Pour la deuxième fois, la commission des affaires européennes et celle des affaires économiques travaillent ensemble sur la réforme de la PAC : Mme Nicoux et M. César présenteront cette proposition devant la commission des affaires économiques.
Le groupe de travail commun constitué en 2011, avant la présentation de la réforme par la Commission européenne, avait donné lieu à un rapport intitulé « Redonner du sens à la PAC ». Le Parlement européen et le Conseil ont adopté les quatre projets de règlement communautaires qui constituent le coeur de la réforme. Un trilogue réunissant le Parlement européen, le Conseil et la Commission européenne doit aboutir à un texte commun. Une trentaine de réunions sont programmées pour un aboutissement attendu en juillet, à la fin de la présidence irlandaise.
Notre proposition de résolution a été préparée par une série d'auditions, qui ont toutes confirmé l'accord général sur une réforme dont l'enjeu est d'organiser la PAC pour les sept prochaines années. Si elle a révélé l'importance du Parlement européen, co-législateur de la PAC depuis le traité de Lisbonne, la réforme ne constitue nullement une révolution comparable aux bouleversements induits par la réforme de 1992 avec les aides directes au revenu, ou par celle de 2003 avec la généralisation des droits à paiement découplés des productions.
L'acceptation de la réforme est subordonnée au maintien de l'effort budgétaire. La Commission européenne avait proposé de reconduire la dotation en euros courants, ce qui était déjà une limite basse, puisque le budget n'était ni réajusté au prochain élargissement ni réévalué avec l'inflation. Devant la pression de certains contributeurs nets, le budget européen a dû être revu à la baisse, ce qui a affecté les crédits de la PAC - de manière limitée. L'ensemble de la rubrique 2 se monte à 373 milliards d'euros et le budget de la PAC représente ainsi encore 38,8 % du budget européen.
La France bénéficierait de 56 milliards d'euros sur l'ensemble de la période : l'enveloppe initialement prévue par la Commission européenne est préservée, grâce à la ténacité du Gouvernement et du Président de la République. L'accord politique du Conseil européen prévoit une flexibilité entre les deux piliers. En outre, le maintien d'une enveloppe consacrée au fonds européen d'aide aux plus démunis - certes amputée d'un milliard d'euros - a été arraché in extremis lors du Conseil européen du 8 février 2013.
L'essentiel du budget agricole est consacré aux aides directes aux revenus. Comment les répartir entre États membres et entre secteurs ? La convergence externe, c'est-à-dire entre États membres, ne progresse sans doute pas aussi rapidement que le voudraient nos partenaires issus des élargissements de 2004 et 2007, mais toute accélération du rythme risquerait de déstabiliser les équilibres entre les agricultures. Quelques-uns de nos voisins réclament une aide à l'hectare unique, malgré des niveaux de vie très disparates. Le compromis, satisfaisant, n'exclut pas de nouvelles demandes de certains partenaires...
La convergence interne (au sein des États membres) résulte des réformes de 1992 et 2003 : en 1992, la fin de la politique de soutien par les prix avait été compensée par une aide directe au revenu des agriculteurs au sein du premier pilier ; en 2003, on a remplacé les aides liées à une production particulière par des aides découplées, dont le montant avait été calculé par rapport aux aides perçues de 2000 à 2002. L'Allemagne et d'autres Etats en ont profité pour adopter un taux unique par région ; sept États, dont la France, ont choisi de garantir individuellement le niveau de soutien accordé aux agriculteurs, en le calculant à partir de références historiques de l'exploitation, ce qui a perpétué des disparités entre secteurs. Hétérogène, la répartition des aides directes est peu compréhensible pour nos concitoyens. La légitimité d'un tel dispositif s'estompe avec le temps. Aussi notre précédent rapport d'information préconisait-il d'abandonner les références historiques.
La Commission avait proposé de parvenir à un taux unique par région en 2019 avec une première étape égale à 40 % des niveaux à rattraper. Beaucoup d'États restent prudents sur ces deux engagements. Pour notre groupe de travail, la convergence doit être progressive. La plupart des États membres qui sont sous référence historique souhaitent une convergence de 10 % la première année. Reporter l'objectif à une date trop lointaine n'est pas acceptable. La fin des références historiques peut être douloureuse pour certaines exploitations, car elle implique des redistributions entre secteurs, mais il nous semble indispensable de garder l'échéance de 2020.
Nous souhaitons également le maintien d'une certaine flexibilité dans la gestion des aides directes. La France est favorable au maintien de soutiens couplés, particulièrement importants pour l'élevage. La possibilité d'utiliser jusqu'à 15 % de l'enveloppe du premier pilier pour des soutiens couplés, comme le préconise le Parlement européen, est bienvenue. Le Conseil a adopté 12 %, le ministre nous disait espérer pouvoir aller au-delà.
La France a également proposé de favoriser les petites exploitations en majorant les paiements directs sur les premiers hectares. Cette majoration ferait progresser la convergence sans pénaliser excessivement certains élevages laitiers. Nous sommes également favorables aux aides aux jeunes agriculteurs grâce au premier pilier, et au maintien du soutien aux zones défavorisées, qui fait l'objet d'un large consensus.
Le verdissement ensuite : 30 % des paiements directs seraient réservés à des paiements verts, subordonnés à trois dispositifs : au moins trois cultures différentes sur l'exploitation, au moins 7 % de l'exploitation en surface d'intérêt écologique, et maintien des prairies permanentes. D'abord vivement critiquée, l'idée du verdissement a fait son chemin : le verdissement donne une plus forte légitimité aux aides distribuées dans le cadre du premier pilier. Pour la première fois, la PAC reconnaît le caractère de bien public des activités agricoles. Les modalités du verdissement doivent cependant être précisées. Le Conseil a apporté des assouplissements de bon sens aux propositions initiales de la Commission. Afin de ne pas affaiblir la portée de la réforme, nous sommes attachés à un régime de verdissement défini au niveau européen et sans trop d'exceptions. Au demeurant, la France qui applique déjà beaucoup des mesures envisagées, n'a pas grand-chose à y perdre.
L'organisation commune des marchés fait l'objet d'un règlement spécifique. Les clivages entre États membres restent profonds. Le Royaume-Uni, l'Allemagne et les pays de l'Europe du Nord défendent une logique libérale, quand la France et quelques autres soutiennent une logique régulatrice et de sécurité. Nous sommes favorables au maintien des mécanismes de régulation qui assurent un filet de sécurité pour les produits agricoles, mais les prix d'intervention sont fixés à un niveau si faible que leur utilité est incertaine. Les relever, comme le propose le Parlement européen, réclame de notre part de gros efforts pour infléchir la position de nos partenaires.
La régulation passe aussi par le maintien d'un régime des droits de plantation des vignes, dont la suppression avait été programmée en 2008. Grâce à la persévérance des gouvernements successifs, et avec l'appui du Sénat, un dispositif d'encadrement des plantations de vigne devrait être maintenu. La négociation sur les quotas de sucre pourrait être plus difficile, et la fin des quotas sucriers pourrait intervenir en 2017 contrairement au souhait de la profession. Le règlement refondant l'organisation des marchés pour 2014-2020 comprend des avancées comme la reconnaissance du rôle des organisations de producteurs et des interprofessions. Au-delà, il faudrait autoriser les producteurs à se regrouper sur une base très large, afin de peser face à l'aval beaucoup plus concentré, notamment dans le lait ou la viande.
Le projet de règlement sur le développement rural s'inscrit dans la continuité de l'actuelle politique, même si les objectifs sont requalifiés et l'articulation avec les autres fonds structurels, renforcée. Le développement rural sera ce que chaque État membre en fera. Les soutiens aux dispositifs d'assurance ont été transférés au sein du deuxième pilier, ce qui pourrait nécessiter des crédits importants, notamment en cofinancement avec l'Union européenne.
La réforme de la PAC pour la période 2014-2020 marque une étape dans la longue histoire de cette politique communautaire majeure. Elle est plus une adaptation qu'une révolution. Les enjeux auraient pourtant justifié d'aller plus loin car les prix agricoles sont de plus en plus volatiles. Le principe d'aides contracycliques a été balayé d'un revers de main sous prétexte d'incompatibilité avec les règles de l'OMC et au nom du principe de l'annualité budgétaire. Il faut néanmoins continuer d'y réfléchir.