Intervention de Jean Bizet

Commission des affaires européennes — Réunion du 21 janvier 2016 à 8h30
Institutions européennes — Programme de travail de la commission européenne : rapport d'information proposition de résolution européenne et avis politique de mm. jean bizet et simon sutour

Photo de Jean BizetJean Bizet, président :

Concernant la révision de la directive sur le détachement des travailleurs, nous souhaitons avant tout que celle-ci contribue à lutter efficacement contre les distorsions de concurrence et le dumping social. Il est indispensable de rappeler ce préalable tant le Conseil apparaît divisé sur cette question. Nous détaillons les approches dans le rapport. Il convient d'éviter que la révision complète de la directive initiale de 1996 ne conduise à une remise en cause complète du dispositif existant par un certain nombre d'États. Nous devons garantir ses acquis et l'améliorer en mettant en avant le principe d'un salaire égal sur un même lieu de travail et en articulant mieux droit du travail et droit de la sécurité sociale.

Outre la question de la représentation au sein des organismes internationaux, l'approfondissement de l'Union économique et monétaire sera traité en 2016 à travers le pilier sur les droits sociaux, qui doit faciliter une véritable convergence en la matière au sein de la zone. Une telle initiative doit évidemment être saluée quand bien même elle ne résout pas, loin s'en faut, la question des distorsions de concurrence en la matière : les écarts les plus conséquents sont en effet observés avec des pays situés aujourd'hui en dehors de la zone euro. La mise en place d'un socle commun sur les droits sociaux doit être accompagnée d'une réflexion plus vaste sur les défis communs en la matière : contrats de travail flexibles et sûrs, allégement de la fiscalité du travail, apprentissage, formation professionnelle et aide au retour à l'emploi et alignement de l'âge de départ en retraite sur l'espérance de vie. Pour l'heure, le programme de la Commission européenne peut paraître modeste avec l'annonce de deux initiatives législatives en faveur du développement des compétences et des parents qui travaillent.

Au sujet de l'approfondissement du marché intérieur, nous saluons la volonté de la Commission européenne de mettre en place un cadre européen pour l'économie collaborative. Nous souhaitons cependant que celui-ci soit compatible avec l'ambition affichée par ailleurs de juguler les distorsions de concurrence dans les domaines social et fiscal. Il convient de rappeler à ce stade que les principales entreprises dans ce secteur sont extra-européennes. Toute stratégie en la matière passe également par une réflexion sur l'économie numérique, les nouvelles technologies étant au coeur du développement de ce que l'on appelle l'uberisation. L'Union européenne doit être proactive en la matière. Elle doit aider les PME à combattre les pratiques déloyales qui peuvent être imposées par de grandes plateformes numériques placées en position dominante. Au-delà d'une approche au travers de la seule politique de la concurrence et des infractions au droit européen, il convient désormais d'envisager une législation européenne régulant le fonctionnement des plateformes et protégeant, par la même occasion, le citoyen et ses données. Il s'agit également pour l'Union européenne de dépasser son rôle de simple consommatrice et de devenir une véritable productrice de contenus numériques. L'Union européenne doit promouvoir un principe d'innovation dans ce domaine. Il conviendrait, à ce sujet, d'auditionner le président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), Sébastien Soriano. Il vient d'être élu à la présidence du PEREC, l'organe des régulateurs européens, et il préconise une plus grande harmonisation des pratiques et des normes dans ce secteur.

Sur la question des migrations, nous ne pouvons qu'approuver les propositions de la Commission du 15 décembre 2015 sur la révision du Code Schengen et la création d'une nouvelle agence des garde-côtes et des garde-frontières dotée de moyens et de compétences élargies. Le volet de la lutte contre le terrorisme nous paraît en revanche insuffisamment traité, indépendamment des progrès enregistrés sur le registre de données passagers dans le transport aérien (PNR) et de la proposition de la Commission européenne sur le contrôle des armes à feu. Il a fallu huit ans - et les événements tragiques de 2015 - pour obtenir la création de ce registre ; ce retard suscite une grande incompréhension de nos concitoyens. La réponse opérationnelle que doit apporter l'Union européenne à la question du terrorisme doit être plus ambitieuse et reprendre les positions que nous avions exprimées dans la résolution européenne relative à la lutte contre le terrorisme et tendant à l'adoption d'un acte pour la sécurité intérieure de l'Union européenne. Nous réitérons donc notre souhait que la Commission européenne propose un cadre juridique européen facilitant la surveillance, les poursuites et les mises en cause des combattants dits étrangers ; qu'elle propose le renforcement des moyens financiers et humains de la section d'Europol consacrée à la recherche et au partage avec les États membres d'informations ayant trait au terrorisme djihadiste sur internet ; et enfin que soit mis en place dans un délai rapide un parquet européen collégial et décentralisé aux compétences élargies à la criminalité grave transfrontière.

Ces demandes seront adressées au Gouvernement, si vous en êtes d'accord, via une proposition de résolution européenne que nous soumettons au Sénat. Comme l'a indiqué Simon Sutour, cette résolution sera doublée d'un avis politique qui en reprend les termes mais qui est directement adressé à la Commission européenne. Ce faisant, nous utilisons le cadre de la procédure du dialogue politique mis en place depuis 2005 et réformé avec l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne.

Notre commission s'est déjà exprimée, en octobre dernier, sur la nécessité de renforcer le dialogue politique et de dépasser le cadre du simple avis politique. Au regard de leur rôle particulier dans le processus législatif et compte tenu de l'objectif affiché par la Commission Juncker de renforcer la coordination avec eux, il apparaît légitime de mieux associer les parlements nationaux à la procédure législative européenne. Il convient donc de faire émerger un droit d'initiative ou « carton vert », qui confère aux parlements nationaux la possibilité de proposer des actions à mener par l'Union européenne ou d'amender la législation existante. Il s'agit aussi d'éviter que les parlements nationaux ne soient cantonnés à un rôle d'opposant perpétuel, via le contrôle de subsidiarité et la procédure dite du « carton jaune ».

Depuis l'adoption de notre résolution et de notre avis politique sur ce sujet en octobre dernier, les choses ont sensiblement évolué. La Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (Cosac), qui réunit tous les semestres les représentants des commissions des affaires européennes des parlements des États membres et des pays candidats ainsi qu'une délégation du Parlement européen, a défini, lors de sa réunion des 30 novembre et 1er décembre 2015 à Luxembourg, les contours du carton vert. Il pourrait consister à proposer de nouveaux textes européens et à amender ou abroger la législation existante. Un seuil minimal de parlements nationaux participant à cette procédure, un délai et un échéancier de participation devraient être mis en place. Si ce seuil n'était pas atteint, le texte pourrait être envoyé par les parlements nationaux participant à la Commission européenne en tant que texte conjoint, sans le statut de carton vert. Il serait également possible d'introduire des amendements au texte initial conformément à un délai décidé par le parlement à l'origine du carton vert. Seraient en outre autorisés la signature ex post et le retrait d'un carton vert à tout moment.

Trois cartons verts ont d'ores et déjà été proposés. Dans ces conditions, l'avis politique sur le programme de travail de la Commission européenne pour 2016 qui reste malgré tout général, pourrait être doublé dans les prochaines semaines d'un carton vert sur la question du terrorisme, suite aux travaux que nous avons inscrits à notre ordre du jour. Il s'agit, de la sorte, de contribuer encore plus nettement à l'activité législative de l'Union européenne en transmettant des propositions ambitieuses dans ce domaine.

La procédure du carton vert est de nature à renforcer l'implication des parlements et à aiguillonner la Commission européenne. Lord Boswell, que j'ai rencontré avec Fabienne Keller lors de notre récent déplacement à Londres, a particulièrement salué l'appui apporté par la France au carton vert britannique portant sur le gaspillage alimentaire.

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