Intervention de Colette Mélot

Commission des affaires européennes — Réunion du 31 mars 2016 à 8h35
Économie finances et fiscalité — Mise en oeuvre de la stratégie numérique de l'union européenne : communication de m. andré gattolin et mme colette mélot

Photo de Colette MélotColette Mélot :

C'est en effet un sujet que je voudrais aborder avec vous car il est au coeur d'une interrogation que peut susciter le projet de loi pour une République numérique qui a été transmis au Sénat : faut-il légiférer sur le numérique au niveau national ou au niveau européen ? Faut-il réguler les plates-formes au niveau national ou au niveau européen ?

Comme vous le savez peut-être j'ai été nommée rapporteur de la commission de la culture sur ce projet de loi et m'y suis donc intéressée de près. En premier lieu, le texte consacre la neutralité d'Internet déjà approuvée au niveau européen. Il charge l'ARCEP, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, de veiller au respect de cette règle.

Autre apport majeur, la définition des plates-formes et l'instauration d'une obligation de loyauté. Qu'est-ce que cette obligation ? C'est celle de « délivrer au consommateur une information loyale, claire et transparente ». Il s'agit donc simplement d'une obligation d'information, somme toute peu contraignante. Mais elle marque le début d'une régulation des plates-formes dans notre pays.

Pour certains comme le président de l'ARCEP, Sébastien Soriano, il s'agit d'une erreur et la régulation de ces plates-formes devrait se faire uniquement au niveau européen. On peut pointer deux risques inhérents à une réglementation uniquement nationale. Le premier tiendrait à un manque d'efficacité - comment imposer une obligation à une entreprise qui n'est pas sur le sol français ? Deuxième risque, l'obligation ne s'appliquerait finalement qu'aux entreprises françaises, voire européennes et briderait leur développement face aux géants de l'Internet américains.

Lorsque nous avons entendu Alexandre Tisserant, directeur-adjoint du cabinet d'Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du numérique, celui-ci a fait valoir plusieurs arguments qui, je crois, ne sont pas tous en contradiction avec l'idée d'une régulation européenne.

Tout d'abord, il y a l'argument juridique : le règlement « Rome I » fixe des règles à l'échelle de l'Union européenne pour déterminer la loi nationale applicable aux obligations contractuelles en matière civile et commerciale impliquant plusieurs pays. Pour le Gouvernement, en application de ce règlement, l'obligation de loyauté s'appliquerait aux plates-formes dont les services sont employés par les consommateurs français, quel que soit le pays où elles ont leur siège.

Ensuite, le cabinet de la ministre estime cette obligation de loyauté assez faible. Qu'une entreprise ait obligation d'informer le consommateur ne devrait pas l'empêcher de se développer.

Enfin, et c'est je crois l'argument le plus important, l'adoption d'une loi française ne va pas nécessairement à l'encontre de l'adoption d'une réglementation européenne sur les plates-formes. Des échanges entre la Commission européenne et le ministère, il ressort que cette dernière envisage de définir les plates-formes et de leur imposer des obligations. Nous pouvons nous en réjouir. Mais elle regrette que la France n'ait pas attendu qu'elle le fasse. Face à quoi le Gouvernement fait valoir deux arguments. Le premier tient au délai d'adoption d'un texte européen. La phase de consultation publique ne s'est terminée que le 6 janvier 2016. Il faut désormais que la Commission rédige une proposition qui sera soumise au Conseil et au Parlement européen. En pratique, le futur texte n'entrera en vigueur que dans quatre ou cinq ans. Pour le ministère, il sera toujours temps, alors, d'adapter la loi française s'il le faut. Deuxième argument, l'influence de la France dans l'élaboration de la future réglementation européenne. Le ministère estime qu'il sera plus facile de peser dans la discussion si la France dispose d'une loi déjà en vigueur.

Ces arguments me paraissent fondés. Nous déplorons tous le temps que peut prendre l'adoption d'une directive ou d'un règlement européen. J'évoquerai dans un instant celui sur la protection des données. Et nous constatons régulièrement les difficultés qui existent déjà avec les plates-formes en ligne.

Tout le monde a en tête la protection des données pour laquelle la loi sur la CNIL de 1978 avait fortement inspiré le règlement européen de 1995. La France peut montrer l'exemple. J'émettrai simplement une réserve sur l'influence réelle de notre pays. À la commission des affaires européennes, nous sommes bien placés pour constater que l'influence française est en baisse dans une Europe à vingt-huit.

Au plan économique, le problème ne tient pas uniquement à la réglementation. Comme l'a rappelé André Gattolin et comme nous l'a dit ici même le Président de l'ARCEP, nous ne nous donnons pas les moyens, au niveau européen, de faire émerger des acteurs susceptibles de concurrencer les grands groupes américains. Là est le problème. Il nous manque une politique industrielle européenne en faveur du numérique.

Je reviens à la protection des données personnelles. Là aussi, le projet de loi présente des avancées. Toutefois, la rédaction de certaines dispositions diverge du projet de règlement européen. Ce dernier a fait l'objet d'un compromis en janvier dernier entre les institutions européennes. Il devrait - le conditionnel est important ! - être adopté par le conseil Justice et Affaires intérieures le 21 avril prochain et par le Parlement européen réuni en séance plénière à la même période.

Le cabinet d'Axelle Lemaire nous a assurés que des amendements au projet de loi sont d'ores et déjà prévus au cas où le règlement serait adopté. Ils pourraient être introduits lors de la discussion en séance publique au Sénat, qui débutera à la fin du mois d'avril. C'est le cas des dispositions concernant le droit à l'oubli pour les mineurs. Le projet de loi suit la logique du projet de règlement, mais il faudra adapter le premier en fonction de la rédaction finale du second.

Bien que l'on puisse se demander pourquoi le projet de loi ne suit pas déjà le texte du règlement, on voit que le Gouvernement n'avance pas indépendamment de l'Union européenne. Un autre exemple relatif à la protection des données personnelles en témoigne. Le projet de loi encadre la « mort numérique », c'est-à-dire le devenir des données personnelles après la mort. Cela se fait conformément à l'accord trouvé sur le règlement européen, qui avait prévu de laisser cette question aux législations nationales.

Viennent encore des dispositions concernant les pouvoirs de la CNIL, la portabilité des données ou encore le secret des correspondances sur lesquelles je pourrai revenir, si vous le souhaitez.

J'en termine par deux sujets qui occupent beaucoup le rapporteur pour la commission de la culture que je suis : le libre accès aux données de la recherche et la fouille de données, qu'on appelle, en bon français, data mining. Je précise que la commission de la culture est saisie au fond sur ce sujet.

Sur le premier point, le Gouvernement suit un mouvement déjà engagé en Europe. Le projet de loi prévoit que les publications nées d'une activité de recherche financée principalement sur fonds publics peuvent être rendues publiquement et gratuitement accessibles en ligne par leurs auteurs après un certain délai. L'embargo est à l'heure actuelle de douze mois pour la recherche scientifique, et de vingt-quatre mois pour les sciences humaines ; il passerait à six et douze mois respectivement. Ce n'est pas sans poser problème aux éditeurs. Mais ce principe figure dans les lignes directrices du programme-cadre Horizon 2020 établies en 2014 et il est déjà en vigueur en Allemagne et en Italie. Notre pays va s'inscrire dans le même mouvement.

Second point : la fouille de données et de textes. Grâce à une extraction automatisée des informations contenues dans un nombre gigantesque de données et de textes scientifiques, cette technique permet de créer une information qui ne pourrait pas être produite autrement. On est au coeur des évolutions permises par le numérique et le Big Data.

Alors qu'elle est mise en oeuvre au Canada, au Japon et aux États-Unis, cette technique n'est pas encore permise en Europe - mais le Royaume-Uni l'autorise déjà puisqu'il a modifié sa législation en ce sens dès 2014. Son régime juridique relèverait d'une exception au droit d'auteur, dont on sait qu'il devrait être réformé à l'automne au niveau européen, comme André Gattolin vous l'a dit. Cependant, un amendement a été introduit à l'Assemblée nationale pour que la loi l'autorise dès maintenant.

Mon sentiment est qu'il n'y a pas de raison d'anticiper plus que de raison car cette méthode pose de gros problèmes aux éditeurs et aux organismes de recherche. Toutefois, l'enjeu est important pour les chercheurs, qui y sont très favorables. Nous ne pouvons donc pas tourner complètement le dos à cette évolution. Si nous ne souhaitons pas créer une nouvelle exception au droit d'auteur, il faut trouver un autre moyen. Je vais donc proposer à la commission de la culture une position de compromis, fondée sur les relations contractuelles entre chercheurs et éditeurs. Je ne sais pas si cette solution sera retenue, mais je pense que notre commission des affaires européennes sera amenée à se pencher sur la question quand la réforme du droit d'auteur lui sera soumise.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion