Intervention de Jean Bizet

Commission des affaires européennes — Réunion du 28 novembre 2013 : 1ère réunion
Recherche et propriété industrielle — Mises sur le marché et brevetabilité des semences et obtentions végétales : proposition de résolution européenne de mm. jean bizet et richard yung

Photo de Jean BizetJean Bizet :

Au-delà de ce texte, nous voulons aussi évoquer la propriété intellectuelle sur les semences. Cette question est stratégique, car il en va de l'indépendance des États, ce qui explique que nos voix soient concordantes : la propriété intellectuelle de la semence est une arme alimentaire. Or le brevet n'est pas adapté au domaine des semences et obtentions végétales. Il risque de bloquer le progrès végétal, qui s'obtient par croisements successifs : payer des royalties à chaque nouvelle étape au détenteur d'un brevet est impossible. De plus, les plantes sont des organismes vivants en constante évolution : l'impératif de description exhaustive qui s'applique aux brevets est irréaliste.

Dès 1961, la France a créé le certificat d'obtention végétale (COV) et l'Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV) qui réunit 70 pays. Le COV est un titre de propriété intellectuelle aussi valide qu'un brevet, mais qui ne stérilise pas l'invention. Il la protège sans la confisquer, grâce à l'exception du sélectionneur : toute personne peut utiliser la variété protégée pour créer une variété nouvelle sans avoir à payer de royalties. Le monde anglo-saxon est très favorable au système du brevet. Ainsi, l'arrêt Chakrabarty de la Cour suprême des États-Unis affirme que tout ce qui est fait de la main de l'homme est brevetable. Les Européens préfèrent l'approche par les certificats, qui créent un système ouvert, encourageant la création variétale et évitant l'appropriation privée du vivant.

La révision de la convention, en 1991, a réaffirmé la primauté du COV sur le brevet pour éviter que la brevetabilité des plantes s'impose par le moyen détourné de la brevetabilité d'un gène. Il fut ainsi prévu que le COV initial couvrirait également les variétés légèrement modifiées mais qui sont « essentiellement dérivées » de la variété protégée. La convention de 1991 a aussi légitimé et encadré la pratique des semences de ferme. Cette exception au droit de l'obtenteur n'est permise que dans des limites raisonnables et sous réserve de la sauvegarde des intérêts légitimes de l'obtenteur, c'est-à-dire que celui-ci doit obtenir une compensation financière. C'est un bon équilibre : l'agriculteur peut réutiliser ses propres semences dans certaines limites de tonnage et de surface, et les variétés résultant d'investissements effectués par des entreprises sont protégées pendant quinze ans, ce qui est bien légitime. La France dispose de la première génothèque du monde, où chacun peut se procurer des semences anciennes, mais les semences plus récentes sont protégées. Le libéralisme échevelé qui a prévalu en Angleterre y a entièrement détruit la filière semencière. En France, cette filière emploie 9 000 personnes et est la première au monde.

La Convention sur le brevet européen exclut à juste titre de la brevetabilité les variétés végétales ainsi que les procédés essentiellement biologiques d'obtention de végétaux, tels que le croisement ou la sélection. Ne peuvent non plus être brevetées les techniques modernes d'amélioration des plantes comme l'utilisation de marqueurs moléculaires génétiques. La Grande Chambre des recours de l'Office européen des brevets (OEB) a indiqué en 2010 à propos d'affaires qui concernaient la tomate et le brocoli, qu'était exclu de la brevetabilité comme étant essentiellement biologique un procédé d'obtention végétale consistant en des étapes de croisement puis de sélection des végétaux. Le procédé n'est brevetable que s'il comporte une étape supplémentaire de nature technique qui par elle-même modifie un caractère dans le génome du végétal.

La question de savoir si des plantes obtenues par des procédés exclus de la brevetabilité sont brevetables est actuellement en cours de clarification auprès de la Grande Chambre de recours de l'OEB. L'OEB a donc suspendu toutes les délivrances de brevets portant sur des plantes obtenues par un procédé essentiellement biologique. Les brevets qui ont déjà été délivrés soulèvent de fortes interrogations, en raison de l'étendue parfois incertaine de l'objet protégé. Les sélectionneurs ne disposent pas d'informations suffisantes pour vérifier si des éléments brevetés sont présents dans les variétés qu'ils manipulent ou produisent. Une entreprise française a ainsi été contrainte de verser des redevances à une entreprise néerlandaise qui avait obtenu un brevet sur des salades résistant à un puceron, issues d'un processus essentiellement biologique qu'elle avait pourtant elle-même découvert.

Il faut interdire le brevetage des gènes natifs, sans quoi l'arme alimentaire sera concentrée entre quelques entreprises, et donc quelques États. C'est un problème comparable à celui de la propriété des données personnelles, détenues à 93 % par Google. Rapporteur de la directive 98/44/CE sur la protection des inventions biotechnologiques, je m'étais opposé fortement à Monsanto sur ce point. Malheureusement, le lobbying des entreprises anglo-saxonnes à Bruxelles est efficace. Nous devons donc rester vigilants si nous ne voulons pas voir adopter la brevetabilité des gènes natifs. L'enjeu est tel que l'Union européenne devrait traiter de ces questions avec ses partenaires commerciaux dans le cadre des accords internationaux et particulier, dans la cadre du futur accord de libre-échange avec les États-Unis. Nous devons soutenir des règles de propriété intellectuelle qui préservent un tissu dense et diversifié de sélectionneurs et encouragent l'innovation, en privilégiant la protection par le COV et en limitant les possibilités de protection par le brevet.

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