Intervention de Didier Marie

Commission des affaires européennes — Réunion du 11 février 2015 à 15h05
Economie finances et fiscalité — Plan d'investissement pour l'europe : proposition de résolution européenne et avis politique de mm. jean-paul emorine et didier marie

Photo de Didier MarieDidier Marie :

Je vous rappelle que, le 26 novembre dernier, notre commission a adopté un avis politique sur le plan d'investissement annoncé par le Président Juncker auquel nous n'avons pas eu de réponse pour l'instant. Le même jour, la Commission européenne présentait une communication exposant les grandes lignes de ce plan que le Conseil européen du 18 décembre 2014 a approuvées. Le 13 janvier 2015, la Commission a présenté une proposition de règlement instituant un Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) sur la base d'un accord entre la Commission et la Banque européenne d'investissement (BEI). Ce fonds, doté de 21 milliards d'euros, devrait permettre de financer les projets au titre du plan. Ce texte est accompagné de deux autres : un projet de budget rectificatif au budget 2015 de l'Union européenne, visant à tirer les conséquences des modalités de financement du plan, et une communication interprétative sur la façon dont la Commission utilisera sa marge de manoeuvre dans la mise en oeuvre des dispositions du Pacte de stabilité et de croissance.

Le plan d'investissement est conçu comme comprenant trois volets.

Son premier volet, que je vais vous présenter, est centré sur la mobilisation de 315 milliards d'euros sur les années 2015 à 2017, via le FEIS qui devrait être institué d'ici juin prochain avec l'adoption de la proposition de règlement déposée par la Commission. Ce montant est atteint grâce à une prévision d'effet levier de 1 à 15, sur une mise initiale de 21 milliards d'euros. On nous dit qu'il est dans la moyenne des programmes de l'Union et de la BEI. Ces 21 milliards d'euros sont composés de 16 milliards au titre de la garantie adossée au budget de l'Union européenne, dont la moitié sera effectivement provisionnée par un prélèvement de 2 milliards sur le budget de l'Union européenne, de 3,3 milliards sur le Mécanisme pour l'interconnexion en Europe et de 2,7 milliards sur le programme Horizon 2020, garantie qui sera mise en oeuvre progressivement. 5 milliards d'euros seront mobilisés au titre des fonds propres de la BEI. Cependant, on peut relever que l'on ne sait pas ce qui se passera en cas d'appel de la garantie au-delà de cette provision de 8 milliards. Le montant des crédits publics pour financer le plan d'investissement paraît limité, mais résulte à la fois d'un choix politique de la Commission, qui privilégie une mobilisation du marché et des liquidités, et de la modestie du budget de l'Union européenne.

La garantie serait également accordée, par l'intermédiaire de la BEI, à des plateformes d'investissement spécialisées et à des banques nationales de développement. Il est prévu que, sur ces 315 milliards d'euros, 240 milliards soient alloués à des investissements à long terme, des infrastructures pour l'essentiel, et 75 milliards aux PME et entreprises de taille intermédiaire, c'est-à-dire qui comprennent moins de 3 000 salariés, à moyenne capitalisation.

Le FEIS apportera des financements au moyen de prêts, de garanties, d'apports en fonds propres ou encore d'instruments du marché des capitaux, mais ne versera pas de subventions. On ne perçoit pas encore clairement quelle sera l'articulation entre les moyens mobilisés au titre du plan et les fonds structurels et d'investissements européens, même si la Commission assure que ceux-ci et les fonds du plan d'investissement s'additionneront. On peut à cet égard noter l'inquiétude des collectivités territoriales de voir ces fonds structurels détournés de leur destination réelle.

La proposition de règlement met en place une garantie de l'Union européenne, qui permettra à la BEI de couvrir les premières pertes éventuelles du FEIS résultant du financement de projets risqués. D'après les calculs de la Commission, ces pertes ne devraient pas excéder 3 milliards d'euros.

En outre, les États membres pourront verser des contributions au FEIS ou aux plateformes d'investissement. Dans sa communication relative à la flexibilité des dispositions du Pacte de stabilité et de croissance, dont l'objet est néanmoins plus large, la Commission indique qu'elle ne tiendra pas compte de ces contributions nationales au moment de définir l'ajustement budgétaire au titre du volet préventif ou correctif du Pacte et que, si le déficit dépasse la valeur de référence, elle n'ouvrira pas de procédure pour déficit excessif, à la condition que ce dépassement soit dû uniquement à la contribution, qu'il soit limité et qu'il reste temporaire. On peut se féliciter de cette décision, qui marque une nouvelle approche d'application des règles budgétaires en faveur de l'investissement et de la croissance. Il conviendra cependant que cette opportunité faite aux États membres n'incite pas certains d'entre eux à privilégier l'accompagnement des investissements du plan à ceux des fonds structurels qui pour le moment ne bénéficient pas des mêmes dispositions.

La proposition de règlement détaille la gouvernance du FEIS. Celui-ci serait doté d'une double structure : un comité de pilotage, composé de représentants de la Commission et de la BEI, qui déciderait de la politique générale du Fonds, de la répartition de ses actifs, de sa politique d'investissement et du profil de risque, et un comité d'investissement, composé d'un directeur exécutif et de six experts indépendants disposant d'une solide expérience du marché dans le domaine du financement de projets, ces sept personnes étant nommées par le comité de pilotage et chargées de sélectionner les projets financés par le Fonds. Il conviendrait sans doute que ces experts disposent également d'une expérience des collectivités territoriales et des politiques sociales. Il est prévu que, si des États membres contribuent au FEIS, le nombre de membres et de votes au comité de pilotage soit adapté de façon proportionnelle à ces contributions nationales, mais la Commission et la BEI disposeraient d'un droit de veto sur les décisions de ce comité. Le texte est par ailleurs silencieux sur la possibilité pour des investisseurs non européens, des fonds souverains par exemple, de contribuer au Fonds et donc de siéger au comité de pilotage. Il est probable qu'une proposition de contribution sera examinée selon des critères de nature politique selon qu'elle émane, par exemple, de la Norvège ou de la Chine...

Cette gouvernance donne la primauté aux experts. Elle est conçue comme devant permettre d'éviter toute politisation de la sélection des projets, c'est-à-dire leur répartition nationale ou par secteur, dès lors que les États membres sont souvent tentés d'invoquer un « juste retour ». Si l'objectif est louable, « dépolitisation » ne doit pas être synonyme d'illégitimité. C'est pourquoi nous pensons que l'obligation de rendre compte au niveau du comité de pilotage doit être renforcée, qu'un bilan régulier de la mise en oeuvre du plan et du fonctionnement du FEIS doit être effectué et que le Parlement européen et les parlements nationaux puissent exercer leur contrôle.

La proposition de règlement prévoit également la création d'une plateforme européenne de conseil en investissement au sein de la BEI chargée, contre une allocation annuelle de 20 millions d'euros, d'apporter une assistance technique aux investisseurs publics et privés dans le financement de projets. Ce point n'est cependant pas très clair, en particulier pour ce qui concerne son articulation avec les guichets uniques existants et son rôle envers les collectivités territoriales et dans l'accompagnement des PME-ETI.

Alors, que penser de ce premier volet du plan d'investissement ?

Il est indéniable que le plan du Président Juncker tire les conséquences de l'existence de liquidités abondantes et de la nécessité de les orienter vers l'économie réelle. À ce titre, il répond en particulier aux préoccupations françaises de mettre l'accent sur la croissance et l'investissement au niveau européen, et pas seulement sur l'assainissement budgétaire. Plusieurs personnes, lors de nos auditions à Paris comme à Bruxelles, ont considéré que ce plan était astucieux, voire « séduisant » selon l'expression de notre ancien collègue Jean Arthuis, qui préside la commission des budgets du Parlement européen. Pour autant, beaucoup de choses restent ouvertes à ce stade. D'aucuns ont même estimé que ce plan était une « vision », d'autres un « pari ».

De fait, il suscite de nombreuses interrogations.

Les trois quarts des financements devraient concerner des infrastructures. Or, la plupart d'entre elles, en particulier dans les transports et l'énergie, requièrent des subventions, alors que le FEIS les exclut. Leur retour sur investissement est généralement bien supérieur à trois ans, qui est l'horizon de mise en oeuvre du plan. À cet égard, les modalités de financement retenues pourraient être trop restrictives. Quant au quart restant, il devrait aller aux PME sur des projets plus risqués que ceux pour lesquels il existe déjà des dispositifs financiers européens qui leur sont destinés, en particulier le Fonds européen d'investissement (FEI) qui est une filiale de la BEI. Au total, le fonctionnement du FEIS pourrait mettre en évidence deux risques : la difficulté à trouver suffisamment de projets éligibles, d'une part, et un risque d'aubaine, pour les PME en particulier, d'autre part. Autrement dit, quelle sera la valeur ajoutée du plan ? Il sera nécessaire d'être vigilant à ce que des projets qui avaient de toute façon été engagés ne soient pas estampillés « plan Juncker ».

Une autre interrogation importante trouve sa source dans le rôle fondamental - que certains considèrent comme excessif - que joue la BEI dans la mise en oeuvre du plan d'investissement. Il est avéré que c'est la BEI elle-même qui a « soufflé » à Jean-Claude Juncker l'idée de ce plan qui serait un condensé des réflexions et projets de la Banque depuis de nombreuses années. Aussi la rapidité de la présentation du plan et de la rédaction des différents textes ne serait-elle pas fortuite. De même, le fait que la BEI pourra commencer à financer des projets avant que le FEIS ne soit juridiquement opérationnel n'est pas non plus un hasard : c'est ce qu'elle fait depuis des années.

On peut penser que la BEI, à laquelle on reproche souvent sa frilosité au risque, a décidé d'associer l'Union européenne, et la garantie financière de son budget, à la conduite de projets plus risqués. De fait, le FEIS ne sera pas un établissement autonome : il n'aura pas de personnalité juridique et sera une ligne dans les écritures de la BEI. En revanche, le plan sera l'occasion pour celle-ci de recruter une centaine de personnes supplémentaires et d'accroître ses frais de fonctionnement de 105 millions d'euros au titre des dépenses administratives du FEIS. Son conseil d'administration serait le décideur final de la politique d'investissement du FEIS et chapeauterait de fait le comité de pilotage et le comité d'investissement de ce dernier, ce qui allongera encore la procédure d'instruction des dossiers, faisant craindre à certains un risque bureaucratique. De surcroît, la plateforme européenne de conseil en investissement sera gérée par la BEI. La question principale est de savoir si le FEIS ne servira qu'à apporter des garanties supplémentaires à la BEI ou s'il sera en mesure de créer l'effet de levier escompté ?

Enfin, les relations que la BEI entretiendra avec les banques nationales de développement ne sont pas claires et la mise en réseau de ces dernières contribuerait à une réalisation du plan plus efficace.

Ce plan, s'il marque une inflexion notable en faveur de l'investissement et de la croissance, et doit être salué pour cela, devra être régulièrement évalué.

Par ailleurs, il ne doit pas occulter d'autres débats relatifs aux moyens que l'Union européenne devrait se donner pour conforter cet objectif pour la croissance et l'emploi, comme l'affectation en faveur de l'investissement d'une partie des moyens du Mécanisme européen de stabilité, de la possibilité pour la BEI de lever des obligations, de la perspective de la création d'une agence du trésor ou encore d'un livret d'épargne européen.

Jean-Paul Emorine va maintenant vous présenter les deux autres volets du plan d'investissement.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion