Intervention de Jean-François Humbert

Commission des affaires européennes — Réunion du 15 juin 2011 : 1ère réunion
Situation de la grèce et de la zone euro rapport d'information de mm. jean-françois humbert et simon sutour

Photo de Jean-François HumbertJean-François Humbert :

En ce qui concerne l'Union européenne, le deuxième acte de la crise grecque est un test de grande ampleur. Jusqu'à présent, il ne semble déboucher que sur une forme de cacophonie, la Banque centrale contredisant la Commission, elle-même remise en cause par les déclarations de l'eurogroupe ou de tel ou tel État membre. Une telle situation n'est pas sans incidence sur les marchés financiers. L'Union européenne avait démontré au printemps 2010 une réelle capacité de réaction en combinant aide financière et renforcement de la gouvernance économique. Il lui appartient désormais de passer à une seconde étape et de faire montre de maturité politique en parlant d'une seule voix. Ce faisant, elle devrait atténuer la fébrilité observée sur les places financières et gagner en cohérence. Elle rendrait par ailleurs plus lisible son action en faveur de la zone euro, alors même que celle-ci peine à susciter l'adhésion des opinions publiques.

En effet, à quelques mois du dixième anniversaire de l'introduction physique de la monnaie européenne, la crise de la dette souveraine affecte près d'un tiers des membres de la zone euro, confrontés à des difficultés croissantes pour accéder aux marchés (Espagne, Italie) ou mis sous assistance financière (Grèce, Irlande, Portugal).

La réponse formulée par l'Union européenne il y a un an face aux difficultés rencontrées par la Grèce a consisté en la mise en oeuvre de plans de sauvetage financier de grande ampleur en coopération avec le Fonds monétaire international, conditionnés à l'adoption, par les pays concernés, de mesures d'austérité sans précédent.

Néanmoins, conçue pour stopper une contagion de la crise de la dette à d'autres pays de la zone périphérique, l'aide accordée à la Grèce n'aura pu empêcher un durcissement des conditions d'accès aux marchés financiers à l'endroit de l'Irlande et du Portugal, et dans une moindre mesure à l'Espagne. Ces difficultés à se refinancer ont finalement conduit Dublin et Lisbonne à recourir à l'aide de l'Union européenne.

Au retour de mon déplacement à Lisbonne en janvier dernier, je vous avais fait part de mon scepticisme sur la possibilité pour le Portugal de continuer à se financer sur les marchés et vous avais indiqué que le premier trimestre serait sans doute crucial. Au terme de celui-ci, le gouvernement lusitanien a souhaité recourir à l'aide du Fonds européen de stabilité financière. Une aide de 78 milliards d'euros lui a ainsi été accordée dont les deux tiers seront financés par l'Union européenne et un tiers sera à la charge du FMI. Le taux d'intérêt concernant les fonds débloqués par l'Union européenne se situe entre 5,5 et 6 %, alors que ceux retenus par le FMI devrait être plus faible, augmentant en fonction de la durée de l'échéance, entre 3,25 et 4,25 %. La maturité moyenne des prêts est évaluée à 7 ans et demi. Le programme d'aide repose sur trois conditions : la recapitalisation du secteur bancaire, l'intensification des réformes structurelles notamment celle du marché du travail et la poursuite de l'assainissement budgétaire. Le déficit public devant être ramené à 5,9 % du PIB en 2011, 4,5 % en 2012 et 3 % en 2013, contre 8,6 % en 2010. Les efforts de consolidation budgétaire devraient, à cet égard, être équivalents à 10 % du PIB sur trois ans, financés aux deux tiers par des réductions budgétaires et pour le tiers restant, par une augmentation des recettes, notamment fiscales. La compagnie Air Portugal, la division fret des chemins de fer portugais, les entreprises publiques du secteur énergétique (GALP, EDP, REN), de la communication (Correios Portugal) et des assurances (Caixa seguros) seront également privatisées.

Les difficultés que continue à rencontrer la Grèce viennent cependant souligner la nécessité pour l'Union européenne de dépasser le stade du simple règlement des difficultés financières. L'effet par nature récessif des mesures de rigueur adoptées à Athènes mais aussi à Dublin et Lisbonne dans le cadre des plans d'aide n'est pas de nature à rassurer définitivement les marchés financiers. Il s'agit bien là du paradoxe de l'intervention européenne qui tente de juguler le problème de liquidités mais fragilise toute relance rapide de l'économie.

Malgré un endettement public et un déficit public inférieur à ceux constatés aux États-Unis et au Japon, la zone euro demeure sujette à une inquiétude marquée de la part des marchés financiers qui ne vise pas tant la valeur de la monnaie que la dette des États membres. De fait, afin de répondre à cette défiance, l'Union européenne s'est dotée depuis mai 2010 de nouveaux instruments destinés à mettre en place une véritable gouvernance de la zone euro, dépassant le simple stade de l'assistance financière, sans pour autant totalement gagner en visibilité tant à l'égard des marchés que des opinions publiques.

Je ne reviendrai pas longuement sur les avancées en matière de gouvernance budgétaire, économique et financière enregistrées depuis un an, qu'il s'agisse dans le désordre de la pérennisation du Fonds de stabilisation financière de l'Union européenne, de la création du semestre européen, de la réforme du Pacte de stabilité et de croissance, de la coordination des politiques économiques via le Pacte pour l'euro + ou de la réforme des stress tests bancaires.

De fait, si les avancées sont réelles en matière de gouvernance économique, le second acte de la crise grecque vient souligner la persistance de dysfonctionnements réels au sein de la zone euro, caractérisée, notamment, par une cacophonie à haut niveau sur les solutions à mettre en oeuvre : l'Allemagne insiste sur le thème de la restructuration douce, en dépit des objections de la Banque centrale européenne et d'un certain nombre de ses partenaires. La présidence de l'eurogroupe anticipe, quant à elle, les décisions du Conseil européen et du FMI sur le versement d'une aide complémentaire. La gouvernance politique de la zone euro implique, de ce fait, une communication plus adaptée, cohérente, capable en cela de rassurer les marchés financiers.

C'est en ce sens qu'il convient de comprendre les récents propos du président de la Banque centrale européenne en faveur de la création d'un véritable ministre des finances de l'Union européenne.

Le renforcement de la gouvernance économique de la zone euro ne peut, par ailleurs, éluder un débat sur la valeur même de la monnaie commune. L'effet anesthésiant de la monnaie unique a déjà été abordée à l'occasion de l'étude des crises irlandaise et portugaise. La force de la monnaie, son côté valeur refuge, a longtemps protégé certains États membres sur le marché obligataire. Elle s'avère néanmoins relativement inadaptée dès lors que ces pays, du fait de la crise, doivent privilégier les secteurs tournés vers l'exportation face à une demande interne logiquement atone. C'est le cas de l'Irlande, mais aussi et surtout de la Grèce et du Portugal. La valeur de la monnaie unique fragilise cette réorientation jugée indispensable. L'euro reste trop élevé face aux devises américaine et chinoise. Certains analystes estiment que la zone sud de l'Union européenne n'est plus compétitive si l'euro dépasse les 1,3 dollar.

En l'état actuel, la valeur de monnaie affaiblit toute tentative pour les pays périphériques d'adopter le modèle exportateur du nord de l'Union. Il est cependant permis de s'interroger sur la validité même de ce choix économique. Il convient de rappeler qu'à l'heure actuelle, la moitié des excédents de la zone nord de l'Union européenne se fait au détriment de la zone sud. Dans le cas où les États concernés parviendraient à se réindustrialiser et devenir des puissances exportatrices, la partie nord de l'Union européenne aurait donc à pâtir de cette mutation économique. Dans le même temps, l'ensemble de l'Union européenne deviendrait fortement exportatrice, renforçant logiquement le déficit extérieur des États-Unis, fragilisant un peu plus la valeur du dollar... au risque d'une nouvelle perte de compétitivité du sud de l'Europe.

La crise actuelle représente un défi politique et social de grande ampleur pour l'ensemble des gouvernements de la zone euro. Le recours à l'intervention financière de l'Union européenne et du Fonds monétaire international a été suivi en Irlande et au Portugal d'une victoire de l'opposition aux élections législatives. Le pouvoir grec est fortement contesté alors que le gouvernement espagnol a subi une défaite à l'occasion des élections locales. L'apparition à Madrid du mouvement des « indignés » concrétise une nouvelle forme de contestation visant à la fois les autorités locales et les projets de coordination économique développés au sein des instances communautaires.

C'est à ce titre notamment que le retour à la croissance au sein de ces économies doit faire figure de priorité absolue pour permettre aux populations concernées de mieux admettre les cures d'austérité imposées ici et là. Il s'agit, de fait, de redonner du sens au projet monétaire européen, présenté initialement comme un outil de convergence économique et appréhendé aujourd'hui comme un instrument au service du moins-disant social.

Par ailleurs, sans négliger les impératifs économiques qui conditionnent l'intervention financière de l'Union européenne en Grèce, en Irlande et au Portugal, il faut éviter de renforcer, par le biais de taux d'intérêts trop élevés, l'atonie économique et la frustration sociale concomitante. C'est dans ce sens que le Fonds monétaire international a estimé que l'Union européenne devait assez rapidement réduire ces taux. Un financement flexible et à faible coût pourrait plus facilement appuyer, tant au point de vue économique que social, un ajustement budgétaire, une restructuration bancaire et des réformes qui stimulent la compétitivité et la croissance.

C'est également dans ce cadre que doit être lancée une réflexion ambitieuse sur les obligations européennes. Le projet développé par le think tank Bruegel sur cette question peut sembler le plus adapté. Il distingue à cet effet bonds bleus et bonds rouges. Le bond bleu agrège une partie de la dette publique des États membres de la zone euro, inférieure à 40 ou 60 % de leur PIB. Le « prix » ou taux d'intérêt de cet emprunt commun serait de fait modéré. Un pays dont le niveau d'endettement dépasse ce seuil de 40 ou 60 % du PIB devrait alors émettre des obligations rouges nationales. Un tel système ne fragiliserait pas les pays les plus vertueux et responsabiliserait, dans le même temps les États les plus endettés sans les condamner. Il s'agit d'une piste qui, me semble-t-il, a été trop vite laissée de côté par les gouvernements.

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