Monsieur le Président, mes chers collègues. Dix-huit mois après le déclenchement de la crise de la dette souveraine, l'Italie constitue la nouvelle cible des marchés financiers. Cette dégradation de la position italienne s'inscrit dans un contexte marqué par les difficultés de la zone euro à mettre en place des réponses adaptées à l'ampleur de la crise. Chacun peut constater que des incertitudes demeurent sur la démultiplication des moyens du Fonds européen de stabilité financière, malgré les sommets du 21 juillet et du 26 octobre.
La hausse des taux italiens contraste, pourtant, avec la valeur des fondamentaux économiques du pays et la rigueur budgétaire dont l'Italie a fait preuve ces deux dernières années. Au delà du problème de sa dette, qui représente 120 % du PIB mais qui apparaît soutenable, c'est bien la gestion politique de l'adaptation du pays à la crise de la dette qui est visée par les investisseurs. Les différents plans de rigueur adoptés depuis juin 2010 sont jugés incomplets, parce qu'il leur manque l'ambition de relancer la croissance.
La croissance italienne est, dans la durée, inférieure à la moyenne de la zone euro. L'augmentation du produit intérieur brut peine à dépasser 1 % depuis 2000 et devrait atteindre à peine 0,7 % cette année. La Banque d'Italie prévoit, pour 2012, une récession de l'ordre de 0,4 % du PIB.
L'Italie renouerait dès lors avec la récession qu'elle a déjà connue en 2008 et 2009, avec une contraction de l'activité de l'ordre de 7 % du PIB sur deux ans. Aucun rebond d'ampleur n'a d'ailleurs été constaté depuis. L'activité économique n'a pas retrouvé le niveau de 2007, le PIB actuel enregistrant encore un écart négatif de 5 % par rapport à cette année-là.
Il faut également tenir compte de l'impact des disparités régionales sur l'activité moyenne du pays. Le nord du pays et son tissu de petites et moyennes entreprises contraste avec la partie méridionale, toujours en attente d'un plan de développement efficace. Le revenu par habitant du Mezzogiorno est ainsi inférieur de moitié à celui perçu au nord du pays. Et cela, en dépit de l'opportunité que peuvent représenter les fonds européens. Cette division économique de la péninsule en deux territoires distincts se retrouve notamment en matière de chômage.
L'Italie compte, à l'heure actuelle, 600 000 emplois de moins qu'en février 2008. Le pays est, notamment, affaibli par l'explosion du chômage des jeunes et des femmes. Le taux de chômage reste néanmoins l'un des moins élevés au sein de la zone euro : 8,4 % contre 9,9 % au sein de la zone euro.
La dette italienne - 1 911,8 milliards d'euros - frôle, quant à elle, les 120 % du PIB, ce qui interdit toute relance budgétaire. L'année 2009 a été marquée par une augmentation de la dette de 10 points de PIB, principalement imputable au creusement du déficit public. Celui-ci n'est pas lié à une politique de relance, mais au souhait du gouvernement de laisser jouer les stabilisateurs automatiques. L'endettement a cependant moins augmenté ces trois dernières années en Italie (+ 15,4 points entre 2007 et 2010) qu'en France (+ 17,3 points) ou en Allemagne (+ 18,3 points).
Cette introduction, dans une large mesure négative, ne doit pas occulter la qualité des fondamentaux économiques italiens et notamment ses atouts industriels. L'Italie demeure le pays européen disposant du plus grand nombre d'entreprises, près de 4 millions, contre 2,6 en Espagne, environ 2,4 en Allemagne et 1,9 en France. 95 % de ces sociétés sont des PME.
La capacité exportatrice de ces entreprises demeure le principal facteur de croissance, notamment dans le secteur textile. L'Italie a su développer un véritable label « made in Italy », dépassant les lacunes de l'État en matière d'aide à l'innovation, pour développer au sein des entreprises une véritable culture de la créativité. Les exportations italiennes ont augmenté de 15,8 % en 2010, la progression devrait être similaire pour l'exercice en cours. La valeur des ventes atteint celle enregistrée avant la crise de 2008. L'économie italienne connaît, en outre, un certain nombre de succès sur les marchés extra-européens, notamment en Chine.
L'industrie s'appuie sur un système bancaire solide, relativement préservé par la crise des subprimes, en raison, notamment, de son aversion aux produits financiers complexes. 62 % des placements bancaires concernent les prêts aux entreprises et aux ménages, contre 31,7 % en Allemagne et 30,3 % en France. Les banques italiennes demeurent de ce fait relativement préservées des fluctuations des marchés.
La forte détention de titres de dette publique par les résidents - 56 % -, sécurise, par ailleurs, le Trésor italien, la dette demeurant relativement protégée des mouvements spéculatifs. La gestion de la dette apparaît la plus diversifiée de la zone euro, réduisant l'exposition aux risques liés aux mouvements des taux. Enfin, la maturité de la dette italienne demeure relativement longue - 7,04 années en moyenne -, ce qui la rend moins dépendante des aléas du marché.
L'endettement public italien, s'il inquiète des marchés prompts à anticiper un effet de contagion, doit, en outre, être mis en perspective avec le faible endettement des ménages et des entreprises. L'économie italienne se distingue ainsi des cas irlandais, portugais ou espagnol et s'avère comparable sur ce point à l'économie française.
La focalisation des marchés et des agences de notation sur la croissance et la dette ne doit pas, par ailleurs, occulter la relative bonne gestion des comptes publics italiens. Le déficit public italien est inférieur à ceux enregistrés dans les pays placés sous assistance financière - la Grèce, Irlande, le Portugal - ou menacés de l'être, à l'instar de l'Espagne. Il est également inférieur au déficit d'un pays classé AAA comme la France.
Les bonnes performances de l'économie italienne à l'export ou la faiblesse de l'endettement des ménages et des entreprises ne doivent pas, cependant, faire oublier l'absence dans plusieurs domaines de réformes structurelles, indispensables en vue de gonfler la croissance du pays.
Le « climat des affaires » est jugé peu favorable à l'activité économique. Les procédures administratives sont lourdes et le recouvrement de l'impôt n'est pas assez efficace. La fraude fiscale est estimée à 125 milliards d'euros par an et l'économie informelle à 17 % du PIB.
La gestion par les collectivités locales d'un certain nombre de services publics suscite des réserves. La Banque d'Italie estime qu'une privatisation des entreprises concernées et une libéralisation de leurs secteurs d'activité permettrait au PIB italien de croître de 11 %.
L'amélioration de la gestion publique locale reste également à l'état de projet. La réorganisation administrative du pays dans un sens plus fédéral entreprise depuis 2001, et relancée en 2009 via la notion de fédéralisme fiscal, demeure incomplète. Les décrets d'exécution pris en ce sens ne sont toujours pas opérants. La réforme n'a pas, par ailleurs, été accompagnée d'une rationalisation des structures politico-administratives.
Par ailleurs, si la capacité d'innovation de l'industrie italienne est reconnue, elle demeure du ressort de l'entreprise. Le système scolaire et universitaire comme les politiques publiques en la matière semblent peu efficaces.
L'Italie - comme d'ailleurs la France - ne favorise pas la croissance en taille de ses entreprises ou leur internationalisation. La taille des entreprises contribue à les rendre fortement dépendantes du crédit bancaire (67 % de leurs dettes financières en 2010) et ne leur permet pas d'accéder aux marchés financiers. La gestion « familiale » de ces PME tempère également leur croissance.
Les rigidités observées sur le marché du travail ne doivent pas non plus être occultées. Les négociations salariales demeurent ainsi décorrélées de la productivité.
La Banque centrale européenne a rappelé dans une lettre adressée aux autorités italiennes le 5 août dernier son souhait que le gouvernement transalpin procède à une réforme d'envergure du marché du travail. Cette réforme devrait modifier un modèle fondé sur l'extrême flexibilité pour les jeunes et les titulaires de contrats précaires et la totale protection pour les autres. Elle a également conditionné son intervention sur les marchés financiers à l'engagement de réformes structurelles dans le pays, visant notamment à une plus grande libéralisation de l'économie.
C'est dans ce contexte que doivent être analysés les deux plans de rigueur - les manovre - adoptés cet été. Le premier programme d'austérité adopté le 15 juillet constituait, notamment, une réponse à la mise sous perspective négative de la note italienne et à la hausse régulière des taux. Le second, présenté à peine un mois plus tard, traduisait l'inquiétude des autorités italiennes face au risque de contagion de la crise de la dette souveraine.
Cette manovra bis adoptée début septembre a pour principal objectif le retour à l'équilibre budgétaire dès 2013. La dette publique est supposée être ramenée à 112,6 % du PIB en 2014. Les économies attendues des deux plans sont d'environ 150 milliards d'euros sur les quatre prochaines années. Elles consistent principalement en une augmentation de la pression fiscale : hausse de la TVA, création d'une contribution temporaire sur les hauts revenus et réduction concomitante des dépenses sociales. L'âge de départ en retraite des femmes est porté à 65 ans d'ici 2014 et l'âge de départ en retraite est désormais calé sur l'espérance de vie, et devrait atteindre 67 ans en 2026.
Les doutes subsistent cependant sur l'application effective de ces plans de rigueur et sur leur efficacité. Les incertitudes en matière de croissance relativisent la portée des manovre, et soulèvent la question de la crédibilité du gouvernement qui les a mis en oeuvre.
La cure d'austérité sans cesse renforcée ne peut que susciter des craintes quant à la reprise de la croissance. Cette question est au coeur des doutes exprimés par les marchés et les analystes. La Confindustria, le syndicat patronal et Confartigianato, l'association représentant les intérêts des PME, insistent toutes deux sur l'absence de réelles dispositions en faveur de la relance économique. En effet, la recherche d'économies ou de nouvelles recettes à court terme n'a pas été accompagnée de véritables réformes structurelles, visant le marché du travail ou la libéralisation de certains secteurs économiques.
Un doute subsiste également sur la volonté du gouvernement de mettre en place de façon effective les mesures votées. On peut ainsi s'interroger sur la réalité de certaines annonces. Il en va ainsi de la réforme de la carte territoriale qui prévoit la suppression de l'échelon administratif des 110 provinces ou de la division par deux du nombre de parlementaires. Ces mesures impliquent une révision constitutionnelle dont l'issue s'avère incertaine, compte tenu du contexte politique et des enjeux de tels votes.
Ce problème de crédibilité a débouché sur une double mise sous surveillance, celle des marchés d'une part, puis celle de ses partenaires européens et du Fonds monétaire international, d'autre part.
Silvio Berlusconi a présenté à ses partenaires européens, le 26 octobre, les grandes lignes d'un plan de relance de l'économie et de réduction de la dette au travers d'une lettre de quinze pages. Le document prévoit la mise en place d'une mobilité obligatoire des agents de la Fonction publique et limite le remplacement des fonctionnaires partant à la retraite. Il insiste sur la simplification des procédures administratives et multiplie les incitations fiscales en faveur du financement d'infrastructures et du capital risque.
Le texte annonce une réforme du marché du travail et une privatisation des sociétés contrôlées par les régions. Un programme de privatisations censé rapporter 15 milliards d'euros sur trois ans est également mis en place.
Ces « nouvelles » mesures constituaient en réalité un rappel d'engagements déjà pris ou annoncaient des réformes structurelles d'ampleur abandonnées quelques semaines plus tôt, faute d'accord politique. La présentation détaillée de ces mesures à l'occasion du G20, le 3 novembre, n'a pas tempéré le scepticisme des marchés.
L'Italie a finalement accepté d'être placée sous surveillance par l'Union européenne et le Fonds monétaire international afin d'évaluer la mise en oeuvre effective des réformes.
La question de la crédibilité de la politique budgétaire et économique italienne était donc bien posée, avec en filigrane celle du maintien à son poste du Président du Conseil. Son déni de la réalité économique du pays, ses atermoiements sur les dispositions à adopter, ses interrogations sur l'urgence relative des plans de rigueur ou ses déclarations finalement démenties sur l'utilité de l'euro étaient de plus en plus considérés comme le principal point faible de l'Italie sur les marchés financiers. L'annonce, le 8 novembre, de la démission du président du Conseil est, dans ce cadre, apparue logique. Elle ne peut être considérée, cependant, comme la seule solution au déficit de crédibilité de la politique budgétaire italienne.
En effet, au delà du cas du Président du Conseil, les négociations autour de la manovra bis ont mis en lumière les dissonances croissantes au sein de la majorité parlementaire sur l'ampleur des réformes à mener : le parti même de Silvio Berlusconi était hostile à toute augmentation de l'imposition sur le patrimoine alors que la Ligue du Nord s'oppose aux dispositions touchant l'âge de départ en retraite ou à la TVA.
L'annonce de la démission de Silvio Berlusconi n'a d'ailleurs pas enrayé la hausse des taux. Il a fallu le vote les 11 et 12 novembre derniers des réformes annoncées le 26 octobre et l'apparition d'un consensus sur la nomination de Mario Monti à la tête d'un gouvernement technique pour enregistrer une baisse des taux.
Cette accalmie ne pourrait néanmoins n'être que passagère tant des doutes subsistent sur les réformes du marché du travail et des retraites.
Pour conclure, j'insisterai sur le fait que la contagion à l'Italie de la crise de la dette, irrationnelle à certains égards, représente un danger pour la zone euro. Certes, celle-ci a renforcé, le 26 octobre, ses moyens d'intervention. Les réponses qu'elle a tenté d'apporter au risque de crise de liquidités, s'avèrent néanmoins, à l'heure actuelle, encore suffisamment imprécises pour juguler définitivement le problème de la dette souveraine.