Intervention de Simon Sutour

Commission des affaires européennes — Réunion du 8 décembre 2011 : 1ère réunion
Accord avec les etats-unis sur l'utilisation et le transfert des données passagers communication de m. simon sutour

Photo de Simon SutourSimon Sutour, président :

Nous avons été saisis, le 1er décembre, de deux textes autorisant un accord avec les Etats-Unis sur l'utilisation et le transfert des données PNR (passenger name record). Je regrette de ne pas avoir pu discuter avec Mme Napolitano, secrétaire d'État américaine, de passage en France il y a quelques jours, de ce dossier sur lequel nous avons déjà travaillé en 2004, puis en 2006 et 2007. J'ai d'ailleurs été l'auteur d'une proposition de résolution européenne, rapportée ensuite par la commission des lois, sur un premier accord.

Les délais sont très courts puisque ces textes devraient être adoptés au Conseil des 13 et 14 décembre. Innovation du traité de Lisbonne, le Parlement européen approuvera également cet accord. C'est une garantie pour les libertés fondamentales. J'y vois la preuve, je le dis avec malice à certains collègues, que ce traité constitue un progrès...

Les données PNR sont des informations fournies par les passagers et recueillies par les transporteurs aériens : dates de voyage, itinéraire, informations relatives au billet, coordonnées telles que l'adresse et le numéro de téléphone, agence de voyage, informations relatives au paiement et aux bagages, numéro de siège. Elles se distinguent des renseignements préalables concernant les passagers, autrement appelées API (advanced passenger information), qui sont des informations biographiques extraites du passeport.

L'Union européenne a conclu jusqu'à présent trois accords avec des Etats tiers : Etats-Unis, Canada, Australie. Saisi en mai 2010 sur la base du traité de Lisbonne, le Parlement européen a décidé de reporter son vote sur les accords avec les Etats-Unis et l'Australie. En septembre 2010, la Commission européenne a présenté une communication sur ce sujet, à laquelle le Conseil a réservé un accueil favorable. Celle-ci répond en partie aux préoccupations exprimées à plusieurs reprises par le Sénat, notamment pour ce qui concerne la finalité des transferts et la durée de conservation des données. En revanche, Hugues Portelli l'avait souligné le 24 novembre 2010, la Commission n'a pas totalement exclu l'utilisation de données sensibles, celles ayant trait à l'origine raciale ou ethnique, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques, l'appartenance syndicale, ainsi que la santé et la vie sexuelle.

Depuis l'accord de 2007, je note certains progrès. Le mode de transmission des dossiers passagers s'effectuera, en général, selon la méthode « Push ». Autrement dit, ce sont les compagnies aériennes qui transmettront les données, et non pas les autorités américaines qui iront les extraire de leur système selon la méthode « Pull ». Toutefois, des dérogations, exclues dans l'accord avec l'Australie, seront possibles. Et nous n'aimons pas beaucoup les dérogations....

Des mesures de sécurité des données sont prévues et l'accès sera limité à des fonctionnaires expressément autorisés. Un droit d'accès, de correction ou de rectification est mis en place.

Un mécanisme de coopération est organisé avec les Etats membres, Europol et Eurojust, par le transfert d'informations analytiques provenant des données PNR par les autorités américaines. Une réciprocité dans l'échange de données sera donc mise en oeuvre.

L'accord sera conclu pour une période initiale de sept ans et renouvelé pour la même durée, sauf opposition de l'une des parties, lesquelles pourront également suspendre, voire dénoncer l'accord à tout moment. Des experts dans le domaine de la protection des données participeront à la procédure d'examen et d'évaluation.

En revanche, le texte est en retrait par rapport à nos exigences et aux garanties prises dans l'accord avec l'Australie.

Les données PNR seront utilisées dans la lutte contre le terrorisme, mais aussi pour d'autres infractions « passibles d'une peine d'emprisonnement d'au moins trois années et de nature transnationale ». Cette catégorie est un peu large au regard de l'accord avec l'Australie, qui retient une durée minimale d'emprisonnement de quatre ans, et du projet européen, qui restreint le texte aux seules infractions graves comme la direction d'un groupe terroriste ou la traite des êtres humains. D'après le projet d'accord avec les Etats-Unis, sera considérée comme « transnationale » une infraction commise dans un seul pays si l'auteur de l'infraction se trouve dans un autre pays ou « a l'intention de se rendre dans un autre pays ».

En outre, le texte autorise l'utilisation des dossiers passagers face à une menace grave, pour protéger les intérêts vitaux de toute personne ou si une juridiction l'impose. Il en va de même pour l'identification, dans la politique migratoire américaine, des personnes devant faire l'objet d'un interrogatoire ou d'un examen plus approfondi à l'arrivée ou au départ des Etats-Unis. Cette extension n'est pas acceptable !

L'utilisation de données sensibles n'est pas totalement exclue. Elle sera autorisée dans des circonstances exceptionnelles en cas de menace imminente de perte de vie humaine. L'accès à ces données sera restreint, admis au cas par cas après accord d'un responsable de haut niveau du ministère américain. Les données sensibles seront effacées définitivement au plus tard à l'expiration d'un délai de trente jours.

L'accord prévoit la conservation des dossiers passagers dans une base de données active pendant une période de cinq ans, puis leur transfert vers une base de données dormante pour une période pouvant durer dix ans. Soit, au total, quinze ans. Le Sénat préconisait, lui, deux fois trois ans. L'accord avec l'Australie retient une durée de trois ans suivie de deux ans et demi. Enfin, on chercherait en vain une mention explicite de la suppression des données à l'expiration des délais.

L'accord prévoit un droit de recours administratif et judiciaire effectif indépendamment de la nationalité, du pays d'origine ou du lieu de résidence de la personne concernée... conformément au droit des Etats-Unis qui le réserve, lui, aux seuls citoyens américains et résidents permanents. Ce point sera à surveiller.

On peut craindre pour l'indépendance de l'examen et du contrôle, garanti par l'accord, quand ceux-ci sont confiés à des fonctionnaires ministériels.

L'accord avec l'Australie autorise le partage des données avec les seules autorités publiques australiennes inscrites sur une liste figurant en annexe de l'accord. Rien de tel dans ce projet d'accord.

Enfin et surtout, le flou règne sur le transfert des données à des Etats tiers. Points positifs, celui-ci sera possible seulement dans les cas faisant l'objet d'un examen ou d'une enquête et les autorités de l'Etat membre concerné en seront informées. Pour le reste, sont visées de manière générale les « autorités compétentes » des Etats tiers. Il aurait fallu restreindre le champ à celles directement liées aux finalités de l'accord et prévoir un engagement à ne pas transmettre ultérieurement les données qui leur sont transférées.

Régler les questions du transfert ultérieur des dossiers passagers et de la méthode de transmission dans le cadre du mécanisme de consultation et d'examen prévu par l'accord, comme le prévoit le préambule, est une bien faible garantie au regard des enjeux.

Ce nouvel accord est loin du compte. Pourquoi l'Union européenne ne parvient-elle pas à faire prévaloir des standards homogènes et conformes à ses règles avec les Etats tiers ? J'avais préparé un projet de conclusions que je propose de transformer en une proposition de résolution européenne pour faire connaître au Gouvernement et au Parlement européen, avec plus de force et de solennité, la position du Sénat sur ce sujet essentiel pour les libertés fondamentales.

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