Intervention de Simon Sutour

Commission des affaires européennes — Réunion du 4 juillet 2013 : 1ère réunion
Élargissement — Ouverture éventuelle de négociations d'adhésion avec la serbie - communication et proposition de résolution européenne de m. simon sutour

Photo de Simon SutourSimon Sutour, président :

Lorsque j'ai inscrit ce point à l'ordre du jour de notre commission, il n'était pas sûr que le Conseil européen des 27 et 28 juin dernier déciderait de l'ouverture des négociations d'adhésion avec la Serbie. L'Allemagne notamment émettait des réserves sur la sincérité du processus de normalisation des relations avec le Kosovo. Lors de la dernière réunion de la COSAC à Dublin, les parlementaires allemands avaient également formulé des observations en ce sens. Finalement, le Conseil européen a approuvé l'ouverture de négociations d'adhésion, tout en reportant le début de ces négociations au 1er janvier 2014 au plus tard.

Je rappelle que la Serbie a obtenu le statut de pays candidat à l'Union européenne en mars 2012. Le Conseil européen de décembre 2011 lui avait préalablement adressé une feuille de route précise. Au-delà des réformes techniques visant ses structures juridiques et économiques, la Serbie devait s'engager de façon plus déterminée dans le dialogue avec les autorités du Kosovo, et poursuivre sa collaboration avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, le TPIY.

C'est au vu de ces recommandations qu'il convient d'analyser l'accord historique signé à Bruxelles entre les autorités serbes et kosovares le 19 avril dernier. Le texte prévoit notamment que la police du Nord Kosovo majoritairement serbe soit intégrée au sein de la police du Kosovo. Il en va de même pour les autorités judiciaires du Nord Kosovo également appelées à fonctionner dans le cadre juridique du Kosovo. L'accord prévoit, en outre, la dissolution de structures municipales parallèles serbes financées par Belgrade et leur remplacement par des municipalités élues selon la loi électorale kosovare. Le point 14 stipule enfin qu'aucune des deux parties ne bloquera, ou n'encouragera les autres à bloquer, le progrès de l'autre partie sur son chemin vers l'Union européenne. Il s'agit d'une forme de reconnaissance implicite de l'indépendance du Kosovo. Un comité de mise en oeuvre de l'accord est mis en place avec l'aide de l'Union européenne. Il convient de saluer ce pas en avant du gouvernement serbe.

La coopération avec le TPIY s'est également maintenue. Il a fallu du courage à ce Gouvernement, réunissant des courants nationalistes, pour poursuivre cette coopération, car la population serbe considère généralement que ce Tribunal ne condamne que des Serbes. Un général croate et un général kosovar ont en effet été acquittés.

Cette coopération va de pair avec un discours apaisé sur les guerres qui ont déchiré l'ex-Yougoslavie. Le président de la République, Tomislav Nikolic, issu d'une formation nationaliste, le SNS, a ainsi présenté ses excuses en mai dernier pour les crimes de guerre commis à Srebrenica. Il a, dans le même, temps indiqué que les Serbes de Bosnie-Herzégovine, étaient désormais des citoyens bosniens, à la stupéfaction d'ailleurs des autorités de la Republika Srpska, l'entité serbe de Bosnie-Herzégovine. Les relations avec la Croatie ou le Monténégro se sont également aplanies.

La Commission européenne s'est par ailleurs montrée satisfaite à la mi-mai 2013 des réformes entreprises par les autorités serbes en matière de justice et d'État de droit. Je précise à ce sujet que les chapitres 23 « Pouvoirs judiciaires et droits fondamentaux » et 24 « Justice, liberté et sécurité » seront traités en priorité dans les négociations. La stratégie de réforme 2014-2018 devrait ainsi permettre de rationnaliser la carte judiciaire, d'introduire la profession de notaire et d'établir définitivement celle d'huissier afin de mieux traiter l'arriéré judiciaire et de renforcer les hauts conseils des magistrats du siège et du parquet. Le gouvernement a, par ailleurs, adopté fin juin un plan d'action de lutte contre la corruption 2013-2018. Il prévoit notamment le traitement de 24 affaires emblématiques, le renforcement de la coordination interservices, l'extension de l'abus de pouvoir aux opérateurs privés ou la prévention des conflits d'intérêt. Des groupes de travail ont, en outre, été mis en oeuvre afin de lutter contre les discriminations, face aux menaces pesant notamment sur les Roms et sur l'organisation d'une « gay pride » à l'automne prochain.

Un plan national de reprise de l'acquis communautaire étalé de 2013 à 2016 a, de surcroît, été adopté par le gouvernement le 28 février dernier. Il vient compléter un plan d'action mis en oeuvre en décembre 2012 pour répondre aux demandes contenues dans le rapport de progrès 2012 de la Commission européenne.

Au regard de ces éléments positifs, la décision d'ouvrir des négociations d'adhésion est parfaitement logique. La Commission européenne s'y était déclarée favorable le 22 avril.

L'essentiel à ce stade n'était pas, de toute façon, de vérifier si la Serbie répondait à la lettre et dans le détail à toutes les conditions, mais plutôt de mesurer les conséquences qu'aurait eues pour ce pays un report durable de l'ouverture des négociations, alors que des progrès évidents avaient déjà été accomplis.

Un report aurait présenté le risque de décourager la population serbe, dont les sacrifices tant politiques qu'économiques pour se rapprocher de l'Union européenne ne doivent pas être sous-estimés.

Le processus de normalisation des relations avec le Kosovo n'a été rendu possible que par la conversion d'une partie des formations nationalistes à l'idée européenne, qu'il s'agisse du SPS, l'ancien parti de Slobodan Milosevic, ou du SNS plus à droite. Une jeune garde est apparue prête à réviser des positions jusque-là considérées comme intangibles, je pense bien sûr au Kosovo, pour accélérer le rapprochement avec l'Union européenne, à l'image du vice-président du gouvernement, M. Aleksandar Vucinic ou de Mme Suzana Grubjeiæ, en charge de l'intégration européenne au sein du gouvernement que j'ai récemment rencontrée à Paris. Retarder encore l'ouverture des négociations d'adhésion revenait à décrédibiliser cette aile moderniste, qui était sans doute la seule à pouvoir faire accepter à la population la reconnaissance implicite des autorités kosovares. Conjugué à un climat économique extraordinairement difficile, un report aurait eu des répercussions politiques néfastes, et aurait fragilisé les accords déjà signés. Il aurait encouragé ceux qui pensent que la seule voie possible pour la Serbie réside dans la crispation nationaliste et le rapprochement avec le grand frère russe.

Au point de vue économique, l'ouverture des négociations constitue un atout indéniable en vue d'une modernisation du pays. La mutation du modèle économique serbe demeure lente ; elle est ralentie par l'action d'oligarques locaux, les tycoons, qui ne sont pas des partisans fanatiques des normes européennes en matière de concurrence. Il y a par ailleurs urgence à renforcer les liens de l'Union européenne avec le gouvernement serbe afin de lui permettre de mieux faire face à la crise. Les chiffres sont assez éloquents : 25 % de chômage, 50 % chez les plus jeunes, et une dérive constante des comptes publics avec un déficit de 8 % prévu à la fin de l'exercice 2013.

Il faut mesurer également l'impact qu'aurait eu pour la région une non-ouverture des négociations, compte tenu du rôle politique central de la Serbie dans la zone et de son influence sur les minorités serbes résidant dans les pays voisins, que ce soit en Bosnie-Herzégovine ou au Monténégro.

Je rappelle enfin que l'ouverture de négociations d'adhésion ne présage pas de leur issue : l'exemple turc est assez révélateur. Et il faut noter que, dans la région, seul le Monténégro a vu s'ouvrir des négociations d'adhésion avec l'Union européenne. L'ancienne république yougoslave de Macédoine, qui bénéficie du statut de candidat depuis 2005, n'est pas encore entrée dans cette phase. L'Albanie et la Bosnie-Herzégovine ont respectivement signé un accord de partenariat et un accord de stabilisation et d'association, un ASA. Quant au Kosovo, seules les négociations préalables à la signature d'un ASA ont été autorisées par le Conseil européen des 27 et 28 juin. Ouvrir les négociations d'adhésion avec la Serbie ne signifie donc pas à court terme l'intégration de toute l'ex-Yougoslavie au sein de l'Union européenne. Il convient néanmoins de travailler à cette perspective.

Reste que la formule retenue par le Conseil européen des 27 et 28 juin dernier n'est pas tout à fait satisfaisante. Les conclusions font état d'une première conférence intergouvernementale prévue au plus tard le 1er janvier 2014. Le cadre de négociation devra cependant être confirmé par le Conseil européen de décembre, ce qui suppose une ouverture effective des négociations en toute fin d'année. Ce faisant, le Conseil européen entend maintenir la pression sur la Serbie pour qu'elle mène à bien le processus de normalisation des relations avec le Kosovo. Je regrette cette position quelque peu défiante, résultat des réserves de l'Allemagne. Les autorités allemandes paraissent regarder la Serbie au travers d'un prisme hérité de la guerre qui a éclaté au début des années quatre-vingt-dix, soit il y a vingt ans.

En fonction de ces éléments, il me semble qu'une intervention de notre part pourrait avoir un intérêt en donnant un signal positif. Je crois que nous pourrions à la rentrée déposer une proposition de résolution pour encourager le processus. Le texte insisterait également sur l'assistance technique que notre gouvernement pourrait apporter aux autorités serbes en vue de faciliter ces négociations. Cela témoignerait à la fois de l'attachement particulier de notre pays pour la Serbie depuis fort longtemps, mais aussi de l'intérêt pour l'Union européenne de garantir la stabilité politique et économique de la première puissance des Balkans occidentaux.

Concrètement, je vous propose que nous adoptions aujourd'hui le principe du dépôt de cette proposition de résolution européenne et qu'elle soit déposée à la rentrée, pour que la commission des affaires étrangères puisse se prononcer dans de bonnes conditions.

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