décision légale internationale pour faire en sorte qu'il n'y ait plus de nouveaux Srebrenica !

A la différence d'Antoine Sfeir, je pense qu'aucune puissance n'a de contrôle général de tout ce qui se passe. Redisons que les États-Unis n'ont pas mis en place ces régimes arabes (alors qu'ils l'avaient fait pour le Shah d'Iran). Ils ne les ont pas renversés. Et pour gérer la suite, ils ont les mêmes problèmes que nous. Il y a bien des plans aux États-Unis, faits par certains. Mais ils n'ont jamais marché parce qu'ils n'ont aucune chance de marcher. Les évènements résultent d'une myriade d'événements aléatoires, ou incohérents, un jeune homme qui se suicide, un dirigeant malade, facebook et des événements militaires qui sont les plus forts.

Il est probable que l'islamisme politique monte partout. Les islamistes ne peuvent pas refaire le coup de 1979 en Iran parce que tout le monde est sur ses gardes. Mais les partis islamistes vont monter à 15 %, 20 %, 25 %, d'autant que les forces politiques démocrates ou classiques vont se disperser entre cinquante partis politiques et que chaque ancien ministre va créer le sien. Les partis islamistes vont donc vraisemblablement occuper la première place dans les nouvelles démocraties arabes mais pas forcément la place dominante. Je pense par ailleurs qu'en Égypte on va assister à une résurgence d'un nationalisme arabe, non pas « pan-arabe », mais centré sur l'Egypte et qui cessera d'être complaisant vis-à-vis d'Israël. Je pense que le futur gouvernement égyptien cessera d'être un partenaire accommodant pour un pseudo-processus de paix qui en réalité n'existe plus depuis la mort d'Itzhak Rabin. Le gouvernement de Benyamin Netanyahou est un gouvernement de droite dure nationaliste avec des partenaires de coalition, qui en Europe serait qualifié d'extrême droite. La représentation proportionnelle intégrale aggrave ce phénomène. Il fait ce pourquoi il a été formé : bloquer tout processus de paix, tout compromis. Ce gouvernement est du reste embêté de risquer d'être privé de l'argument : « Israël seule démocratie du Moyen-Orient ». Il ne souhaite pas ce changement !

Une grande partie de l'avenir de la région se joue dans le dialogue entre les Israéliens - sur la question palestinienne, ce gouvernement est en décalage avec la société israélienne. 72 % des Israéliens sont en faveur de la solution des deux États. Il y a en Israël des gens d'un courage formidable, des organisations humanitaires qui font un travail exemplaire, une presse libre. Très peu de journaux français oseraient écrire ce qu'écrit Haaretz.

Ceci étant, il faut 128 voix aux Palestiniens pour obtenir la reconnaissance de l'État palestinien par l'AG de l'ONU. Ils en ont pour le moment 116. Obama déteste certainement Benyamin Netanyahu qui bloque tout et trouve absurde qu'on enchaîne le sort de l'Occident à celui de la droite nationaliste israélienne. Mais il est bloqué.

L'Europe, à mon sens, ne peut pas ne pas voter cette reconnaissance. Inhibée par son propre passé, l'Allemagne risque de se retrouver isolée avec les Pays-Bas. Il faut les convaincre que cet isolement est évitable. Reste l'Italie. Il y a un travail diplomatique à faire pour la France. L'échec de ce vote serait un grand succès de Netanyahu et il a beaucoup plus de chances de déclencher des gestes désespérés des Palestiniens que le contraire. Il y a un problème : le Hamas. Avant, les Israéliens disaient qu'ils ne pouvaient pas faire la paix car leurs interlocuteurs étaient divisés. Maintenant ils disent que l'unité est pire et que Abbas doit choisir entre la paix avec eux et la paix avec le Hamas. Ce sont des arguments cyniques. Ehud Olmert à la fin de son mandat avait reconnu qu'il fallait sortir de cela (des prétextes sans cesse pour tout retarder) et avoir une vision de long terme susceptible de mieux préserver Israël. Même Ehud Barak a dit « on a eu tort de jouer le Hamas contre l'OLP ». Je pense que c'est le boycott qui consolide le Hamas et que c'est le processus qui l'obligera à évoluer.

L'Union européenne dans vingt ou trente ans ? Il se peut bien qu'elle ne soit pas très différente de celle de maintenant. Il n'y aura probablement pas d'autre étape institutionnelle générale après Lisbonne. Néanmoins, l'harmonisation va progresser dans la zone euro. La question sera de savoir qui décide quoi. Est-ce Angela Merkel seule ? Est-ce la Banque centrale européenne ? Est-ce la Commission qui, soit dit en passant, a l'air tentée par un petit « putsch » ? L'avenir de l'Europe, ça se passe plus encore dans la tête des Européens (Europe puissance ou non ?) que dans les institutions. C'est une question mentale : les Européens veulent-ils une Europe puissance (ce qui ne signifie pas « abandon » de souveraineté) ou une grande Suisse ?

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