Intervention de Simon Sutour

Commission des affaires européennes — Réunion du 15 juin 2011 : 1ère réunion
Situation de la grèce et de la zone euro rapport d'information de mm. jean-françois humbert et simon sutour

Photo de Simon SutourSimon Sutour :

Un an après l'intervention de l'Union européenne et du Fonds monétaire international, la Grèce se trouve toujours confrontée à des problèmes de financement. Son endettement et l'absence de résultats tangibles dans sa tentative de réduction de ses déficits devrait ainsi empêcher toute possibilité de revenir sur les marchés financiers l'année prochaine. Le plan d'aide international de 110 milliards d'euros prévoyait pourtant un tel retour en 2012.

La défiance des marchés à l'égard d'Athènes contraste avec les efforts déjà accomplis par le gouvernement grec en matière de réformes structurelles. Ses systèmes de santé et de retraites ont été notamment réformés en profondeur. L'âge de départ en retraite a, ainsi, été porté de 60 à 65 ans. Son administration territoriale a, quant à elle, été largement rationnalisée. La Grèce a ainsi remplacé, les 57 circonscriptions préfectorales et 19 comtés par 13 régions. Le nombre de municipalités a été ramené de 1034 à 325. Le coût de l'administration locale a de ce fait été réduit de 25 % par rapport à 2009.

A ces réformes structurelles s'ajoute une cure d'austérité inédite, visant toutes les catégories de population, rompant de façon nette avec la tradition interventionniste de l'État grec. Le gouvernement a ainsi augmenté la TVA, faisant passer son taux de 21 à 23 %, et majoré de 10 % les taxes sur le carburant et l'alcool. Il a décidé, dans le même temps, de réduire les salaires publics (suppression des treizième et quatorzième mois). Les pensions ont été gelées.

L'intervention financière de l'Union européenne comme les réformes n'ont pas, néanmoins, rassuré les marchés. Depuis l'octroi de l'aide, seuls trois mouvements de baisse des taux ont été observés. La Grèce a, même, depuis avril dernier renoué voire dépassé les niveaux atteints avant le déclenchement de l'intervention communautaire. Face à ces difficultés et afin de permettre à la Grèce de retrouver la confiance des investisseurs, le Conseil européen a décidé, en mars dernier, d'accorder une réduction de 1 % du taux d'intérêt de l'aide européenne, qui passe à 4,2 %, et une augmentation de sa maturité de 3 à 7 ans et demi. Les besoins de financements de la Grèce ne devraient, en effet, plus être couverts à partir du mois de mars 2012. D'ici à la fin 2013, ces besoins sont estimés à environ 60 milliards d'euros, dont 25 milliards au titre du premier trimestre 2012.

Au problème de liquidité rencontré par la Grèce s'ajoute un risque réel en matière de solvabilité. L'accélération de réformes structurelles apparaît, de ce fait, indispensable, le FMI comme l'Union européenne dénonçant régulièrement les retards en la matière du gouvernement grec. Fin mai, les taux à dix ans avoisinent les 17 %. Un an après le plan de sauvetage, les investisseurs évaluent l'écart entre les obligations allemandes et grecques à 1 253 points de base. Le risque de défaut de la dette grecque dans les cinq ans est estimé à 68 %. L'agence de notation Standard & Poor's a abaissé la note de la Grèce à CCC, soit une note inférieure à l'Équateur, au Pakistan et à la Jamaïque. Face à une telle dégradation, il convient néanmoins de s'interroger sur le fonctionnement de ces agences de notation et leur capacité de nuisance.

La méfiance des marchés à l'égard de la Grèce est paradoxalement renforcée par l'intervention de l'Union européenne. La somme prêtée est, à juste titre, considérée comme une charge supplémentaire pour l'État qui voit sa dette augmenter en conséquence, alors qu'elle atteint déjà 153 % du PIB, soit 345 milliards d'euros. Le plan d'austérité, auquel l'aide internationale est conditionnée, est, par ailleurs, assimilé à un frein à la reprise économique.

La sortie de crise s'avère en effet délicate pour l'économie grecque. Le PIB a ainsi diminué de 4,5 % en 2010, soit deux fois plus que lors de l'exercice précédent. La baisse de la consommation privée (- 4,5 %) et celle, pour la troisième année consécutive, des investissements (- 12,3 %) justifient une telle contraction. La Commission européenne prévoit une nouvelle dégradation du PIB pour l'exercice 2011, estimant celle-ci à 3,5 % du PIB. Le pays subit à la fois une augmentation du chômage (de 8,3 % de la population active en 2007 à 16,2 % fin mars 2011, 42 % des moins de 24 ans se trouvant sans emploi), une inflation record (4,6 % en 2010 contre 1,5 % dans la zone euro), l'impact de la crise sur le secteur touristique et l'effet des mesures d'austérité. Ces facteurs ne sont pas sans conséquence sur la reprise de la croissance alors même que les trois quarts de la création de valeur en Grèce dépendent de la demande intérieure. La baisse des rentrées fiscales et des cotisations sociales, inévitable en période de crise, contribuent, par ailleurs, à la détérioration des comptes publics. Le déficit public a atteint 10,5 % du PIB en 2010 alors que le gouvernement espérait voire celui-ci ramené à 9,4 %. Pour autant, membre de la zone euro, la Grèce ne peut agir sur la monnaie et dévaluer pour tenter de relancer son économie.

Une mission d'évaluation, composée d'experts issus de la Commission, du FMI et de la Banque centrale européenne - la troïka -, s'est rendue à Athènes au cours du mois de mai afin de vérifier les progrès de la Grèce en matière de réduction des déficits et décider du versement de la cinquième tranche de l'aide, soit environ 12 milliards d'euros. Celle-ci sera conditionnée à la mise en oeuvre de nouvelles mesures d'austérité et de réformes destinées, notamment à réduire le périmètre du secteur public et le nombre de ses fonctionnaires. Une diminution des allocations sociales et des pensions est également prévue, alors qu'un impôt foncier devrait être créé. Le gouvernement grec envisage par ailleurs de stimuler le secteur du tourisme, de poursuivre la flexibilisation de son marché du travail, de libéraliser les secteurs du transport et de l'énergie et de supprimer les obstacles administratifs aux exportations.

Ces mesures viennent s'ajouter à un nouveau plan de rigueur annoncé par le gouvernement en avril dernier et arrêté la semaine dernière. Ce programme budgétaire à moyen terme prévoit une consolidation budgétaire de 28,4 milliards d'euros d'ici à 2015 dont 6,5 milliards pour l'année en cours. L'objectif est de ramener le déficit public en dessous de 1 % du PIB d'ici 5 ans. Ce programme prévoit notamment un vaste de plan de privatisations censé rapporter près de 50 milliards d'euros à l'État sur la période 2011-2015. Ces futures cessions concernent le secteur des transports, celui des télécommunications, de l'énergie et des jeux. Le patrimoine foncier est également visé.

La lutte contre la fraude fiscale fait, par ailleurs, figure de priorité du gouvernement. Évaluée à 15 milliards d'euros annuels, elle reflète la situation d'un pays où l'économie grise représente entre 25 et 37 % du PIB. Les recettes fiscales rapportées au PIB sont de 4 à 5 % inférieures à la moyenne européenne. 55 % des ménages grecs déclarent ainsi des revenus en deçà du minimum imposable et ne payent pas, de fait, d'impôts. 15 % des contribuables payent environ 80 % de l'impôt sur le revenu des personnes physiques et 1 % des entreprises payent 70 % de l'impôt sur les sociétés.

Néanmoins, face aux besoins de financements de la Grèce pour les deux prochains exercices, ces réformes pourraient s'avérer insuffisantes si elles ne sont pas accompagnées d'une nouvelle intervention européenne sur la dette grecque. La restructuration, telle qu'avancée par un certain nombre d'observateurs mais aussi d'États membres, qu'elle soit dure - réduction de 30 à 50 % de la dette grecque négociable - ou douce - allongement de la maturité doublé d'une baisse des taux d'intérêts, soit un « reprofilage » - n'est pas sans risque tant pour la Grèce que pour l'ensemble de la zone euro. Un défaut de remboursement, quel qu'il soit, aurait, en effet, une incidence directe sur le système bancaire grec et, par conséquent, sur les ménages. Les banques grecques détiennent, en effet, environ 48 milliards d'euros d'obligations publiques. Elle contribuerait au ralentissement économique, déjà observé cette année.

La Banque centrale européenne, largement exposée au risque grec, estime, en outre, que toute restructuration, dure comme douce, constitue un événement de crédit pour les agences de notation et les marchés et donc un précédent potentiellement rééditable en Irlande ou au Portugal.

De fait, l'hypothèse d'une aide complémentaire de l'Union européenne et du Fonds monétaire international est sans doute la plus vraisemblable face aux risques que comporte toute restructuration de la dette. In fine, sur les 90 milliards d'euros dont aurait besoin la Grèce d'ici à la mi-2014, un tiers serait financé par l'Union européenne et le Fonds monétaire international. Le complément serait obtenu via le programme de privatisation, couplé au maintien de l'exposition des banques à la dette grecque. Il convient cependant de rappeler que le statut du Fonds européen de stabilité financière ne prévoit pas expressément la participation du secteur privé aux plans d'aide.

L'Allemagne est, à cet égard, assez réservée sur l'efficacité de cette option dite rollover, craignant que seules les banques grecques maintiennent de facto leur exposition. Berlin serait plus favorable à ce que l'aide européenne soit liée à un échange volontaire d'obligations anciennes contre de nouveaux instruments d'une durée plus longue de sept ans. Ce qui équivaut à un rééchelonnement de la dette, donc à un défaut de paiement.

Au plan politique, l'Union européenne, comme le FMI, souhaite que les mesures d'austérité adoptées recueillent la plus grande adhésion, en vue d'éviter toute remise en cause, en cas d'alternance politique. Cet appel à l'unité nationale ne semble toutefois pas susciter de réaction positive, alors que le gouvernement semble affaibli politiquement. L'opposition se montre, en effet, extrêmement réservée sur le programme budgétaire à moyen terme du Premier ministre alors que la majorité se divise sur l'ampleur des réformes à mener.

Le climat social est, par ailleurs, marqué par une détérioration de la confiance à l'égard du gouvernement. Le sentiment d'inquiétude induit par l'augmentation concomitante du coût de la vie et du chômage, notamment chez les jeunes, est en constante progression. Plus d'un jeune grec sur trois affirme, par ailleurs, vouloir quitter le pays.

L'annonce d'un deuxième plan d'austérité a eu un rôle de déclencheur, l'opinion publique estimant qu'une seconde vague de mesures soulignait l'échec patent du gouvernement et sa conduite à vue. Si l'année dernière, les protestations étaient relativement modérées à l'égard de la cure d'austérité imposée par le gouvernement, le mécontentement tend à croître au regard de l'absence de résultats tangible et au recours annoncé à une nouvelle aide européenne. Ces mouvements traduisent, par ailleurs, dans la population une absence de visibilité en ce qui concerne l'avenir, doublée d'un sentiment d'injustice face à des réformes qui s'avèrent pour partie incomplètes.

Au delà, il convient de souligner la perception négative par l'opinion publique de l'attitude d'un certain nombre d'États membres de l'Union européenne. L'Allemagne cristallise à cet égard la rancoeur, sa position étant assimilée à une forme de mépris, ravivant, de façon certes exagérée, le souvenir de la seconde guerre mondiale.

L'invention d'un nouveau modèle de croissance demeure de fait indispensable en vue de gommer les effets logiquement récessifs de la cure d'austérité imposée au pays. Elle est également essentielle pour dépasser les difficultés sociales et politiques que la Grèce peut rencontrer. Celles-ci peuvent apparaître inquiétantes à terme puisqu'elles révèlent une réelle crise de légitimité des structures démocratiques grecques mais aussi une défiance certaine à l'égard de l'Union européenne.

Les sondages montrent qu'un jeune Grec sur trois souhaite quitter le pays, en raison d'un manque de perspectives d'avenir et d'un sentiment d'injustice. À l'époque des monnaies nationales, on cherchait une solution dans la dévaluation : elle touchait tout le monde et restait relativement indolore. Pour obtenir le même résultat, il faut aujourd'hui prendre des mesures plus perceptibles et plus douloureuses. Les Grecs ont le sentiment de faire des sacrifices sans obtenir de résultats positifs en échange.

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