Intervention de Didier Marie

Commission des affaires européennes — Réunion du 18 février 2016 à 8h35
Économie finances et fiscalité — Organisation et exploitation des jeux dans l'union européenne : rapport d'information de mm. pascal allizard et didier marie

Photo de Didier MarieDidier Marie :

Quelques chiffres pour commencer. Au 1er janvier 2016, il y avait en France 199 casinos et 2 cercles de jeux, 22 951 machines à sous et 1 034 tables. Pour la saison 2013-2014, le produit brut du jeu était de 2,1 milliards d'euros dans les établissements, dont 1,9 pour les machines à sous ; concernant les jeux en ligne, les paris sportifs ont généré 1,44 milliard d'euros en 2015 - soit 30 % de plus qu'en 2014 - les paris hippiques 1 milliard, et les jeux de cercle, comme le poker en ligne, 3,7 milliards d'euros. Ce n'est donc pas anecdotique.

D'un point de vue économique, les jeux d'argent et de hasard constituent une activité de services relevant des articles 49 et 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, relatifs à la liberté d'établissement et à la libre prestation des services, mais constituent un secteur dérogatoire au droit commun de l'Union européenne en raison de ses particularités : les États membres sont libres de lui appliquer des restrictions.

En l'absence de texte européen spécifique, les grands principes applicables sont essentiellement d'origine jurisprudentielle. Selon la Cour de justice de l'Union européenne, les restrictions en cette matière aux grandes libertés des traités peuvent être justifiées par des raisons impérieuses d'intérêt général telles que la protection des consommateurs et la défense de l'ordre public - les monopoles publics sont donc licites - mais ces restrictions ne doivent pas être discriminatoires, elles doivent être de nature à garantir les objectifs poursuivis et ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre. Les États membres disposent donc d'une importante marge de manoeuvre pour organiser le secteur des jeux dont ils peuvent avoir une conception différente en fonction de leurs valeurs et des spécificités de leur marché national.

L'action de l'Union européenne dans le domaine des jeux est circonscrite aux jeux d'argent et de hasard en ligne, non par voie législative, mais par des recommandations et des échanges de bonnes pratiques. La Commission européenne a ainsi publié une communication en octobre 2012 et une recommandation en juillet 2014. Ces textes sont centrés sur la protection des consommateurs, des groupes vulnérables et des mineurs, sur la prévention de la fraude et du blanchiment d'argent ou encore sur des pratiques de jeu responsables. Le rapport donne des précisions sur les mesures prises en France pour mettre en oeuvre ces lignes directrices, même si des dispositifs de protection de l'ordre tant public que social avaient été mis en place avant les recommandations européennes.

En novembre dernier, les autorités de régulation des jeux ont conclu, sous l'égide de la Commission, un mémorandum d'entente sur les jeux d'argent en ligne. Ce texte, non juridiquement contraignant, a pour objectif de formaliser un système multilatéral de partage d'informations et de renforcer la surveillance des entreprises dont le comportement serait suspect de blanchiment de capitaux.

La compétence encore largement nationale reconnue aux États membres pour réglementer le secteur des jeux explique la grande diversité des situations observées en Europe. L'étude de législation comparée, établie à la demande du Président Bizet et annexée au rapport, porte sur la forme juridique, la création et l'exploitation des établissements de jeux en Allemagne, en Espagne, au Royaume-Uni et en Suisse.

Depuis le XIXe siècle, le droit français pose le principe général de l'interdiction des loteries, assorti de nombreuses exceptions. Les jeux proposés font l'objet soit d'un monopole, tel celui de la Française des Jeux sur les jeux de hasard et les paris sportifs, soit d'un régime d'autorisation administrative, comme celui des casinos et des cercles de jeux : les casinos, titulaires d'une délégation de service public, ont une mission de service public en raison de l'activité d'animation et de développement touristique à laquelle ils contribuent, comme on le voit à Londres ; les cercles de jeux, associations ayant un objet social, sportif, artistique ou littéraire, doivent être titulaires d'une autorisation du ministère de l'intérieur.

Visant à pallier l'interdiction légale de 1920 d'ouvrir des casinos dans un rayon de 100 kilomètres autour de Paris, les cercles de jeux constituent largement une spécificité française, voire parisienne puisque celui de Reims est désormais fermé. Leur nombre a considérablement diminué depuis quelques années : il n'en existe plus que deux aujourd'hui, contre une dizaine il y a encore quelques années. Leur fermeture est généralement consécutive à des enquêtes judiciaires, ce qui n'est toutefois pas sans conséquences sur la hausse de l'offre illégale de jeux notamment en région parisienne.

En mai 2015, le Préfet Duport, missionné par le ministre de l'intérieur, a jugé nécessaire d'entreprendre une réforme visant à mettre un terme à l'existence des cercles de jeux en raison de l'obsolescence de leur réglementation, admise par la profession elle-même. Abrogeant le statut actuel des cercles de jeux, il s'agirait d'instituer des clubs de jeux relevant du droit commercial, sans mission de service public, en mettant fin au système du banquier - souvent en cause dans les procédures judiciaires. Ces clubs proposeraient des jeux de contrepartie et de cercles comme dans les casinos, à l'exception des machines à sous, et seraient soumis à un régime de police des jeux identique.

Même si l'influence du droit européen sur la réglementation nationale du secteur des jeux est limitée, elle n'est pas nulle pour autant. On l'a vu en France, avec l'adoption de la loi du 12 mai 2010 relative à l'ouverture et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne, résultant certes d'une évolution technologique mais aussi du droit européen, en particulier de la jurisprudence de la Cour de Luxembourg. Cette loi institue une nouvelle autorité administrative indépendante, l'Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL), à laquelle sont confiées des missions juridiques, économiques, sociétales et en matière de contrôle, avec notamment l'agrément des opérateurs de jeux et paris en ligne. Elle est également un acteur important de la lutte contre la fraude et le blanchiment d'argent, et de la protection des mineurs et des joueurs contre les risques d'addiction.

C'est un secteur en pleine évolution maniant des sommes non négligeables, source de difficultés telles que le blanchiment ou l'addiction ; à suivre donc.

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