Intervention de Fabienne Keller

Commission des affaires européennes — Réunion du 29 novembre 2012 : 1ère réunion
Économie finances et fiscalité — Projet de taxe sur les transactions financières texte e 7838 - proposition de résolution européenne de mme fabienne keller

Photo de Fabienne KellerFabienne Keller :

Au long cours, mais d'actualité : les rebondissements sont nombreux ! Ce que je vais vous présenter est une conclusion provisoire, mais j'espère que la commission pourra reprendre ce sujet, peut-être sous une forme moins solennelle, en organisant par exemple une table ronde. Le travail est loin d'être achevé.

Le 28 septembre 2011, la Commission européenne a fait une proposition de directive visant à instaurer un système commun de taxe sur les transactions financières dans l'Union. Des divergences insurmontables n'ont pas tardé à apparaître entre les États membres, sur ce projet qui, étant de nature fiscale, implique la règle de l'unanimité. Il fut donc constaté, lors des réunions des 22 juin et 10 juillet derniers, l'impossibilité d'instaurer un tel système dans l'ensemble du territoire de l'Union européenne.

Une solution à cette impasse est apparue dans le recours à la coopération renforcée. Déjà utilisée par deux fois, sur le divorce et sur les brevets, cette procédure semble pouvoir l'être aussi en matière de fiscalité - nous verrons... Onze États membres, la Belgique, l'Allemagne, l'Estonie, la Grèce, l'Espagne, la France, l'Italie, l'Autriche, le Portugal, la Slovénie et la Slovaquie ont donc fait officiellement la demande, le 9 octobre, d'instaurer entre eux une coopération renforcée. Trois autres pays réfléchissent. La Commission devra soumettre au Conseil une nouvelle proposition de taxe. Elle a laissé entendre que le texte ne différerait pas beaucoup de celui qu'elle avait élaboré en 2011.

Nous sommes tous, je crois, favorables à ce projet, même si nous ignorons encore les contours précis de cette future taxe. Nous sommes aujourd'hui consultés sur le texte du Conseil qui autorise la coopération renforcée, et qui fera l'objet au mois de décembre d'un vote à la majorité qualifiée. La décision appartient à l'ensemble des États membres, y compris donc ceux qui ne veulent pas coopérer... Les grandes manoeuvres ont donc commencé. Il faudra rallier nos partenaires non plus au projet lui-même, mais à l'idée de laisser faire ceux qui veulent le mettre en oeuvre.

Si cette coopération renforcée est autorisée, alors commencera la négociation entre les onze États, qui n'ont bien sûr pas la même idée de ce que doit être cette TTF : certains chercheront un compromis a minima pour inciter davantage d'États à rejoindre le mouvement, d'autres viseront un résultat plus ambitieux pour les onze États déjà impliqués. Il m'a donc semblé utile d'adresser au Gouvernement, par une résolution, des pistes indicatives sur les principes généraux qui doivent guider cette négociation si on veut la faire aboutir tout en protégeant les intérêts de notre pays.

Évoquée dès 1936 par Keynes, la taxe sur les transactions financières a été théorisée, au moins pour le marché des changes, en 1972 par Tobin. En tant qu'idée, la TTF a de très nombreux défenseurs. Quand on parle de la mettre en pratique, le nombre des détracteurs grossit et le consensus s'effrite. La crise de 2008 a donné une nouvelle jeunesse à cette idée. Les établissements financiers ont été à l'origine des difficultés. Or les États ont volé au secours du système bancaire. Il semblait donc juste que le secteur financier apporte en retour une contribution équitable et substantielle aux grands équilibres des finances publiques, et la TTF a paru être un instrument adapté à ce dessein. On en escompte également un effet de frottement susceptible de réduire le volume parfois déraisonnable des transactions spéculatives.

D'autres voies étaient possibles pour taxer le secteur financier : c'est un argument mis en avant par le Royaume Uni, qui a exprimé son accord sur le diagnostic, mais pas sur le remède. Mon rapport décrit les autres formes de taxation existantes, autant de prototypes : le droit de timbre suisse, le stamp duty britannique, la TTF française introduite par le précédent gouvernement en février 2012. Moins ambitieux que le projet européen de TTF, ils ont le mérite d'avoir été éprouvés. Sur les raisons de l'échec des négociations en 2011, je vous renvoie à mon rapport écrit.

Pour que la procédure de coopération renforcée se mette en place, il fallait réunir neuf États ; nous sommes onze, et les Pays-Bas et le Luxembourg n'excluent pas de se rallier, mais en posant des conditions très strictes : exonération des fonds de pension, affectation du produit de la taxe aux États, prise en compte de la fiscalité touchant le secteur financier. Ce n'est pas rien !

Si le Conseil se prononce en faveur de cette coopération renforcée, la Commission devra présenter un nouveau texte, simple adaptation je l'ai dit du texte de 2011. Hélas, l'intransigeance annoncée du commissaire européen Semeta risque de décourager les candidats à cette coopération renforcée. Les Britanniques cherchent à bloquer le processus en alléguant qu'on ne connaît pas les contours du projet.

Quatre points seront en débat : l'assiette de la taxe, son champ territorial d'application, son taux et enfin le partage de son produit - budgets nationaux, budget européen, aide au développement ? L'unanimité des onze États est requise. La procédure est donc longue et incertaine. La TTF française créée en 2012 pourra certainement servir de modèle car il s'agit d'un compromis réaliste.

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