Intervention de Miguel Arias Cañete

Commission des affaires européennes — Réunion du 17 novembre 2015 à 18h00
Environnement-énergie — Audition de M. Miguel Arias cañete commissaire européen chargé de l'action pour le climat et l'énergie

Miguel Arias Cañete, commissaire européen chargé de l'action pour le climat et l'énergie :

Je vous remercie de m'avoir convié à cette audition. Je veux saisir cette occasion pour exprimer toute ma solidarité aux victimes, à leurs familles ainsi qu'au peuple français à la suite des atroces attentats qui ont frappé Paris vendredi dernier. Comme l'a souligné le président Juncker, ils visaient notre façon de vivre ensemble, nos valeurs, notre liberté. Mais l'Europe est unie. Notre solidarité et notre détermination à protéger nos citoyens, nos valeurs et nos libertés n'en sont que renforcées. La Commission européenne fera tout ce qui est en son pouvoir pour soutenir la France en ces moments si difficiles. L'Europe et tous les habitants du globe sont à vos côtés. Nous le serons aussi à l'occasion de la COP21, quand Paris sera la capitale du monde.

L'humanité entière se tourne vers nous pour un signal clair ; c'est une occasion unique de montrer notre capacité à travailler ensemble afin de relever les défis mondiaux. L'accord de Paris devra offrir une image d'action collective, fixer un cap pour une transition accélérée vers un monde plus résilient et plus sobre en carbone.

Pour relever un tel défi, il nous faut agir à l'échelle de la planète. Aucun pays ne peut être oublié. Nous sommes déterminés à travailler avec nos partenaires pour parvenir à un accord juridiquement contraignant, ambitieux et équitable. Il appartient aux économies majeures, qui sont aussi les plus grandes émettrices de gaz à effet de serre, de montrer la voie. Et tous les pays doivent prendre leur juste part de l'effort. Si nous voulons contenir le réchauffement global en dessous de 2 degrés, nous devons trouver un moyen de refléter l'évolution des responsabilités et des capacités d'une manière dynamique et nuancée. Grâce à ses territoires d'outre-mer, la France occupe une place unique pour observer l'impact des dérèglements climatiques et expérimenter des solutions concrètes. J'ai pu l'observer dans mon voyage aux îles du Pacifique : les gouvernements des territoires insulaires sont plus conscients des problématiques liées à la vulnérabilité climatique, parce qu'ils y sont confrontés au quotidien. À cet égard, j'ai lu avec beaucoup d'intérêt vos propositions dans le rapport du Sénat « Les outre-mer français face au défi du changement climatique : une contribution concrète à l'agenda des solutions ».

Pour rester en dessous de 2 degrés de réchauffement, il est nécessaire de réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre d'au moins 50 % d'ici à 2050 par rapport à 1990 et s'approcher - et même passer en dessous - de zéro émission nette, avant la fin du siècle. Pour cela, l'accord devra fixer un objectif opérationnel à long terme, assurer un examen régulier des efforts et de l'ambition, et contenir des règles de transparence et redevabilité.

L'approche ascendante, ou bottom up, adoptée en vue de Paris, a déjà donné des résultats : 161 pays ont présenté leurs plan climat national - ou contributions déterminées au niveau national - portant sur presque 94 % des émissions mondiales. C'est sans précédent. À titre de comparaison, la deuxième période d'engagement du Protocole de Kyoto implique seulement 35 pays, soit environ 12 % des émissions. Ces contributions ne viennent pas seulement des plus grands émetteurs - Chine, États-Unis, Brésil et Union européenne - mais aussi de certains des pays les plus vulnérables d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique.

L'Union européenne a été la première grande économie à présenter sa contribution en mars dernier, affichant l'objectif contraignant de réduire les émissions d'au moins 40 % d'ici 2030. Cette contribution, ambitieuse et équitable, est en phase avec une trajectoire d'au moins 80 % de réduction d'ici 2050, dans un contexte où les autres pays réaliseraient leur part des efforts. Elle rendra notre économie 50 % plus efficace en termes d'émissions, alors qu'elle émet déjà moins de gaz à effet de serre par unité de PIB que les autres grandes économies.

La maîtrise des émissions n'est toutefois qu'une partie de l'équation. Les effets du changement climatique se font sentir partout dans le monde, Europe comprise. Voilà pourquoi les mesures d'adaptation, bien planifiées et permettant d'épargner de l'argent et de sauver des vies, sont une priorité pour de nombreux pays, notamment les plus vulnérables.

Comme vous le soulignez dans votre résolution, le financement de l'action pour le climat sera un point crucial de l'accord. Des mesures d'adaptation, une meilleure coordination et une meilleure coopération, y compris avec le secteur privé, sont indispensables. Selon nos dernières estimations, le montant total des besoins d'investissement indiqués dans les contributions nationales correspond à 2,4 milliards de dollars. De nombreux pays peinent à mobiliser les moyens nécessaires. Ils auront besoin d'aide.

L'Union européenne et ses États membres sont les principaux financeurs de l'action pour le climat : en 2014, ils ont versé à ce titre 14,5 milliards d'euros pour soutenir les pays en développement. La transformation en économies et sociétés sobres et résilientes face au changement climatique suppose de grands changements dans les modèles d'investissement. Si l'Union européenne et les bailleurs traditionnels sont disposés à poursuivre leur effort de financement, la base des donateurs doit être élargie et tous les pays doivent mettre en place des cadres réglementaires incitant les investisseurs privés à s'engager dans l'économie verte.

La Commission européenne soutient fermement la présidence française, qui veut faire de la COP21 un grand succès français, européen et international. La pré-COP qui s'est tenue au ministère des affaires étrangères à Paris du 8 au 10 novembre a fait apparaître des terrains d'entente potentiels, mais beaucoup reste à faire. Le texte de 55 pages qui servira de base de négociation à Paris, établi à partir du consensus durement négocié au sein du G20 dans la nuit du 15 au 16 novembre, laisse encore toutes les options politiques ouvertes - la révision régulière a notamment été remise en cause par des pays importants.

L'appareil diplomatique de l'Union européenne et des États membres est pleinement mobilisé au service de nos objectifs. Nous gardons un contact permanent avec les pays les plus importants dans la négociation. Ces derniers mois, des centaines d'actions de diplomatie publique ont été organisées aux quatre coins du monde. Nous participerons en outre pleinement à l'agenda des solutions de la COP21, notamment sur les volets énergies propres, ville durable, résilience. La conclusion de l'accord intergouvernemental et la mobilisation des acteurs non-étatiques se complètent et se renforcent mutuellement.

J'en viens aux actions que l'Union européenne va prendre pour traduire ses engagements dans les faits. De même qu'avec les objectifs climatiques pour 2020, nous mettrons en oeuvre notre contribution climat et en rendrons compte de façon transparente. Outre notre cible ambitieuse en matière de réduction des émissions, les énergies renouvelables devront représenter au moins 27 % du mix énergétique européen en 2030, et notre efficacité énergétique devra avoir progressé d'au moins 27 %. Nous sommes en voie d'atteindre ou même dépasser notre objectif de 20 % de réduction des émissions à l'horizon 2020 : entre 1990 et 2014, nos émissions ont baissé de 23 % alors que notre PIB augmentait de 46 %.

La réforme du système d'échanges de quotas d'émissions de gaz à effet de serre fait partie des mesures les plus importantes adoptées en 2015 par la Commission européenne pour réduire les émissions et assurer la transition énergétique. Elle avait deux objectifs : donner les bons signaux-prix aux investisseurs, et protéger les secteurs exposés à la compétition internationale. C'est très différent du système antérieur, qui rendait nécessaire un facteur de correction réduisant de 35 % l'allocation de quotas à titre gratuit dans tous les secteurs. Concentrer l'appui sur les secteurs les plus exposés à la concurrence internationale était chose complexe, car le système ETS concerne 11 000 installations sur le continent, appartenant à 200 groupes différents, tous détenteurs jusqu'alors de droits d'émissions gratuits. Fixée à 1,74 % dans le système originel de cap and trade, la réduction des droits octroyés atteindra 2 %. Le choix des bénéficiaires est fondé sur l'exposition au commerce international et l'intensité énergétique. L'examen de la réforme au Parlement européen sera difficile, car tous les groupes de pression s'efforceront de démontrer leur légitimité à conserver les émissions gratuites. Établir un marché carbone est tout sauf facile. La Commission européenne a connu de grandes difficultés dans le passé - rappelez-vous l'introduction du backloading pour réduire les quotas alloués au marché... La Chine a annoncé sa décision d'instaurer un marché du carbone à l'échelle nationale ; les États-Unis pourraient prendre le même chemin. L'idéal serait, à l'avenir, de connecter entre eux tous les marchés mondiaux.

L'agenda pour l'année 2016 sera encore plus chargé : avant l'été 2016 sera présenté le paquet Sécurité d'approvisionnement de gaz, comprenant aussi une stratégie pour le gaz naturel liquéfié et une stratégie pour le chauffage et refroidissement ; une décision devra aussi intervenir sur la répartition de l'effort, qui s'étendra notamment aux secteurs non concernés par le système d'échange de quotas, c'est-à-dire les terres, les transports et les bâtiments ; il y aura également une communication sur la décarbonisation des transports.

Après l'été 2016, la Commission européenne se consacrera au marché intérieur avec l'adoption de la révision de la directive sur l'efficacité énergétique et de la directive sur la performance énergétique des bâtiments, la révision des règles liées à l'architecture de notre marché intérieur de l'énergie, à la suite de la consultation publique lancée cet été, et finalement le paquet Énergies renouvelables, qui comprendra une révision de la directive et une nouvelle proposition sur les bioénergies.

Les défis sont nombreux, mais je suis convaincu que nous n'avons jamais bénéficié d'autant d'atouts pour obtenir l'accord ambitieux que nous voulons. Vous pouvez compter sur la détermination de la Commission pour mener à bien ce processus afin de donner un signal au monde entier de notre capacité d'agir ensemble, unis pour des causes communes.

Paris ne représente qu'une étape. Il faudra s'attacher avec autant de détermination à la mise en oeuvre des droits. Là aussi, vous pouvez compter sur la détermination de la Commission européenne, qui est aussi la mienne.

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