Intervention de Didier Marie

Commission des affaires européennes — Réunion du 16 février 2017 à 8h35
Économie finances et fiscalité — Mise en oeuvre de la directive « services » : avis motivés de mm. jean-paul émorine et didier marie

Photo de Didier MarieDidier Marie :

Je vous prie d'excuser l'absence de notre collègue Jean-Paul Émorine.

La Commission européenne a inscrit le secteur des services comme priorité dans son programme de travail pour 2017. Le 10 janvier dernier, elle a ainsi présenté une série de mesures pour améliorer le fonctionnement du marché intérieur, et en particulier la mise en oeuvre de la directive dite « Services » de 2006. Ces nouveaux dispositifs s'inscrivent dans le cadre de sa stratégie pour le marché unique telle qu'exposée le 28 octobre 2015 dans sa communication « Améliorer le marché unique: de nouvelles opportunités pour les citoyens et les entreprises ».

Nous souhaiterions, mon collègue M. Émorine et moi-même, émettre des réserves sur deux de ces textes quant au respect du principe de subsidiarité.

Le premier de ces textes est la directive visant à moderniser la procédure de notification prévue par la directive « Services ». Les États membres sont aujourd'hui tenus de notifier à la Commission européenne toute nouvelle disposition législative, réglementaire ou administrative concernant les régimes d'autorisation ou certaines exigences pouvant restreindre la liberté d'établissement et la libre prestation de service. La Commission communique ces dispositions aux autres États membres - ce qui n'empêche pas leur adoption. Dans un délai de trois mois à compter de la réception de la notification, la Commission examine la compatibilité de ces nouvelles dispositions avec le droit européen et, le cas échéant, adopte une décision pour demander à l'État membre concerné de s'abstenir de les adopter, ou de les supprimer.

Elle estime aujourd'hui que cette procédure n'est pas efficace. Près de 40 % des textes semblent ne pas avoir été notifiés préalablement. La Commission juge que cette défaillance empêche la directive « Services » d'atteindre son plein potentiel économique, soit une augmentation de 2,6 % du PIB de l'Union européenne. D'après ses estimations, les réformes mises en oeuvre par les États membres entre 2006 et 2014 n'ont permis de réaliser qu'un tiers de son potentiel.

Le nouveau dispositif prévoit une notification des projets au moins trois mois avant leur adoption, qu'il s'agisse de lois, de règlements, de dispositions administratives de nature générale ou de toute autre règle contraignante. Cette notification ouvre une phase de consultation de trois mois pendant laquelle la Commission ou les autres États membres peuvent formuler des observations. Les États prescripteurs devront prendre en compte celles-ci. Si, à l'issue de ce délai, la Commission émet encore des réserves sur la conformité du projet de mesures notifié, elle en alerte l'État membre. Une telle alerte empêche pendant trois nouveaux mois l'État notifiant d'adopter les mesures concernées.

Le projet de la Commission de notifier un texte avant même qu'il ne soit adopté n'est pas sans susciter de fortes réserves. La phase de consultation que la notification ouvre laisse entendre implicitement une intervention de la Commission dans le travail du législateur national, ce qui paraît difficilement acceptable. Dans ces conditions, nous vous proposons d'adopter un avis motivé au titre de l'article 88-6 de la Constitution, conforme à la position du Gouvernement.

Le deuxième texte est la proposition de directive relative à un contrôle de proportionnalité avant l'adoption d'une nouvelle réglementation de professions. Son objectif est de demander aux États membres de mettre en place une évaluation préalable de toute nouvelle réglementation encadrant l'exercice d'une profession. Elle concerne toutes les professions dont l'accès est limité par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives. Cette évaluation devra être faite par un organisme national indépendant et objectif. La directive ne précise pas si cet avis est contraignant. Le Sénat a adopté une proposition de loi organique relative aux autorités administratives indépendantes et autorités publiques indépendantes réservant à la loi le pouvoir de créer ce type d'institutions afin d'en limiter le nombre.

La directive précise que ces dispositions nouvelles peuvent être prises pour des motifs d'intérêt général, notamment la sécurité publique, la santé publique ou la protection des consommateurs. Elle exclut les motifs d'ordre purement économique. Au regard des motifs invoqués, les dispositions envisagées sont évaluées pour garantir qu'elles ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire et que le principe de proportionnalité est ainsi respecté. Les dispositions nouvelles sont alors notifiées à la Commission européenne. Les États membres et les parties intéressées peuvent présenter leurs observations.

Cette proposition de directive ne respecte pas le principe de subsidiarité. Tout d'abord, différents articles du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) excluent les mesures d'harmonisation et laissent toute latitude aux États membres pour établir leur réglementation. C'est le cas de l'article 195 du TFUE qui exclut toute harmonisation dans le secteur du tourisme. De même, en ce qui concerne la protection des consommateurs, l'article 169 du TFUE dispose que les États membres peuvent maintenir ou établir des mesures de protection plus strictes si elles sont compatibles avec les traités.

En outre, l'article 91 du TFUE dispose que pour l'établissement de règles encadrant les conditions d'admission de transporteurs non-résidents aux transports nationaux dans un État membre, il est tenu compte de l'impact sur le niveau de vie et l'emploi ainsi que de l'exploitation des équipements de transport. Or, le texte présenté exclut que des dispositions nouvelles soient adoptées pour des motifs d'ordre purement économique. Enfin, l'article 168 du TFUE prévoit que l'action de l'Union est menée dans le respect de la responsabilité des États membres en ce qui concerne la définition de leur politique de santé, ainsi que l'organisation et la fourniture de services de santé et de soins médicaux. L'engagement de la responsabilité des États membres sur ces questions est incompatible avec la mise en place d'un contrôle de proportionnalité des dispositions prises pour encadrer l'accès au niveau national aux professions en lien avec la santé. Sur ce sujet, la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne est constante : elle reconnaît la possibilité pour les États-membres de limiter la liberté d'établissement pour protéger la santé publique. Sur ce texte, nous vous proposons donc également d'adopter un avis motivé au titre de l'article 88-6 de la Constitution.

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