Intervention de Michel Barnier

Commission des affaires européennes — Réunion du 25 janvier 2011 : 1ère réunion
Audition de M. Michel Barnier commissaire européen chargé du marché intérieur et des services en commun avec la commission de l'économie du développement durable et de l'aménagement du territoire

Michel Barnier :

Ces vingt ans ont suivi l'explosion du monde bipolaire soviéto-américain et sa transformation en un monde plus instable, probablement plus démocratique, mais plus injuste et écologiquement plus fragile. Cette explosion a ouvert la porte à une financiarisation de l'économie mondiale, dérégulée, sans contrôle ni gouvernance. Cela a provoqué, du fait du comportement amoral et insensé de certains banquiers, notamment d'outre Atlantique, une crise financière, une crise de la liquidité, de la morale et de la supervision.

Nous allons en tirer toutes les leçons et, pour cela, j'ai une feuille de route extrêmement claire, celle du G20. Celui-ci a en effet pris des décisions, sous l'impulsion des Européens notamment, à Londres, Pittsburgh et Washington, afin d'aboutir à la régulation et à la supervision des marchés financiers. Tous les membres du G20 ont donc la responsabilité de faire ce qui y a été décidé. En tout cas, moi, j'ai comme objectif de livrer, avant la fin de cet été 2011, la totalité des textes européens appliquant ces décisions du G20. Je suis déterminé : depuis quatre mois nous avons déjà livré des décisions qui ont été proposées par la Commission, votées par le Conseil à l'unanimité et par le Parlement à la quasi-unanimité.

D'abord, - et c'est le plus important - l'architecture de la supervision européenne avec la création de trois nouvelles autorités indépendantes : pour les marchés, les banques et les assurances. Au-dessus de ces trois écrans radars est instituée la « tour de contrôle » qu'est le Conseil européen des risques systémiques. Ces radars nous ont manqué. Songez que dans la moitié des pays européens, plus de la moitié des banques appartiennent à d'autres pays : c'est le cas de 85 % des banques de la République tchèque. Nous avons donc affaire à des banques transnationales et à des risques systémiques transnationaux. Depuis janvier dernier, nous disposons de trois radars indépendants, qui ont de vrais pouvoirs sur ces trois secteurs financiers.

Nous avons aussi adopté les premières mesures de régulation des rémunérations - notamment l'encadrement des bonus - parce que la crise a eu pour origine le comportement irresponsable de certaines banques où, plus on prenait de risques, plus on était rémunéré, le contribuable étant là pour payer les conséquences de ces prises de risques.

Nous avons délivré également la première régulation des hedges funds. Sur ma proposition a été établie la première régulation des agences de notation - et ce n'est pas fini - pour réduire les risques de conflit d'intérêts et soumettre les agences qui travaillent en Europe à la nouvelle Autorité européenne des marchés financiers (ESMA).

Et je continuerai : pas un marché, pas un territoire, pas un produit financier, pas un acteur financier n'échappera à une régulation intelligente et à une supervision efficace. Pas un ! Jetez un coup d'oeil sur cet Agenda de régulation financière : chaque semaine, sans état d'âme, en prenant le temps nécessaire, nous sortons une proposition pour respecter cet agenda. La semaine prochaine est prévue la conclusion législative de deux régulations majeures sur les produits dérivés et financiers. Ce sont 600 000 milliards de dollars d'échanges qui se font dans le monde dans la plus grande opacité ! Nous allons imposer des règles de transparence, de standardisation, d'enregistrement et de compensation à l'ensemble de ces produits, les short sellings, les ventes à découvert, les credit default swaps. Tout cela sera encadré : le Parlement et le Conseil y travaillent.

Nous révisons la directive sur les marchés financiers où je traiterai des transactions qui se font à la nanoseconde, dans lesquelles l'homme laisse la machine décider pour un profit maximum dans un minimum de temps. Nous révisons aussi l'échelle des sanctions contre la criminalité financière.

Je présenterai un paquet de mesures de prévoyance pour que, dans les banques transnationales, on détecte le risque assez tôt afin qu'il ne se transforme pas en crise et celle-ci en catastrophe, finalement payée par le contribuable. Je veux que les banques payent pour les banques. C'est l'objet de cette taxe que nous allons proposer, et qui n'est pas un impôt que l'État prélèverait sur les banques pour résorber un déficit, mais une contribution bancaire, destinée à mettre de l'argent de côté pour redresser et restructurer une banque en faillite. Nous préférons préparer des « faillites ordonnées » que subir des faillites désordonnées, supportées par le contribuable.

Pour protéger le consommateur, je vais présenter une réforme des prêts hypothécaires et des services bancaires de base. Je veux obliger les banques à plus de transparence sur leurs frais bancaires.

Autre sujet majeur : la mise en oeuvre en Europe des règles de Bâle sur la capitalisation des banques en fonds propres, règles également décidées dans la mouvance du G20. Ce sont des règles très lourdes - comme les règles de solvabilité de Solvency II pour les assurances. Dans l'application de ces règles de capitalisation, il faut veiller à ne pas pénaliser le métier traditionnel des banques qui est de prêter de l'argent aux activités économiques. N'oublions pas qu'en Europe, les trois-quarts de l'activité économique sont financés par les banques et seulement un quart par les marchés. Aux États-Unis, c'est l'inverse. Je fais donc attention, à ne pas asphyxier les banques dans la mise en oeuvre législative des décisions de Bâle.

Voilà l'Agenda. C'est le préalable indispensable pour remettre la finance au service de l'économie.

Le second volet de ma stratégie, c'est de remettre le grand marché européen au service du progrès humain et de la croissance. Les PME et les citoyens acteurs de l'économie doivent avoir le sentiment que ce marché est fait pour eux - et pas seulement pour les gros - et que c'est un espace d'opportunités, non de contraintes. Les acteurs de l'économie ce sont les consommateurs, les entrepreneurs, les artisans, les actionnaires, les épargnants. Je veux que la vie des gens soit facilitée par l'Europe, et non compliquée par elle. Ce n'est pas un hasard si Jean Monnet et Maurice Schuman ont fondé le projet politique de l'Europe sur un socle économique, celui du charbon et de l'acier. Ils ont cimenté l'envie d'être ensemble par un intérêt à être ensemble. Et cela continua avec le Marché commun en 1957, puis avec le Marché unique. L'idée reste valable. Mais à condition que ce marché fonctionne. Le rapport de Mario Monti a constaté ses dysfonctionnements. Si ce marché fonctionnait correctement l'Europe gagnerait de 2 à 4 points de croissance. L'Allemagne, par exemple exporte 60 % de ses produits et services en Europe. Et chacun des autres pays de l'Union exporte majoritairement chez ses voisins. Le Marché unique, avec ses 20 millions d'entreprises et ses 500 millions de consommateurs à haut pouvoir d'achat, c'est notre chance, c'est notre force. A condition d'en améliorer le fonctionnement.

Pour donner une suite opérationnelle au rapport Monti, j'ai réuni 13 commissaires européens et nous avons travaillé, chacun dans notre domaine, à débloquer ce marché, en direction des citoyens et des PME. Le résultat, ce sont les cinquante propositions de ce petit livret que vous avez en main. Cinquante propositions « pour la compétitivité des entreprises, vers les citoyens, pour une meilleure gouvernance, un meilleur dialogue social et un partenariat avec les États et les régions ». J'ai envoyé ce livret à tous les parlements nationaux et en avril, quand nous aurons rassemblé toutes les réactions, nous arrêterons les mesures qui auront été jugées les plus urgentes.

Ce document contient des idées concrètes. Par exemple sur le brevet européen qu'on attend depuis 35 ans, la protection d'une invention industrielle coûtant en Europe dix fois plus cher qu'aux États-Unis, à cause des langues.

Il contient aussi des idées concrètes sur la nécessaire clarification des missions de service public, sur le développement du commerce électronique qui ne représente que 2 % du commerce intra-européen. Il fait aussi des propositions sur l'économie sociale, sur ces entreprises rentables et qui, en même temps, ont une dimension d'inclusion sociale.

J'aimerais donc que vos deux commissions me disent, dans les semaines qui viennent, ce qui leur paraît le plus urgent dans ces 50 propositions. Plusieurs parlements ont déjà fait ce travail. J'ai besoin de toutes ces contributions. Mon objectif est de mettre en oeuvre les plus urgentes de ces propositions dans les deux ans pour que le vingtième anniversaire du Marché unique ne soit pas mélancolique mais proactif. Les crises successives ont provoqué chez les citoyens une inquiétude et même une colère qui justifient que nous allions gagner ces deux à trois points de croissance.

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