Intervention de Michel Delebarre

Commission des affaires européennes — Réunion du 16 février 2017 à 8h35
Énergie — Paquet « énergie » énergie renouvelable et mécanismes de capacité : proposition de résolution européenne et avis politique de mm. jean bizet et michel delebarre

Photo de Michel DelebarreMichel Delebarre :

Les mécanismes de capacité ont pour caractéristique principale de faire financer par la puissance publique le maintien en état de fonctionnement de centrales électriques inutilisées pendant une partie de l'année, afin que les pointes de demande ne débouchent pas sur des délestages massifs. À titre complémentaire, ces mécanismes doivent aussi éviter que le décalage entre l'offre et la demande d'électricité ne se traduise par des prix de gros excessivement élevés. L'existence d'une offre électrique d'origine intermittente principalement pendant les mois d'été rend les mécanismes de capacité particulièrement indispensables pour satisfaire la demande hivernale, au moment où l'électricité intermittente ne peut apporter qu'une contribution marginale à la production.

Bien sûr, le prix de revient du kilowattheure devient dangereusement élevé lorsque la durée d'utilisation effective de la capacité se réduit à peu de temps. Pour éviter les cas extrêmes de ressources électriques utilisées quelques jours, voire quelques heures par an, la mise de centrales « sous cocon », comme disent les professionnels, est complétée par un dispositif appelé « effacement de la demande ». Le principe est simple : des contrats sont passés, par exemple par le gestionnaire du réseau, avec des entreprises électro-intensives, pour que celles-ci se débranchent temporairement du réseau. À titre d'exemple, RTE a passé de tels contrats pour une puissance totale de 2,5 gigawatt au titre de 2017, soit l'équivalent de deux réacteurs nucléaires. Les contrats prévoient le versement de primes fixes rémunérant la disponibilité, ainsi que de primes variables versées lorsque l'effacement est activé.

Si l'électricité d'origine intermittente devait à l'avenir occuper une place plus importante dans le bouquet électrique, une baisse brutale du vent ou de l'ensoleillement pourrait provoquer une insuffisance de l'offre par rapport à la demande. Un nouveau risque de délestage apparaîtrait alors, provoqué non par une pointe de consommation mais par un creux soudain de l'offre. Dans cette hypothèse, l'effacement pourrait maintenir l'équilibre global du réseau.

Dans le paquet « Énergie propre pour tous », aucune proposition de directive ou de règlement ne porte sur les mécanismes de capacité. En revanche, une enquête leur est consacrée. Cet épais document de 208 pages est accompagné d'un rapport où la Commission européenne expose ses conceptions sur ce sujet.

Elle présente d'abord les mécanismes de capacité comme un palliatif à des dysfonctionnements du marché, sans que l'analyse conduite à Bruxelles n'accorde la moindre importance à la place des sources intermittentes d'électricité. Ensuite, elle introduit une distinction capitale à ses yeux entre les mécanismes présentés par les États membres comme devant disparaître au cours des deux années à venir et ceux destinés à durer. Dans le vocabulaire du paquet « Énergie propre pour tous », cette distinction se traduit de la façon suivante : les dispositifs à court terme sont dénommés « réserve stratégique » ; lorsqu'ils sont présentés à long terme, ils deviennent des « mécanismes de capacité », bien que cette même expression serve aussi à désigner l'ensemble des dispositifs, quelle que soit leur échéance.

Surtout, la Commission estime que les obligations imposées aux États membres doivent dépendre de l'horizon temporel. Ainsi, les « réserves de capacité » pourraient ne reposer que sur des centrales disponibles à l'intérieur des frontières de l'État membre considéré. En revanche, les « mécanismes de capacité » stricto sensu devraient impérativement avoir une dimension transfrontalière. Concrètement, l'Allemagne ayant élaboré un système de « réserve stratégique », elle serait libre de ne pas subventionner la disponibilité de centrales mises sous cocon hors de son territoire. À l'inverse, la France ayant présenté à la Commission un « mécanisme de capacité » devant durer plus que deux ans, elle devrait nécessairement lancer des appels d'offres transfrontaliers. Le caractère asymétrique des obligations est difficile à accepter, d'autant plus que la part croissante de l'électricité intermittente en Allemagne autorise un fort scepticisme quant à l'horizon temporel annoncé. Si l'actuelle « réserve stratégique » disparaît à l'horizon 2019, il faudra la remplacer par un dispositif semblable au moins aussi important.

À quoi pense la Commission européenne ? Elle pense au « tout marché » : le marché, rien que le marché, tout le marché, telle paraît être sa devise, dont les deux pierres angulaires sont, d'une part, la libération totale des prix afin que les pointes de cours assurent l'équilibre économique d'installations rarement mises en fonctionnement et, d'autre part, une moindre exigence en matière de continuité de l'approvisionnement électrique.

La proposition de résolution européenne et l'avis politique tendent à rappeler le lien fonctionnel entre sources intermittentes d'énergie et mécanismes de capacité. Les deux textes demandent que la - souhaitable - coopération transfrontalière soit laissée à la libre appréciation des États membres. Nous espérons avoir ainsi éclairé la proposition de résolution européenne et l'avis politique soumis à votre examen en conclusion d'un examen critique et constructif du paquet « Énergie propre pour tous ».

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