La crise financière puis économique que connaît l'Union européenne depuis plusieurs années l'a conduite, plus encore au niveau de la zone euro, à se doter d'une procédure de surveillance macroéconomique et budgétaire, dite « semestre européen », qui a permis de renforcer la gouvernance de l'Union économique et monétaire (UEM) de façon rapide et efficace.
Je ne m'attarderai pas sur la description du semestre européen mis en place par le « six-pack », le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'UEM (TSCG) et le « two-pack », que nos collègues Jean-François Humbert et Richard Yung avaient exposés devant notre commission, et que je rappelle dans mon rapport écrit qui vous a été préalablement communiqué.
En dépit de l'entrée en vigueur de ces nombreux textes, dont l'articulation n'est d'ailleurs pas toujours évidente, la situation demeure fragile et des inquiétudes persistent sur la soutenabilité de la dette publique, alors même que le chômage atteint un niveau particulièrement élevé dans de nombreux pays de la zone euro. Aussi est-il apparu indispensable de parachever l'UEM. À cette fin, une réflexion nourrie s'est engagée entre les institutions de l'Union européenne et les États membres autour d'idées novatrices, comme celle de développer la dimension sociale de l'UEM, à l'initiative de la France, et celle d'un budget spécifique à la zone euro, également portée par les autorités françaises.
La procédure qui sous-tend le semestre européen est fondée sur une logique de surveillance et de discipline. C'est dans le souci de dépasser cette logique - qui est nécessaire mais non suffisante - que j'ai établi mon rapport et la proposition de résolution européenne que je vous soumettrai et qui vous a également été transmise.
Je rappelle que le parachèvement de l'UEM a été préparé par des travaux du Conseil européen et de la Commission européenne. Quelles sont les principales propositions sur la table ?
L'idée d' « arrangements contractuels » associés à un mécanisme de solidarité visant à encourager les réformes structurelles relatives à la compétitivité et à la croissance dans les États membres contractants figure à la fois parmi les propositions du Conseil européen et de la Commission.
Cet arrangement contractuel est dénommé instrument de convergence et de compétitivité (ICC) par la Commission. Son objectif serait « d'aider les États membres qui connaissent des difficultés susceptibles d'affecter toute la zone euro à engager [...] les réformes nécessaires plus rapidement qu'ils n'auraient pu le faire sans cette aide ».
L'ICC comporterait deux éléments :
- d'une part, les arrangements contractuels proprement-dits, à savoir les principales mesures, prenant en compte les recommandations par pays émises au titre du semestre européen, qu'un État membre s'engagerait auprès des institutions communautaires à mettre en oeuvre selon un calendrier. Les réformes concernées seraient celles qui seraient susceptibles d'avoir des répercussions sur les autres États membres, la zone euro et l'Union européenne. L'ICC serait négocié entre la Commission et l'État membre concerné, puis soumis à l'approbation du Conseil, sur proposition de la Commission. Celle-ci serait également chargée de la surveillance de sa mise en oeuvre dans le cadre du semestre européen ;
- d'autre part, un soutien financier pour la mise en oeuvre des réformes inscrites dans les arrangements contractuels. Les États membres participants contribueraient au mécanisme de soutien financier, selon des modalités qui restent ouvertes. Ce soutien financier serait ciblé, limité dans le temps et rapide. Il ne serait accordé que si les réformes négociées étaient effectivement mises en oeuvre. En cas de non-respect persistant des engagements pris, le soutien financier pourrait être retiré à l'État membre en cause.
Pour ma part, je considère que l'ICC ne doit pas reposer, comme la procédure existante, seulement sur une logique de discipline, mais qu'il doit plutôt exprimer une logique de solidarité propice au financement d'investissements en faveur de la croissance et de l'emploi.
Par ailleurs, la Commission européenne propose que les projets nationaux de grandes réformes des politiques économiques soient examinés et débattus au niveau de l'Union européenne avant qu'une décision définitive soit adoptée au niveau national afin que les États membres intègrent la dimension européenne des réformes structurelles dans leurs procédures nationales. Seuls les projets de grandes réformes des politiques économiques nationales seraient concernés par cette procédure de coordination préalable, c'est-à-dire les réformes qui auraient des conséquences sur d'autres États membres, la zone euro ou l'Union européenne. Parmi les domaines concernés, la Commission mentionne les marchés des produits, des services et du travail, la fiscalité ou encore les marchés financiers.
Selon moi, la coordination préalable des grandes réformes doit constituer un outil permettant de parvenir à la mise en place d'un véritable gouvernement économique au niveau de la zone euro.
Enfin, sur la dimension sociale de l'UEM, la Commission rappelle que les politiques sociales et de l'emploi relèvent très largement de la compétence des États membres, mais propose toutefois des mesures dans trois domaines :
- un meilleur suivi des défis qui se posent en matière sociale et d'emploi et une amélioration de la coordination des politiques ;
- une solidarité accrue et des mesures renforcées en faveur de l'emploi et de la mobilité des travailleurs ;
- le renforcement du dialogue social.
Elle propose en particulier la mise en place d'un tableau de bord comprenant cinq indicateurs qui étaierait son projet de rapport conjoint sur l'emploi afin de surveiller les évolutions en matière sociale et d'emploi : le niveau du chômage et son évolution ; le taux de jeunes ne travaillant pas, ne suivant pas d'études ni de formation et le taux de chômage des jeunes ; le revenu disponible brut réel des ménages ; le taux de risque de pauvreté chez les personnes en âge de travailler ; les inégalités.
Pour établir mon rapport, j'ai effectué un certain nombre d'auditions ainsi qu'un déplacement à Bruxelles. J'ai constaté à cette occasion que, les manifestations les plus aigües de la crise de la zone euro s'éloignant, le volontarisme, voire l'audace qui s'attachait à certaines propositions émises à la fin de 2012 s'émousse. J'ai en effet eu le sentiment d'une volonté politique en train de fléchir de la part de certains États membres dans un contexte marqué par la fin des menaces sur l'intégrité de la zone euro.
Contrairement à ce qui s'était passé pour l'union bancaire au Conseil européen d'octobre 2012, les chefs d'État et de gouvernement n'ont pas encore conclu d'accord politique global pour une « union budgétaire ». Des reculs sont même perceptibles. La rédaction des conclusions du Conseil européen des 19 et 20 décembre prochains nous apportera à cet égard des éclaircissements sur la volonté politique réelle en matière de renforcement de l'UEM.
Pour ma part, j'ai cherché à adopter une démarche à la fois volontariste et prospective qui peut être résumée de la façon suivante :
- instituer une capacité budgétaire au niveau de l'UEM, préalable à un budget de la zone euro, pourvu que sa légitimité démocratique soit réelle et qu'elle soit soumise à un contrôle parlementaire ;
- mettre en place un dispositif respectueux des compétences des États membres ;
- donner à ce dispositif une dimension concrète pour les citoyens européens, par exemple sous la forme d'une assurance-chômage européenne, sans doute la voie la plus appropriée pour renforcer la dimension sociale de l'UEM.
La mise en place d'une capacité budgétaire au niveau de l'UEM puis d'un véritable budget de la zone euro constitue naturellement une démarche progressive reposant sur différentes étapes successives devant être définies précisément par l'Eurogroupe sur la base d'une feuille de route fixant des échéances.
Cette capacité budgétaire et, à terme, le budget de la zone euro pourraient se voir attribuer trois fonctions principales : faciliter l'aide financière aux États membres de l'UEM en cas de choc asymétrique (fonction de stabilisation macroéconomique) ; faciliter les réformes structurelles en provisionnant des incitations financières ; fonctionner comme un mécanisme de soutien budgétaire dans le cadre de la future union bancaire européenne.
Cet instrument devrait permettre de financer non seulement des réformes structurelles, mais également des investissements ayant une incidence sur la croissance et l'emploi afin de privilégier une logique d'intégration et de solidarité. Ce budget central devrait rester de niveau limité et, surtout, compte tenu de la situation des finances publiques en Europe, ne pas se traduire par un accroissement des dépenses publiques. Il pourrait être alimenté par un transfert de recettes nationales, un accord semblant se dessiner sur l'impôt sur les sociétés. C'est d'ailleurs une piste esquissée par la contribution franco-allemande du 30 mai dernier.
Il paraît réaliste d'avancer vers un budget de la zone euro de façon progressive, par étapes successives. Cette approche, proposée par le rapport Van Rompuy et par la Commission, est du reste conforme à l'histoire et à la pratique de la construction européenne. L'établissement d'un calendrier en vue de l'instauration par étape d'un budget de la zone euro constituerait un signal fort en direction des États membres contraints, pour beaucoup d'entre eux, à des efforts d'ajustement extrêmement lourds, voire épuisants, et fixerait un cap pour les marchés financiers qui abhorrent l'incertitude. L'achèvement de l'UEM se traduirait par la réappropriation par la zone euro de la souveraineté budgétaire, qui serait une souveraineté partagée.
Naturellement, la création d'une capacité budgétaire de la zone euro et, à terme, la possibilité d'un budget de la zone euro, implique l'affirmation de la légitimité démocratique de ce dispositif et le renforcement du contrôle parlementaire qui doit s'exercer à son endroit. Sur ce point, j'évoque différentes pistes dans mon rapport, parmi lesquelles l'organisation de débats contradictoires réguliers entre les parlements nationaux et la Commission, l'institution, au sein du Parlement européen, d'une structure dédiée à la seule zone euro, la tenue de réunions de la Conférence interparlementaire prévue par l'article 13 du TSCG cohérentes avec les étapes du semestre européen, la constitution au sein de cette Conférence interparlementaire d'une commission spéciale compétente pour la seule zone euro ou encore la création d'un comité mixte, éventuellement paritaire, comprenant des membres du Parlement européen et des membres des parlements nationaux de la zone euro, qui serait amené à se prononcer lors des étapes les plus importantes du semestre européen. Je constate néanmoins que l'exercice demeure délicat, comme le montrent les tensions apparues, en particulier entre le Parlement européen et les parlements nationaux, lors de la première Conférence interparlementaire des 16 et 17 octobre derniers, à Vilnius.
Le dispositif à mettre en place doit être respectueux du principe de subsidiarité et donc des compétences des États membres. Il convient de laisser à ces derniers le temps de s'approprier la procédure prévue au titre du semestre européen. Ils doivent également se prémunir de la tentation de la Commission de s'immiscer trop loin dans les réformes qu'ils doivent mettre en oeuvre. Ils sont certes destinataires des recommandations adoptées par le Conseil, mais ils doivent rester libres de définir eux-mêmes les modalités qu'ils jugent les plus opportunes.
Selon moi, il faut tirer parti de l'approche contractuelle qui sous-tend l'ICC. La notion de contrat n'est pas usuelle dans la pratique communautaire, qui repose sur des actes unilatéraux adressés aux États membres et qui s'imposent à eux, des recommandations le plus souvent, élaborés au terme d'une procédure multilatérale. Cette démarche nouvelle doit être mise à profit pour négocier au mieux les modalités de réalisation des réformes conduites au niveau national. Dès lors, le contrat peut être un moyen de préserver les marges de manoeuvre des États membres et des parlements nationaux.
Enfin, je considère que l'approfondissement de l'UEM ne présentera du sens que si sa dimension sociale est véritablement développée. En effet, la construction européenne, pour regagner en légitimité, a besoin de projets qui apportent des réponses aux difficultés des citoyens dans des domaines qui les concernent au plus près. Des mesures en matière d'emploi et de politique sociale peuvent permettre de compenser des conséquences potentiellement négatives de l'union monétaire sur les politiques sociales nationales, en particulier le risque de concurrence des normes sociales entre États membres et celui de démantèlement de dispositifs sociaux au profit d'ajustements économiques dans les pays les plus vulnérables.
À cette fin, il convient d'intégrer les politiques sociales et d'emploi dans le semestre européen. L'ICC et la procédure de coordination préalable devraient aussi concerner les questions sociales et d'emploi. De même, les incitations financières prévues par l'ICC devraient porter sur la mise en oeuvre des réformes permettant d'atteindre les objectifs sociaux préalablement définis et de réduire les déséquilibres constatés à partir du tableau de bord d'indicateurs sociaux.
Par ailleurs, la dimension sociale pourrait être davantage prise en compte en améliorant la gouvernance de l'UEM, en particulier dans deux directions :
- d'une part, en prenant davantage en compte les questions sociales et d'emploi dans les discussions des instances décisionnaires de la zone euro, c'est-à-dire prévoir des réunions de l'Eurogroupe avec les ministres compétents en la matière ;
- d'autre part, en renforçant le dialogue social en accordant une place plus large aux partenaires sociaux européens et nationaux dans le cadre du semestre européen en les consultant lors des grandes étapes de la procédure.
Ces mesures, aussi nécessaires soient-elles, paraissent toutefois insuffisantes. Pour aller plus loin, je soutiens l'idée que la dimension assurantielle de la capacité budgétaire à mettre en place au niveau de la zone euro, et éventuellement à d'autres États membres de l'Union européenne sur une base facultative, prenne la forme d'une assurance-chômage. Cette solution présente en effet plusieurs avantages :
- elle concourrait à remplir l'objectif de stabilisation macroéconomique dévolu à la capacité budgétaire et, à terme, au budget de la zone euro, les dépenses liées au chômage étant particulièrement cycliques ;
- elle contribuerait à réduire la tendance à faire des politiques sociales les variables d'ajustement des efforts macroéconomiques en cas de choc asymétrique ;
- elle offrirait une visibilité forte auprès des citoyens européens qui percevraient immédiatement les avantages sociaux de la zone euro.
C'est à partir de l'ensemble de ces considérations que j'ai établi la proposition de résolution européenne que je vous ai soumise.