C'est pour moi un honneur et un plaisir de vous retrouver tous. Par une lettre du 28 janvier dernier, Mme la Haute Représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité vous avait dit souhaiter venir s'exprimer elle-même devant les commissions compétentes du Parlement français ; cela devrait se faire à la fin du mois d'avril, lors de son voyage officiel à Paris. La Conférence interparlementaire sur la politique européenne de sécurité et de défense qui se déroulera du 6 au 8 avril 2016 à La Haye sera une autre occasion de dialoguer.
On entend beaucoup dire qu'il est difficile pour une Union européenne en difficulté d'avoir une politique étrangère forte, laquelle suppose d'avoir confiance en soi. On pourrait dire au contraire que si l'Europe parvenait à mettre en oeuvre une politique étrangère forte, cela contribuerait à montrer ce à quoi elle sert et pourrait être un moyen de combattre l'euroscepticisme grandissant. Certaines de nos compétences nous permettent de remporter des succès en politique étrangère, et il est de nombreux domaines dans lesquels une politique étrangère plus cohérente de l'UE a déjà porté ses fruits.
À cet égard, je citerai pour commencer les relations avec la Russie. Je suis frappé de constater à quel point tous les États membres sont conscients de la nécessité d'arriver à une position commune, unifiée, à propos de la Russie. Les positions de départ étaient très différentes : les pays Baltes, la Suède et la Pologne sont, pour des raisons historiques, partisans d'une extrême fermeté alors que l'Espagne, l'Italie et la France, par exemple, n'ont pas la même attitude. Mais à chaque fois que la question des sanctions ou du dialogue avec la Russie est évoquée, chaque pays, au cours du débat, convient que si l'Union européenne veut avoir le moindre impact, elle doit préserver son unité - et, depuis le début de la crise ukrainienne, l'Europe a su faire preuve d'unité. Ainsi, sur ce sujet, en partant de positions initiales très différentes, les Vingt-Huit parviennent à chaque fois à une position commune ; cela dit la valeur ajoutée de l'unité européenne.
Le dernier conseil des affaires étrangères, ce mois-ci, a été l'occasion d'une discussion informelle sur les relations UE/Russie. Sans conclusions écrites, elle a toutefois permis de définir comment l'on envisageait les prochains mois. Il a d'abord été décidé que l'on ne parlerait des sanctions qu'en juin. On sait que la levée des sanctions est conditionnée par la mise en oeuvre complète des accords de Minsk et que cette mise en oeuvre est en difficulté. D'une part, étant donné les antagonismes politiques en Ukraine, l'exécutif a du mal à faire voter par la Rada la loi électorale pour le Donbass et les dispositions anti-corruption. De son côté, la Russie ne montre aucune volonté de rendre à l'Ukraine le contrôle de la frontière russo-ukrainienne. Bien entendu, la Russie argue qu'il n'y a aucune raison de maintenir les sanctions qui lui sont imposées si l'Ukraine ne remplit pas sa part de l'accord, cependant que l'Ukraine fait valoir l'inverse.
L'accord s'est fait aussi sur les cinq points qui doivent fonder le dialogue actuel avec la Russie : insister, à Vingt-Huit, sur la mise en oeuvre complète des accords de Minsk ; dans le cadre du partenariat oriental, resserrer les relations de voisinage, y compris avec les pays d'Asie centrale ; accroître la résilience de l'Union européenne, notamment en renforçant son autonomie énergétique ; poursuivre un engagement sélectif avec la Russie dans les domaines où l'Union a un intérêt clairement identifié et au sujet desquels les points de vue ne sont pas trop éloignés - l'Iran, l'Afghanistan, la lutte contre le changement climatique, et maintenant la Syrie, même si à ce propos les positions sont plus éloignées ; éviter, enfin, que l'écart entre la Russie et l'Union européenne ne se creuse, en développant les échanges entre sociétés civiles.
Sur la Syrie, l'unité européenne est moins évidente, le cas de Bachar al-Assad ayant fait l'objet d'évaluations divergentes. Mme Mogherini s'est rendue la semaine dernière à Genève à l'invitation de M. Staffan de Mistura, envoyé spécial du secrétaire général des Nations Unies pour la Syrie. C'était l'occasion de demander aux parties le respect absolu du cessez-le-feu, le développement de l'accès humanitaire sur l'ensemble du territoire, y compris dans les zones contrôlées par le pouvoir - et vous aurez noté que l'Union européenne a rouvert son bureau ECHO à Damas - et l'accélération du processus de transition politique. Sur ce dernier point, très compliqué, la Russie a un rôle majeur à jouer. Les discussions, ces derniers jours, à Genève, ne prenaient pas un tour très favorable.
La situation en Libye est d'une importance cruciale pour l'Union européenne. Ces jours-ci encore, le nombre d'embarcations chargées de migrants se dirigeant potentiellement vers l'Europe a augmenté ; les équipages de l'opération Sophia en récupèrent régulièrement, tout comme les garde-côtes libyens. Au moins 200 000 migrants potentiels sont actuellement dans les camps libyens, certains disent 800 000. Il est donc essentiel qu'un gouvernement d'union nationale s'installe le plus rapidement possible en Libye, comme prévu dans l'accord de Skhirat. L'Union européenne fait le maximum pour soutenir les efforts en ce sens de M. Martin Kobler, qui dirige maintenant la Mission d'appui des Nations Unies en Libye. Nous sommes en contact avec M. Fayez al-Sarraj, le Premier ministre nommé, que Mme Mogherini a rencontré il y a quelques semaines à Tunis. Il tente d'aller prendre ses fonctions à Tripoli, ce que les « durs » l'ont empêché de faire hier encore en interdisant l'espace aérien à son avion, mais il va chercher d'autres moyens de rejoindre Tripoli.
C'est une des manières dont nous intervenons. Nous le faisons aussi, comme pour la Syrie, en apportant un soutien financier à l'équipe de négociation ; au-delà, une enveloppe de quelque 100 millions d'euros est prévue qui doit permettre d'aider le nouveau gouvernement à faire fonctionner l'administration et les principaux services publics, ainsi que les municipalités, aussitôt qu'il sera installé. Nous nous préparons d'autre part à aider la réforme de la police et de la justice criminelle libyennes. Mais, pour l'instant, le gouvernement libyen d'union nationale que nous soutenons n'a toujours pas eu le vote favorable de la chambre des représentants de Tobrouk. L'édifice est donc extraordinairement fragile. Nous sommes prêts à faire encore plus, mais en tout état de cause, nous ne nous substituerons pas aux Libyens.
Chacun, à Bruxelles, se félicite du rôle pilote qu'a joué la France au Mali lors des attaques venant du Nord du pays. Aujourd'hui, la mission de formation de l'Union européenne au Mali (EUTM-Mali) fonctionne bien. Dans le cadre de l'article 42-7 du traité de l'Union, la France a sollicité l'aide des autres pays membres pour alléger son effort au Mali et des réponses très favorables lui ont été faites, notamment de la part de l'Allemagne.
Je reviens un instant sur le passé pour mettre en exergue deux cas dans lesquels la valeur ajoutée de l'Union européenne a été clairement démontrée. En premier lieu, lors des négociations du groupe E3+3 - composé de la France, du Royaume-Uni, de l'Allemagne, de la Chine, de la Russie et des États-Unis - relatives au programme nucléaire de l'Iran, l'Union a eu un rôle de coordonnateur, et Mme Helga Schmid, directrice politique du SEAE, a négocié pendant cinq ans sans relâche, permettant aux ministres d'aboutir à un accord le 14 juillet dernier. L'Union européenne a donc joué un rôle clef dans ces discussions, comme elle le fait pour le suivi de la mise en oeuvre de l'accord, avec le rôle de coordination confié à la Haute Représentante, Mme Mogherini.
Un deuxième exemple, moins connu mais non moins important pour l'Union, montre l'utilité de la diplomatie européenne : le dialogue entre Belgrade et Pristina. Leurs relations devaient impérativement être normalisées pour que l'on progresse un jour vers l'élargissement de l'Union européenne à la Serbie. Les premiers ministres du Kosovo et de Serbie sont réunis pratiquement chaque mois à Bruxelles, en présence de Mme Mogherini, pour trouver des solutions pour tous les sujets en suspens : accès à l'énergie, frontières, visas... C'est un rôle plus ingrat mais d'une grande importance, ces deux pays étant dans notre voisinage immédiat.
Quant à la stratégie globale que nous préparons, elle sera soumise au Conseil européen de juin. À la demande du Royaume-Uni, le Conseil Européen ne se tiendra pas, comme prévu, le 23 juin car c'est le jour du referendum britannique, mais vraisemblablement les 28 et 29 juin. Le document que présentera Mme Mogherini définira une vision commune à l'horizon de cinq à huit ans dans un document court - une vingtaine de pages - rédigé dans l'esprit de la stratégie de sécurité élaborée par M. Javier Solana en 2003, mais avec un spectre plus large puisqu'il s'agit cette fois d'une stratégie globale de politique étrangère et de sécurité, conformément au mandat donné par le Conseil européen de juin dernier. Le texte réaffirmera que l'Union européenne est une communauté de valeurs fondée sur la sécurité. Il dira la volonté commune de renforcer la résilience des États membres et celle de leurs partenaires dans le cadre d'une politique de voisinage révisée ; de développer une approche intégrée des conflits et des crises ; d'investir davantage dans la coopération avec les autres entités d'intégration régionale; de renforcer la gouvernance mondiale ; d'améliorer la capacité européenne à développer la sécurité collective dans une approche intégrée combinant sécurité externe et sécurité interne.
Les ambitions du Conseil européen de juin 2015 en matière de politique européenne de défense, n'ont pas été tout à fait à la hauteur des principes arrêtés par le Conseil européen de juin 2013. Nous pensons que cette stratégie doit donner des points d'accroche ambitieux sur les capacités, ce qui permettra ensuite d'élaborer un livre blanc consacré à la politique européenne de défense. Je m'en suis entretenu avec M. Michel Barnier, conseiller spécial du président de la Commission européenne pour la défense et la sécurité ; il pense aussi que la stratégie globale devrait fixer les axes doctrinaux qui seraient ensuite déclinés dans un livre blanc qui pourrait être soumis au Conseil européen de décembre 2016.
Dans la lutte contre le terrorisme, l'urgence pour l'Union européenne, c'est d'abord le registre des noms de passagers, le Passenger Name Record (PNR) ; l'accord des Vingt-Huit s'étant fait, l'urgence est maintenant que le Parlement Européen l'approuve. Il convient aussi de renforcer la prévention et la lutte contre la radicalisation. Par exemple Mme Mogherini a rencontré récemment le roi de Jordanie, qui a demandé à l'Union européenne d'aider le royaume à financer des programmes de déradicalisation, comme nous le faisons dans un grand nombre de pays. D'autre part, comme vous le savez, la France est à l'origine du projet de corps de garde-frontières européens, dont on espère qu'il pourra aboutir en juin prochain. En matière de contre-terrorisme, le ministre français de la défense, lors du Conseil « Affaires étrangères » réuni en formation « Défense » le 18 novembre 2015, a présenté une demande d'assistance mutuelle fondée sur l'article 42-7 du traité de l'Union. Les vingt-sept autres États membres ont soutenu unanimement la demande française, et ce soutien s'est traduit dans les faits.
Évidemment, aux yeux de la direction générale de la migration et des affaires intérieures de la Commission européenne, les progrès ne sont pas suffisants pour ce qui concerne l'interconnexion des fichiers Schengen. C'est une des grandes difficultés à résoudre, et le nécessaire travail technique n'est pas encore complétement abouti. C'est bien sûr un domaine dans lequel l'Union européenne aura une valeur ajoutée majeure si elle assure l'interopérabilité et l'immédiateté des connexions entre les différents systèmes.
Vous avez eu connaissance de notre communication relative à la politique de voisinage, dont nous souhaitons qu'elle devienne plus différenciée, plus flexible et mieux ciblée, pour favoriser la résilience des pays considérés en renforçant les aides relatives à leurs réformes dans le secteur de la sécurité.
Le processus d'élargissement le plus avancé concerne le Monténégro : il a ouvert 20 des 35 chapitres nécessaires. La Turquie en a ouvert 15 et la Serbie 2. L'Albanie et l'Ancienne République de Macédoine ont le statut de candidat mais dans les deux cas aucun chapitre n'a encore été ouvert ; avant cela, des réformes importantes doivent être conduites. Enfin, la Bosnie-Herzégovine a déposé sa demande d'adhésion le 15 février dernier.
Je m'arrêterai un instant sur le cas de la Turquie. Il a été convenu avec M. Ahmet Davutoðlu, Premier ministre turc, qui avait été invité à la fin du dernier Conseil européen, de lancer l'ouverture d'un chapitre supplémentaire - le chapitre 33, relatif aux dispositions financières et budgétaires. La France, qui jusqu'alors mettait son veto à l'ouverture de ce chapitre, l'a acceptée car c'était une des conditions posées par la Turquie pour contribuer sérieusement à contenir l'immigration vers l'Union européenne. Les Turcs ont donc demandé clairement la relance du processus d'admission, mais chacun en sait la longueur, et aussi qu'un referendum aurait lieu à la fin du processus. Pour assurer le contrôle des migrants et en particulier le retour des migrants illégaux actuellement en Grèce, la Turquie a aussi demandé la libéralisation des visas. C'est un point très difficile. À ce jour, la Turquie remplit 35 des 72 critères nécessaires pour que l'Union européenne accepte cette libéralisation, et elle affirme être en mesure de les remplir tous en juin. La décision a été prise d'examiner sa demande, à laquelle réponse sera faite sur la base d'un rapport de la Commission déterminant si la Turquie remplit effectivement les 72 critères. En résumé, il a été décidé d'accélérer l'examen des critères de libéralisation des visas, non de les alléger.
S'agissant de l'organisation et des outils de la politique étrangère, j'évoquerai le groupe des commissaires qui ont à traiter des relations extérieures de l'Union, dont Mme Mogherini, en sa qualité de vice-présidente de l'Union, préside les réunions mensuelles. Cette configuration nouvelle, voulue par M. Juncker, est une manière d'assurer plus de cohérence dans l'action extérieure de l'Union européenne. Et c'est avec plusieurs commissaires que, le 16 avril prochain, Mme Mogherini se rendra en Iran ; les volets « commerce », « énergie » et « droits de l'homme » seront ainsi abordés simultanément au cours de cette visite.
J'en viens pour finir au Service européen d'action extérieure lui-même. Il a été créé par le traité de Lisbonne et installé le 1er janvier 2011. Je rends hommage au travail remarquable de M. Pierre Vimont, qui a mis sur pied, ex nihilo, un service sui generis dont l'expertise est de plus en plus reconnue. Dix années seront nécessaires à mon avis pour qu'il trouve sa pleine crédibilité. Nous en sommes à la phase 2 de son organisation, et les développements me paraissent positifs. Les chefs des délégations de l'Union européenne jouent un rôle de coordinateur de plus en plus marqué, et toutes les discussions des Conseils des affaires étrangères, que Mme Mogherini préside ès qualités, sont alimentées par nos dossiers, de manière professionnelle et crédible pour les États membres.