Vos questions, très précises, reflètent une profonde connaissance des dossiers. Je vous en remercie.
Le Président Hollande l'a dit : l'accord sera contraignant ou ne sera pas. L'acceptation par certains États d'un accord contraignant se heurte parfois, c'est vrai, à des difficultés politiques internes, mais c'est aux pays concernés de présenter des alternatives crédibles. La majorité des parties à la COP21 s'accordent pour souhaiter la fixation d'objectifs contraignants. Nous avons un objectif à long terme, un système dynamique de révision ; reste à nous doter d'une méthodologie et d'un système de responsabilités clairs et transparents. Si les Américains ne sont pas d'accord, qu'ils nous expliquent comment faire autrement. Ce sera bien sûr l'un des aspects les plus difficiles de la négociation.
Suis-je optimiste ou pessimiste ? Cela dépend des jours ! À la pré-COP, je l'étais. Je l'étais encore en discutant avec le Brésil. Mais les débats du G20 m'ont rendu plutôt pessimiste. En parlant avec les ministres, je constate que les solutions sont à notre portée ; quand on entre dans le détail technique toutefois, j'ai le sentiment que nous faisons du sur-place. Nous avons certes un texte de 50 pages - 35 pour le protocole contraignant, 15 pour les décisions - mais seulement quatre jours de négociations techniques... Laurent Fabius a prévenu que le samedi 5 décembre au matin, le texte remis par les négociateurs devrait être prêt ; s'il n'est pas exploitable, la présidence française aurait un immense travail à faire. Je ne doute pas de ses capacités : nous avons de la chance que la COP21, à Paris, soit organisée par une administration puissante et une diplomatie efficace. Mais dans le système des Nations unies, un seul pays peut tout bloquer... Jadis lors d'une réunion à l'Organisation mondiale du commerce, je m'étais étonné que personne n'ait pensé à sonder la position de Cuba, pays que tout le monde imaginait trop petit pour bloquer la négociation : c'est pourtant ce qui arriva ! C'est presque un miracle que l'Union européenne ait adopté son compromis d'atténuation et son mandat de négociation à l'unanimité ! Côté européen, les choses ne marchent pas si mal...
Il faut limiter les subventions aux combustibles fossiles, c'est une évidence. Même en Amérique du Sud, certains gouvernements ont pris de difficiles décisions dans ce sens. Des objectifs de politiques sociales y font parfois obstacle, mais ce n'est plus compatible avec nos ambitions environnementales. La position de la Commission européenne est claire : il faut viser l'élimination progressive des énergies fossiles - ce qui ne se fera certes pas du jour au lendemain.
Monsieur Poniatowski, ma position dans le dossier de l'interconnexion n'est pas personnelle ! J'applique les politiques communautaires. J'ai ainsi l'obligation d'atteindre l'objectif d'interconnexion électrique de 10 % en 2020 et 15 % en 2030. Le problème se situe aussi dans les pays baltes, connectés au réseau russe plutôt qu'européen ; nous avons donc développé les interconnexions en Europe centrale, en Lituanie, en Pologne... Dans la péninsule ibérique, le taux d'interconnexion électrique et gazière n'est que de 3 %. Or le marché du gaz est en pleine évolution, mais la dépendance du continent est encore grande à l'égard de la Russie, qui utilise parfois le gaz comme arme politique, comme lorsqu'elle avait décidé de déplacer son gazoduc de l'Ukraine vers la Turquie. L'interconnexion européenne est devenue un enjeu majeur... pourvu de présenter un intérêt économique. Le projet Midi-Catalogne, ou Midcat, complète utilement l'interconnexion européenne et la relie à l'Algérie. La décision appartient aux opérateurs, non à la Commission, sur la base de l'intérêt économique et de la capacité financière ; mais nous devons atteindre les objectifs d'interconnexion de 10 % et de 15 %.
Nous allons développer une stratégie de l'énergie parce que le monde a changé. L'Australie arrive en force ; elle vient d'annoncer à l'Agence internationale de l'énergie son intention de commercialiser d'énormes quantités de gaz naturel liquéfié (GNL). Les Américains, dans le cadre de leurs négociations avec l'Union européenne, se déclarent prêts à augmenter leurs exportations de GNL. Les négociations sur le partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP) comporteront un chapitre « Énergie ».
Concernant l'emission trading system et le marché du carbone, le Parlement européen a décidé que le nouveau système entrera en vigueur au 1er janvier 2021, parallèlement à la deuxième phase de réduction des émissions.
L'étude d'impact est capitale pour comprendre la logique des équilibres à l'intérieur du nouveau système. Il faut aussi tenir compte des industries touchées. On peut soit établir un petit groupe recevant 100 % de droits d'émission gratuits et un autre qui ne les recevra pas, soit établir quatre groupes, mais la seconde solution privilégie les secteurs de l'acier et de l'aluminium. C'est un exercice complexe où le risque d'exposition aux intérêts des principales sociétés est fort. Aucun mécanisme n'est parfait, mais le nouveau système n'est pas une improvisation, il est au contraire le fruit d'une réflexion d'une année orientée vers une meilleure performance.
Ce système sera mis en oeuvre pendant dix ans, et les conséquences ne seront visibles qu'à la fin de cette période. Nous sommes soumis à des demandes contradictoires : certains prônent un marché du carbone performant et des prix volatils, d'autres une évolution plus souple pour laisser les nouvelles technologies se développer, notamment la séquestration du dioxyde de carbone, qui n'a pas encore de viabilité commerciale.
Sur les quotas d'émission du transport aérien, nous souhaitons renforcer la législation communautaire, mais nous avons aussi décidé d'attendre de savoir ce qui va se décider au plan international. Des mesures globales sont en cours de discussion pour 2016. Dans le domaine maritime, où les progrès sont plus lents, nous mettons en place un système de monitoring pour connaître les niveaux d'émission.
Aurons-nous un marché mondial du carbone ? En Chine, il est en cours de développement. Au sein des États-Unis, certains États, comme la Californie, sont bien plus avancés que d'autres.
Vous m'avez posé des questions sur les distorsions de concurrence qui pourraient naître de l'application d'une taxe carbone en Europe. Vous évoquez la possibilité de l'appliquer aux produits importés : mais comment déterminer le contenu en carbone des produits ? Il faut également respecter les règles du commerce international. Des rétorsions seraient à prévoir si nous mettions un tel dispositif en place...
Les concessions hydrauliques sont une question délicate. La Commission a ouvert en parallèle une procédure d'infraction aux règles de la concurrence et une procédure d'infraction au droit des marchés publics, avec des objectifs différents. La seconde concerne le cadre juridique applicable au renouvellement des concessions arrivées à terme ; la première, le maintien de la position dominante d'EDF. Les directions générales de la concurrence, des marchés intérieurs et de l'énergie sont parties prenantes. La France a deux mois pour répondre aux griefs formulés dans la lettre de mise en demeure envoyée par la direction de la concurrence. La Commission est prête à engager des discussions - nous n'aimons pas devoir saisir la Cour de justice. Mais nous devons faire appliquer la législation européenne, en l'occurrence les trois paquets « Énergie ».
Les moyens dont nous disposons nous sont apportés par les fonds structurels, la Connecting Europe facility et le plan Juncker. Ces instruments sont adaptés aux grands projets d'interconnexion, d'éolien offshore ou encore de photovoltaïque à grande échelle ; en revanche, les petits projets, notamment la rénovation de bâtiments, réclament de nouveaux instruments financiers, comme l'agrégation de projets, sur laquelle la France joue un rôle pionnier. Nous avons demandé à la Banque européenne d'investissement de développer des instruments d'agrégation de projets d'efficacité énergétique, première priorité de la Commission.
Le problème des capacités ne concerne pas seulement la France. La commissaire à la concurrence a lancé une étude sur onze pays afin de mettre en place un nouveau mécanisme de capacité harmonisé. La Commission doute que le mécanisme français, dans sa forme actuelle, soit compatible avec les lignes directrices et la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne. En effet, les capacités étrangères ne peuvent y être intégrées ; il n'est pas précisé en quoi il faciliterait l'investissement ; enfin, il pourrait conforter une position dominante.
Nous estimons que le mécanisme de capacité doit être établi au niveau régional pour permettre l'émergence d'un véritable marché et éviter les distorsions. Un marché régional suppose notamment une interconnexion et des systèmes de formation des prix analogues entre les parties prenantes. L'idéal serait un mécanisme de capacité commun au niveau européen ; mais il convient de procéder par étapes, d'abord au niveau régional.