Intervention de Ladislas Poniatowski

Commission des affaires économiques — Réunion du 22 février 2017 à 9h30
Proposition de résolution sur les énergies renouvelables et les mécanismes de capacité — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Ladislas PoniatowskiLadislas Poniatowski, rapporteur :

Il nous revient d'examiner ce matin la proposition de résolution européenne présentée la semaine dernière, au nom de la commission des affaires européennes, par nos collègues Jean Bizet et Michel Delebarre, en réaction à la publication par la Commission européenne, le 30 novembre dernier, d'un nouveau train de mesures baptisé « paquet pour une énergie propre pour tous les Européens », dont doivent sortir de multiples textes législatifs et réglementaires. Globalement, je propose de soutenir le texte proposé par la commission des affaires européennes. Cela étant, comme il n'intervient que dans deux domaines, je présenterai des amendements portant sur des domaines de la compétence de notre commission.

Le groupe socialiste a déposé cinq amendements. Trois seront pleinement satisfaits. Je proposerai de sous-amender un de mes amendements pour tenir compte de l'un d'entre eux. Je n'en refuserai qu'un seul, celui par lequel nos collègues sollicitent un rapport, ce qui ne se fait d'ordinaire jamais dans une résolution européenne.

Nos collègues de la commission des affaires européennes ont donc choisi de concentrer leur texte sur deux aspects, en partie liés : l'essor des énergies renouvelables et la mise en place de mécanismes de capacité. Compte tenu de l'importance des enjeux, je vous proposerai d'élargir le champ de la proposition de résolution à l'ensemble du paquet. Cela nous permettra de poser dès à présent certains considérants de principe qui nous sont chers ; je pense par exemple à la défense de la péréquation tarifaire ou au maintien des tarifs régulés pour les clients particuliers, mais pas seulement.

J'ajoute que ces sujets viendront inévitablement devant nous lorsqu'il sera question de transposer certaines des mesures proposées dans notre droit interne.

Avant d'en venir au fond, je dirai quelques mots de la forme, pour rappeler l'extraordinaire densité de ce paquet. Il est question de pas moins de huit propositions d'actes législatifs - révisions de règlements ou de directives - et de nombreux autres documents de présentation ou d'évaluation, le tout pour un total de 4 689 pages. Si l'on peut saluer le travail important réalisé par la Commission européenne, on regrettera cependant qu'un tel volume, en partie justifié par la technicité des sujets abordés, rende malgré tout difficile son appropriation par les citoyens. J'ajoute que cela fait déjà presque trois mois que les textes ont été présentés et que de nombreux volets ne sont pour autant toujours pas traduits en français !

Sur le fond, je suis d'accord avec beaucoup de points que Laurent Michel, directeur général de l'énergie et du climat, a développés devant nous lorsque nous l'avons auditionné. Nous approuvons une partie du paquet, nous avons des réserves sur d'autres aspects et de vraies réticences sur le dernier volet.

D'abord, comme nous l'avions déjà indiqué dans la loi sur la transition énergétique, nous avons toujours approuvé l'objectif d'approfondissement de la coopération européenne en matière d'énergie et de climat, et donc le mandat donné à la Commission européenne pour mettre en oeuvre l'Union de l'énergie. Il serait du reste paradoxal de s'être donné des objectifs climatiques particulièrement ambitieux, contraignants à l'échelle de l'Union et qui ont contribué au succès de l'accord de Paris sur le climat, et de dénier dans le même temps à la Commission le droit de proposer des mesures qu'elle jugerait pertinentes pour les atteindre.

Cela n'empêche bien évidemment pas d'examiner ces propositions avec un regard critique, non seulement parce que la législation européenne ne tire sa légitimité politique que de son approbation par les institutions démocratiquement élues et représentatives que sont le Parlement et le Conseil européens, mais aussi parce que, même sur le plan technique, les propositions de la Commission reposent parfois sur des présupposés qui peuvent être contestés. Je n'en donnerai qu'un seul exemple : en matière de sécurité d'approvisionnement, la Commission prône, plus ou moins explicitement, la doctrine du marché dite energy only, qui voudrait que les signaux des marchés de court terme suffiraient à maintenir ou à développer les capacités requises pour assurer cette sécurité à moyen terme. Or l'expérience nous a montré qu'il n'en était rien, les prix de gros très bas ayant, par exemple, sorti du marché des centrales à gaz dont nous aurions pourtant eu le plus grand besoin récemment.

Je rappelle également que l'énergie est une compétence partagée entre l'Union et les États membres et qu'à ce titre, les propositions de la Commission doivent respecter les principes de subsidiarité et de proportionnalité, la souveraineté des États membres sur la définition de leur mix énergétique, ainsi que leur responsabilité vis-à-vis de leurs concitoyens en matière de sécurité d'approvisionnement.

J'en viens maintenant à quelques points particuliers sur lesquels les initiatives de la Commission me semblent positives.

En matière d'efficacité énergétique, signalons le relèvement de l'objectif de 27 % à 30 %, qui crée une nouvelle dynamique, la prolongation des obligations d'économies d'énergie imposées aux fournisseurs et aux distributeurs d'énergie au-delà de 2020 et l'inclusion de la précarité énergétique dans ces obligations, qui confortent le dispositif français des certificats d'économies d'énergie, les CEE, et notamment les CEE « précarité », ou le renforcement de l'information et des droits des consommateurs, notamment en matière de facturation.

En matière d'énergies renouvelables, la prise en compte de l'objectif des 27 % en 2030 me semble également réaliste, même si certains auraient sans doute souhaité aller encore plus loin, de même qu'est bienvenu l'objectif d'une augmentation de 1 % par an de la part des énergies renouvelables dans la production de chaleur et de froid.

On peut encore saluer le renforcement de la préparation et de la coopération entre États membres en cas de crise dans le secteur de l'électricité et, plus largement, le rôle central dévolu aux consommateurs, qui doit leur permettre de devenir des acteurs à part entière du système électrique.

Enfin, la Commission a pris ou annoncé plusieurs initiatives intéressantes pour accompagner la transition énergétique sur les plans industriel et social. Je pense en particulier aux divers outils créés pour financer des projets innovants, comme le programme Horizon 2020, le fonds NER 400 ou la mobilisation du plan Juncker, qui devraient toutefois aller au-delà de l'aide aux seuls prototypes ou aux démonstrateurs et accompagner le développement industriel des filières naissantes. Je songe aussi à la mobilisation du tissu industriel par la création d'un « forum industriel des énergies propres » ou encore à l'accent mis sur la nécessité d'aider à la transformation des compétences et à la reconversion économique des régions et des industries fortement carbonées.

Il reste que certaines propositions de la Commission sont critiquables.

D'abord, et même si ce n'était pas l'objet du présent paquet, nos collègues de la commission des affaires européennes ont justement rappelé l'importance d'une tarification forte du carbone à l'échelle européenne, et donc la nécessité d'une réforme ambitieuse du marché de quotas européen, qui est actuellement en cours de discussion à Bruxelles. Or, si le texte adopté par le Parlement européen la semaine dernière comporte des points positifs, il ne permettra pas en l'état d'atteindre les 30 euros la tonne de CO2, qui, selon tous les experts, sont pourtant indispensables pour changer la donne et réorienter les investissements. À cet égard, il serait peut-être temps de changer de méthode, en cherchant d'abord à accorder les États membres sur un prix-cible, avant de fixer les paramètres techniques qui permettraient de l'atteindre. Dans cet ordre, les États auraient sans doute plus de difficultés à assumer, devant leurs pairs et face à l'opinion publique, un objectif de prix inconciliable avec leurs engagements climatiques.

Je vous proposerai aussi de compléter le texte pour insister sur l'utilité de mécanismes de capacité pérennes et revenir sur trois mesures proposées par la Commission inacceptables en l'état. Pour ceux qui n'en sont pas familiers, je rappellerai que ces mécanismes fonctionnent comme un dispositif assurantiel obligatoire, auxquels les fournisseurs sont tenus de participer pour assurer qu'ils seront en mesure d'approvisionner leurs clients à tout moment, et en particulier aux périodes de pointe, dans la droite ligne du rapport Poignant-Sido, qui avait plaidé pour la création d'un tel outil en France. C'est donc un instrument essentiel pour notre sécurité d'approvisionnement.

Or la Commission prévoit non seulement de conditionner leur création à une étude européenne, ce qui méconnaîtrait les spécificités de chaque pays, de les soumettre à une révision annuelle, alors qu'ils ont justement pour objet d'assurer une rémunération des capacités sur le moyen terme, et enfin de n'ouvrir aux capacités étrangères que certains mécanismes, dont le marché de capacité français, et pas d'autres, à commencer par la réserve stratégique allemande, présentée comme temporaire. Je ne suis pas d'accord ; je demande que chaque pays soit traité de la même manière. Comme l'a du reste très bien noté le président de la commission des affaires européennes Jean Bizet, de tels mécanismes ne peuvent s'envisager que « dans un cadre de réciprocité ».

Le seul point où nous ne sommes pas tout à fait d'accord avec la commission des affaires européennes concerne les interconnexions. Je vous proposerai de préciser que le renforcement des interconnexions ne doit plus être fondé sur un taux uniforme à toutes les frontières, qui n'a aucune raison d'être technique ou économique et qui se révélerait inutilement coûteux, mais sur l'analyse coûts-bénéfices systématique de chaque projet, afin de s'assurer d'un bénéfice net pour la collectivité. Ce n'est pas à Bruxelles de décider quel équipement nous voulons mettre en place entre la France et l'Italie ou la France et l'Espagne ! À nous d'examiner si c'est rentable économiquement et pertinent techniquement ou non.

Plus généralement, le cadre réglementaire devrait donner la visibilité suffisante, non seulement, on l'a vu, pour garantir la sécurité d'approvisionnement, mais aussi pour investir dans les énergies décarbonées ou pour préserver la compétitivité des consommateurs industriels.

Le premier point implique d'autoriser explicitement les États membres à recourir à des appels d'offres par technologie, alors que la rédaction très générale proposée par la Commission n'exclut pas formellement le concept d'appel d'offres technologiquement neutre. C'est d'autant plus nécessaire que les appels d'offres par filière permettront de mieux piloter le mix, de profiter des complémentarités - géographique, saisonnière, caractère intermittent ou non - entre les technologies ou de mieux les intégrer au réseau. Il nous faut aussi plaider pour un soutien aux énergies décarbonées, dont la filière nucléaire, qui a l'avantage d'être, comme l'a fort bien rappelé la commission des affaires européennes, à la fois décarbonée et pilotable, par des contrats offrant des prix garantis sur longue période, comme les contrats passés par Gouvernement britannique pour les deux réacteurs d'Hinkley Point.

Quant au second point, il s'agirait de reconnaître l'intérêt pour les consommateurs industriels de pouvoir souscrire des contrats d'approvisionnement de long terme qui leur donneraient de la visibilité et pourraient aussi répondre aux besoins de financement du secteur énergétique.

Cette proposition de résolution nous donne aussi l'occasion d'affirmer que la protection des consommateurs est une préoccupation essentielle et qu'elle est de nature à renforcer la confiance dans les mécanismes de marché, là où la Commission européenne tendrait uniquement à la voir comme un frein à la concurrence. Je vous proposerai de nous opposer fermement, d'une part, à la suppression des tarifs régulés pour les consommateurs particuliers, dès lors qu'ils reflètent bien les coûts des opérateurs historiques, comme c'est le cas en France, d'autre part, à deux mesures a priori techniques, mais qui ne seraient pas sans conséquence pour le consommateur : le déplafonnement total des prix de gros de l'électricité, combiné à l'obligation faite à tout fournisseur de proposer une offre tarifaire dynamique variant avec les prix de marché de très court terme, qui pourraient en pratique exposer les consommateurs à des risques financiers considérables.

Je vous proposerai de ne pas nous opposer à la suppression des tarifs sociaux, dès lors que nous en avons bien perçu les limites et que la France elle-même a fait le choix de les remplacer par un autre dispositif : le chèque énergie. En revanche, il conviendra que la Commission clarifie ses propositions en matière de mesures alternatives, qui font référence à ce stade à des « prestations de sécurité sociale », afin de bien assurer la pérennité du chèque énergie à la française.

Je crois que nous pourrons aussi nous accorder sur un autre point de vigilance majeur, autour de la défense de deux principes cardinaux du modèle énergétique français : la péréquation tarifaire, garante de la cohésion nationale et de la solidarité entre les territoires, et l'optimisation des réseaux confiés à des gestionnaires indépendants qui en ont le monopole. En la matière, il est impératif que certaines propositions de la Commission visant le développement de l'autoconsommation individuelle ou collective ou promouvant la création de « communautés d'énergies renouvelables » ou « locales » soient strictement encadrées, par exemple pour éviter une désoptimisation du système qui conduirait à dupliquer des parties du réseau. De même, il est essentiel de trouver, pour ces nouveaux modèles de consommation et de production, des modèles tarifaires qui pérennisent le financement des réseaux sur l'ensemble du territoire.

Enfin, plusieurs propositions de la Commission contreviennent manifestement aux principes de subsidiarité et de proportionnalité, voire opèrent des transferts de souveraineté dans des matières qui relèvent de la responsabilité des États membres. Cela concerne en particulier quatre éléments : d'abord, l'ouverture, sur une base obligatoire et non volontaire, des dispositifs de soutien nationaux aux installations d'énergies renouvelables étrangères ; ensuite, l'approbation par la Commission européenne des plans énergie-climat nationaux et la possibilité de sanctionner financièrement les États membres qui n'atteindraient pas leurs objectifs climatiques ; enfin, la création de centres opérationnels régionaux auxquels les gestionnaires de réseaux de transport devraient adhérer obligatoirement, qui disposeraient de pouvoirs contraignants à leur égard et surtout, qui ouvriraient la voie, selon les réflexions de la Commission, à un démantèlement des missions des gestionnaires nationaux. Vous l'avez compris, je veux protéger notre transporteur RTE.

Dernier point saillant, le nouveau cadre proposé en matière de régulation soulève au moins une inquiétude et une objection. L'inquiétude concerne une harmonisation excessive des méthodes de construction des tarifs ; il est en particulier essentiel que les régulateurs nationaux conservent la main sur les tarifs de distribution. L'objection est à l'encontre des nouvelles règles de gouvernance de l'Agence de coopération des régulateurs de l'énergie, l'ACER, dont le directeur se verrait accorder le monopole de la rédaction des actes et dont les décisions seraient adoptées à la majorité simple. Des décisions pourraient donc être prises contre l'avis de régulateurs représentant plus de 80 % du marché de l'électricité européen !

Je terminerai par les biocarburants. La Commission fixe des objectifs d'incorporation croissante des biocarburants avancés et prévoit, en parallèle, la baisse de la part des biocarburants de première génération. Si nous pouvons adhérer à la première ambition, il me semble que la seconde devrait être plus progressive. Une réduction trop rapide poserait trois difficultés : d'abord, pour atteindre les objectifs de décarbonation du secteur des transports, car les biocarburants avancés, dont le développement a pris du retard, ne seront pas en mesure de fournir les volumes suffisants aux échéances prévues ; ensuite, parce que les biocarburants actuels induisent des bénéfices économiques, par leur contribution à l'excédent commercial et à l'indépendance énergétique de l'Union, et agronomiques, par la couverture des besoins en protéines animales grâce aux tourteaux ; enfin, parce que la filière agro-industrielle et les dizaines de milliers d'emplois qu'elle représente en France aura besoin de temps pour s'adapter.

Sous le bénéfice de ces amendements, je vous proposerai d'adopter la présente proposition de résolution.

J'ajouterai dans mon rapport un tableau montrant qu'il n'y a aucun parlementaire européen français parmi les rapporteurs du paquet pour défendre les intérêts de notre pays et notre mix énergétique à Bruxelles. C'est regrettable et inquiétant.

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