Intervention de Michel Magras

Commission des affaires européennes — Réunion du 13 octobre 2010 : 1ère réunion
Modification du statut de saint-barthélemy e 5608 communication de M. Jean Bizet et Audition de M. Michel Magras sénateur de saint-barthélemy

Photo de Michel MagrasMichel Magras, sénateur de Saint-Barthélemy :

Permettez-moi d'abord de vous remercier, Monsieur le Président, de me donner l'occasion de m'exprimer devant votre commission. Je vais vous présenter les raisons majeures qui nous poussent à soutenir cette évolution statutaire pour Saint-Barthélemy.

Quelques mots d'histoire en guise d'introduction : Saint-Barthélemy est une petite île de 24 km2 au nord de la Guadeloupe qui compte 8450 habitants. Découverte en 1493 par Christophe Colomb et rattachée à la souveraineté française en 1674, l'île de Saint-Barthélemy est cédée par Louis XVI en 1784 au roi de Suède, Gustave III, contre des droits d'accès des navires français au port suédois de Göteborg et à ses entrepôts. Près d'un siècle plus tard, en 1877, l'île est rétrocédée à la France à la suite d'un référendum marquant l'accord de la population. En 1946, Saint-Barthélemy devient une commune du département de la Guadeloupe. Après s'être considérablement appauvrie et avoir subi l'émigration de ses habitants vers les îles vierges américaines, l'île a été découverte par les Américains fortunés dans les années 1960 comme un lieu de villégiature attractif. En 1963, la France mit en place la sous-préfecture des Iles du Nord pour la gestion administrative des îles de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin.

A la suite des lois de décentralisation de 1982, la population, jeune, de Saint-Barthélemy s'est prise en mains et la commune de Saint-Barthélemy, s'affranchissant de la Guadeloupe, a progressivement assumé des compétences croissantes incluant celles d'un département, d'une région voire une partie de celles de l'État. Cela a naturellement conduit l'île à demander une évolution de son statut pour l'accorder à la réalité des faits. En 2007, Saint-Barthélemy devient donc une collectivité d'outre-mer de l'article 74 de la Constitution, c'est-à-dire dotée de l'autonomie. L'État y garde les compétences majeures, donc le droit français s'applique à Saint-Barthélemy sauf dans les domaines concernés par le transfert de compétences (tourisme, environnement, circulation, transports...), qui ne touchent en rien à la sûreté de l'État et aux grands principes nationaux.

Cette évolution statutaire a eu deux conséquences à l'échelon européen.

D'une part, appartenant aux régions ultrapériphériques (RUP) du fait de son intégration à la Guadeloupe, Saint-Barthélemy devenue collectivité d'outre-mer fut d'office rangée parmi les RUP dans le traité de Lisbonne.

D'autre part, alors qu'elle bénéficiait d'un statut de territoire extra-douanier européen en grande partie grâce à l'action de Louis Le Pensec, l'île a perdu ce statut dérogatoire lorsqu'elle est devenue collectivité d'outre-mer. Ce n'est qu'en accédant au statut de pays et territoire d'outre-mer (PTOM) qu'elle pourrait récupérer cette compétence douanière.

Nous abordons ainsi les raisons qui plaident pour une transformation du statut européen de Saint-Barthélemy : pourquoi le statut de PTOM serait-il mieux adapté ?

D'abord, pour des raisons de cohérence. Quand l'État français transpose des directives communautaires en droit national, ce droit s'applique à toutes les RUP relevant de la République française, y compris, concernant Saint-Barthélemy, dans des domaines où la collectivité s'est vue transférer des compétences.

Ensuite, pour des raisons de difficultés d'application des normes européennes. Trois exemples concrets illustreront ce point : en matière de santé, un appareil destiné à la radiologie, offert par des Américains, est resté inutilisé car il n'avait pu obtenir d'homologation aux normes européennes ; concernant l'essence, la norme européenne applicable (1 % de benzène maximum) empêche désormais Saint-Barthélemy de s'approvisionner en Amérique du Sud, comme le fait Saint-Martin. Le pétrole arrive donc de Mer du Nord, par un bateau habitué à livrer la Guadeloupe et la Martinique et obligé désormais de faire un détour vers Saint-Barthélemy, ce qui accroît le coût d'approvisionnement. Ceci a porté le prix de l'essence à la pompe de 0,86 euro à 1,42 euro le litre en six mois, alors que la partie hollandaise de Saint-Martin, qui est PTOM, continue à proposer aux pêcheurs et plaisanciers de s'alimenter à 86 centimes le litre. Enfin, théoriquement, l'île de Saint-Barthélemy ne devrait plus se fournir en viande au Texas et au Canada depuis la crise de la vache folle. Sans refuser d'appliquer les normes européennes, Saint-Barthélemy se trouve ainsi confrontée à des normes disproportionnées, alors qu'elle n'a pas à rougir en matière de respect de l'environnement ou de normes d'hygiène. Elle souhaite simplement obtenir la possibilité d'adapter ces normes à sa situation particulière.

Enfin, je reviens sur la compétence douanière qui est sans doute la motivation majeure de notre demande d'accès au statut de PTOM. Depuis 1974, Saint-Barthélemy, qui ne connaît ni la taxe sur la valeur ajoutée ni l'octroi de mer, bénéficie d'une taxe, le droit de quai, qui frappe toute marchandise entrant sur son territoire à son prix d'arrivée (incluant les frais de transport). Le droit de quai, par son caractère dérogatoire au droit européen, risque d'être remis en cause alors qu'il constitue l'essentiel des recettes de la collectivité. En outre, l'île souhaiterait immatriculer les bateaux et créer un quartier des affaires maritimes : elle a obtenu le droit d'immatriculer les bateaux, mais s'est vue refuser toute compétence en matière de francisation des navires et de droit de navigation des navires, qui sont des compétences douanières et, à ce titre, relèvent de l'État. Si bien que Saint-Barthélemy continue de faire immatriculer ses bateaux au quartier des affaires maritimes de Pointe-à-Pitre en Guadeloupe, dont le directeur des affaires maritimes, à l'heure de la suppression du dernier poste de fonctionnaire à Saint-Martin, se désintéresse progressivement de cette tâche. Seul le statut de PTOM permettrait à Saint-Barthélemy d'exercer cette compétence. D'ailleurs, l'île a déjà de très bonnes relations avec la douane, puisqu'elle a signé avec elle une convention permettant de faire intervenir les douaniers pour faire respecter le droit de quai.

Quelques mots sur le bénéfice des fonds structurels, considéré comme un avantage associé au statut de RUP. Saint-Barthélemy a bénéficié de ces fonds en qualité de commune de la Guadeloupe, de façon néanmoins marginale (à hauteur de 3 à 3,5 millions d'euros sur la période 2007-2013). Désormais, détachée de la Guadeloupe et traitée à part comme RUP depuis le traité de Lisbonne, Saint-Barthélemy n'est plus éligible aux fonds structurels du fait que son PIB par habitant, proche de celui des Yvelines, dépasse la limite de 75 % de la moyenne européenne.

J'en profite pour souligner que nous avons toujours essayé de ne pas trop dépendre des fonds extérieurs : la participation de l'État, sous forme de dotation, n'a jamais dépassé 8 % du budget de la collectivité. Elle est même nulle aujourd'hui. Quand a été effectué un bilan fiscal des relations entre notre collectivité et l'État, il est apparu que l'apport fiscal de Saint-Barthélemy au budget de la Guadeloupe et de l'État (5,6 millions d'euros) dépassait le coût réel des dépenses de l'État à Saint-Barthélemy (5,2 millions d'euros).

Cela ne signifie pas, bien au contraire, que Saint-Barthélemy ne veut pas respecter les valeurs fondamentales de l'Europe. Saint-Barthélemy est d'abord français et gardera l'usage de l'euro. Elle a signé une convention avec le Ministère de l'économie en matière d'échanges de renseignements pour lutter contre la fraude fiscale et le blanchiment d'argent : l'île n'est pas un paradis fiscal, même si elle pâtit de l'amalgame effectué par les médias entre ses résidents et sa clientèle touristique haut de gamme ! Si Saint-Barthélemy a sa fiscalité, l'État a conservé ses compétences en droit financier, droit bancaire, droit du travail... Les banques à Saint-Barthélemy sont donc celles de la place de Paris. Enfin, pour la circulation des personnes, le droit d'accès et de séjour des étrangers reste une compétence étatique, Saint-Barthélemy ne délivrant que les autorisations de travail et souhaitant à ce titre continuer d'accueillir sans discrimination tous les citoyens européens.

Je conclurai en insistant sur le fait que la modification statutaire ne peut pas porter atteinte aux intérêts de l'Europe et qu'en devenant un PTOM, Saint-Barthélemy rejoindra toutes les îles qui l'entourent, mise à part la partie française de Saint-Martin.

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