Il y a pratiquement un an, la Commission européenne présentait une ambitieuse stratégie numérique pour l'Union européenne. Après les annonces, viennent les actions et nous voulions, avec Colette Mélot, faire un point avec vous.
Seize initiatives étaient annoncées. Où en est-on ?
On peut dire que la Commission européenne a été assez méthodique et volontaire. Après l'annonce de sa stratégie, et avant que celle-ci ne soit définitivement validée par le Conseil et le Parlement européen, elle a lancé une série de consultations publiques sur différents aspects de la politique numérique. Il est bon de suivre ces consultations, car notre parole de parlementaires est écoutée dans ces travaux préalables. L'une, en cours, porte sur le statut de la Chine à l'OMC. Concernant le numérique, la dernière consultation a été lancée il y a moins d'une semaine, le 23 mars dernier. Elle concerne la place des éditeurs dans la chaine de valeur des droits d'auteurs et l'exception de panorama.
Cette question des droits d'auteur est très importante à l'ère numérique et particulièrement pour notre pays. La Commission européenne avait initialement prévu de présenter une proposition législative sur le sujet en juin. D'après nos informations, ce sera pour l'automne, au mieux. Je ne pense pas que cette réforme sera enterrée, mais je crois que les Commissaires se sont rendu compte qu'il convient d'avancer prudemment sur ce sujet sensible.
Pour le reste, la Commission européenne a poursuivi ses travaux. Elle a déjà soumis au Conseil quatre propositions de texte. Deux concernaient les transactions en ligne et ont fait l'objet d'un avis motivé du Sénat au titre de la subsidiarité. Vous vous souvenez certainement que nous nous étions émus d'une harmonisation totale du droit des consommateurs qui aboutirait à un affaiblissement de la protection des consommateurs français, sachant que notre droit est plus protecteur. Hélas, nous avons été peu suivis par les autres parlements. La raison est double : d'une part, peu d'États membres disposent d'un droit de la consommation qui couvre déjà les transactions en ligne et la plupart sont donc en attente d'un texte européen ; d'autre part, beaucoup de petits pays ont intérêt à développer le commerce transfrontière pour les exportations de leurs entreprises.
De son côté, le Gouvernement français partageait notre préoccupation. Par conséquent, lors des négociations qui ont déjà débuté, il demande que les aspects qui nous posent problème soient exclus de l'harmonisation maximale pour ne faire l'objet que d'une harmonisation minimale. Je rappelle que les directives d'harmonisation maximale ne permettent pas de mieux-disant ; ce sont des règlements qui ne disent pas leur nom. Mais du moins, les négociations semblent avancer assez vite, ce qui était aussi un engagement de la Commission pour mettre en oeuvre sa stratégie numérique, et nous pouvons espérer obtenir satisfaction.
Le troisième texte concerne la portabilité transfrontière des services de contenu en ligne dans le marché intérieur. Notre compatriote Jean-Marie Cavada, Président du Mouvement européen-France, a été nommé rapporteur de ce texte pour le Parlement européen. Je propose que Colette Mélot et moi-même le rencontrions pour recueillir son avis avant de vous présenter notre position.
Le quatrième texte est une proposition de décision sur l'utilisation de fréquences 470-790 MégaHertz dans l'Union. Jean Bizet nous l'avait soumis par procédure écrite car il ne semblait pas poser de difficulté. La proposition reprend en effet dans les grandes lignes la position des autorités nationales et s'inscrit dans la continuité du rapport de Pascal Lamy sur le sujet. Toutefois, elle semble poser des difficultés aux radiodiffuseurs. Peut-être pourrions-nous entendre un représentant de TDF pour y voir plus clair.
J'en viens maintenant aux projets à venir. Devant le Parlement européen le 19 janvier, le vice-président Ansip, en charge de la stratégie numérique, a fait des annonces concernant le calendrier d'un certain nombre de réformes. Un document vous a été distribué sur lequel je pourrai revenir si vous le souhaitez.
Je voudrais insister sur le « paquet Industrie » annoncé pour le début du mois d'avril. Il s'appuierait sur trois communications visant l'informatique en nuage avec la création d'un cloud européen, la normalisation des technologies de l'information et de la communication et enfin l'amélioration des compétences des Européens dans le numérique.
Il s'agit du volet de la stratégie européenne pour lequel, je pense, la France et le Sénat doivent être force de proposition. En effet, la Commission européenne est toujours plus prompte à réglementer qu'à laisser les États membres agir. Pourtant, on le sait bien, l'accès au financement pour le développement des start-ups reste difficile en Europe, alors qu'il est aisé sur le continent américain, voire en Asie. De la même façon, l'Union européenne ne permet pas assez aux États membres de soutenir certains secteurs ou certaines industries, là où Canadiens, Américains et Asiatiques ne se gênent pas !
L'Union européenne pourrait s'inspirer du régime qu'elle a mis en place pour les technologies clés génériques, les « kets » selon l'acronyme anglais (key enabling technologies). Il s'agit de technologies à vocation pluridisciplinaire qui peuvent produire des résultats prometteurs pour la recherche et pour l'économie en proposant de nouvelles technologies industrielles, de nouveaux services et des applications encore inédites. Elles nécessitent qu'on investisse très en amont et sur du moyen à long terme. L'Union a prévu un financement par le programme cadre de recherche et d'innovation Horizon 2020 de 6 milliards d'euros, couplé à un régime dérogatoire aux règles encadrant les aides d'État. L'Union européenne stimule la concurrence mais empêche du coup, sur des secteurs industriels stratégiques, tout interventionnisme des États nationaux. Il devient pourtant urgent d'avoir une vision stratégique et les États nationaux qui le souhaitent doivent pouvoir agir dans ce domaine qui réclame des investissements massifs. L'essentiel, dans ce régime d'aides, est de ne pas prévoir de conditions trop complexes et trop rigoureuses afin qu'il reste attractif et donc efficace.
Dans la résolution du Sénat du 30 juin 2015 pour une stratégie européenne du numérique globale, offensive et ambitieuse, nous plaidions pour une véritable politique industrielle en faveur du numérique dans l'Union européenne. Sur la base des propositions que la Commission européenne va émettre, je crois qu'il faudra travailler à préciser notre vision pour permettre à l'Union européenne de développer sa propre industrie numérique européenne. Les enjeux sont importants - or, si l'Union européenne facilite l'harmonisation du marché, elle reste, en matière de politique industrielle, en retrait. Je terminerai en en ajoutant deux : le Big Data, le traitement des données de masse, un secteur d'avenir mais qui implique qu'on s'y intéresse aujourd'hui, et la régulation des plateformes dont on voit qu'elle est nécessaire et dont Colette Mélot va vous parler.