Intervention de Éric Bocquet

Commission des affaires européennes — Réunion du 18 juin 2015 à 8h35
Économie finances et fiscalité — Banque centrale européenne : rapport d'information de m. éric bocquet mme fabienne keller et m. richard yung

Photo de Éric BocquetÉric Bocquet :

La BCE a en effet annoncé, le 22 janvier dernier, la mise en place d'un programme d'assouplissement quantitatif, quantitative easing, ou QE, étalé jusqu'en septembre 2016. Il s'agit pour la BCE de racheter sur le marché secondaire des créances privées et des titres de dettes publiques, sans que les montants versés ne soient stérilisés par ailleurs. Il y a donc création de monnaie. Ce faisant, la BCE poursuit deux objectifs : injecter des liquidités pour relancer le crédit bancaire et prévenir le risque de déflation généralisée au sein de la zone euro.

Ce programme s'inscrit dans la continuité des mesures non conventionnelles adoptées jusqu'alors. Il intervient parce que les instruments conventionnels apparaissent épuisés. Il a été anticipé par les marchés au cours du second semestre 2014, marqué par une baisse des taux souverains et une dépréciation régulière de l'euro. Son lancement était d'autant plus évident que la remontée des taux attendue aux États-Unis pouvait contribuer à resserrer un peu plus le canal du crédit.

Ce type de programme a déjà été mis en oeuvre aux États-Unis, au Royaume-Uni et au Japon. Outre la relance de l'inflation, plusieurs effets peuvent être attendus d'une telle opération : baisse des taux d'intérêts et du cours de la devise, augmentation des liquidités offertes aux banques et redémarrage du crédit, majoration du prix des actions et relance des investissements.

Aux yeux de la BCE, l'assouplissement quantitatif devrait permettre de contribuer à relancer la croissance en facilitant l'accès aux liquidités, celles-ci pouvant servir à l'investissement, mais aussi à la consommation. C'est cet objectif qu'il convient de relever derrière celui affiché de la lutte contre la déflation.

Un des effets indirects de ce programme consiste, en outre, en une dépréciation de la monnaie unique face aux autres devises, ce qui pourrait aider les exportateurs européens, sans que cela puisse être la solution à tous nos maux, comme nous l'indiquons dans le rapport.

Concrètement, la BCE devrait acquérir chaque mois 60 milliards d'euros de créances privées et publiques sur le marché secondaire, entre mars 2015 et septembre 2016. 80 % des rachats devraient viser la dette publique. Une accélération du programme était attendue ce mois-ci pour faire face aux ralentissements observables sur les marchés en juillet en en août. Ce programme de rachat de titres devrait in fine atteindre près de 1 140 milliards d'euros, soit 10 % du PIB européen.

Nous revenons dans le rapport sur les détails techniques de cette opération. Je rappelle simplement que les achats sont effectués en large majorité par les banques centrales nationales, et qu'ils ne peuvent couvrir plus d'un tiers de la dette totale d'un émetteur.

L'assouplissement quantitatif ne permettra donc pas, par exemple, de racheter sur les marchés plus d'un tiers de la dette française.

Ceci étant dit, que peut-on attendre réellement de l'assouplissement quantitatif ? N'y voyons pas, en tout état de cause, une assurance pour la reprise des investissements et de la croissance. Celle-ci dépend avant tout de la confiance, qui, on le sait, ne se décrète pas. L'assouplissement quantitatif ne saurait résoudre, en tout état de cause, tous les problèmes de la zone euro, et doit donc être relié à d'autres instruments. Comme l'a souligné le président Draghi, la politique monétaire ne sert à résoudre que des problèmes conjoncturels, et non structurels.

Les exemples des assouplissements quantitatifs américains et japonais mettent également en avant un phénomène dit de trappe à liquidité. Au terme de celui-ci, les agents économiques recevant des liquidités, les stérilisent au lieu de procéder à des investissements ou de consommer, rendant ainsi inefficaces les politiques d'assouplissement quantitatif. Le risque de stérilisation est particulièrement net au sein d'économies déjà entrées dans un cycle déflationniste, où les taux d'intérêt sont relativement bas, et où la propension à épargner est élevée compte tenu des incertitudes économiques et de l'absence de confiance dans la reprise de la croissance, ce qui est le cas de la zone euro.

Les entreprises pourraient également profiter des taux faibles pour se livrer non pas à des investissements, mais à des opérations financières - rachats d'action ou versement de dividendes exceptionnels. C'est ce qui a été fait aux États-Unis.

Le contexte réglementaire de la zone euro n'est pas non plus, selon certains observateurs, sans incidence sur la réussite du programme d'assouplissement quantitatif. L'effet des nouvelles règles prudentielles pourrait notamment conduire à limiter l'offre de crédits, indépendamment de l'injonction de liquidités opérée par la BCE.

Faisons également attention aux effets secondaires du dispositif. Et ils sont nombreux, comme nous le précisons dans le rapport. L'aplatissement de la courbe des taux souverains au sein de la zone euro, observable depuis plusieurs mois, et renforcé par l'assouplissement quantitatif, peut susciter quelques doutes.

La baisse des taux n'est pas sans conséquence sur l'épargne et le secteur de l'assurance. Elle devrait dans le même temps conduire les investisseurs à délaisser les obligations pour alimenter le marché en actions, au risque de générer une bulle.

Par ailleurs, si les taux reflètent la conjoncture économique d'un pays, il apparaît difficilement concevable que les taux souverains espagnol ou italien soient inférieurs à ceux enregistrés aux États-Unis.

Cette situation n'est pas sans rappeler celle des taux indifférenciés au sein de la zone euro, avant la crise économique et financière de 2008, à ceci près que le marché apparaît extrêmement volatil, et donc susceptible de mouvements contradictoires, particulièrement dangereux dès lors qu'il s'agit de la dette des États.

Mario Draghi a d'ailleurs reconnu cette extrême volatilité. La raréfaction des produits obligataires, exacerbée par l'assouplissement quantitatif en est une des causes.

Les premiers succès de la lutte contre la déflation ont également contribué à ce phénomène. L'absence d'accord sur la Grèce n'est pas non plus sans lien avec cette remontée, qui affecte tous les taux, mais à des rythmes différents. L'augmentation des taux allemands est moins rapide que celle visant le papier portugais. Les taux français ont, quant à eux, quadruplé depuis le mois d'avril.

Pour l'heure, les premiers effets de l'assouplissement quantitatif semblent néanmoins encourageants, un niveau d'inflation à 1,8 % étant désormais attendu en 2017. En lançant un programme d'assouplissement quantitatif, la BCE adresse en tout cas un signal fort en direction des États membres qui contestaient une politique monétaire jugée trop rigide et peu favorable à la reprise économique.

Il convient désormais qu'elle pense à la sortie de ce programme pour éviter qu'une mesure temporaire ne devienne permanente. Une telle évolution limiterait les velléités de réforme des États membres facilement financés et générerait des bulles potentiellement dangereuses, à défaut d'être utiles pour l'investissement.

Fort heureusement, la BCE est dotée d'un instrument qui lui permet d'évaluer a priori les conséquences des bulles et des remontées des taux sur la situation des banques.

Je laisse la parole à Richard Yung pour nous le présenter.

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