Intervention de Jean Bizet

Commission des affaires européennes — Réunion du 30 juin 2016 à 8h35
Institutions européennes — Déplacement en pologne : rapport d'information de mm. jean bizet pascal allizard et françois marc

Photo de Jean BizetJean Bizet, président :

Une délégation de notre commission s'est rendue à Varsovie les 16 et 17 juin derniers, répondant à l'invitation du Sénat polonais qui nous a réservé un accueil très chaleureux. Elle était composée de nos collègues Pascal Allizard et François Marc, ainsi que de moi-même. Ces deux journées ont été très riches : outre notre ambassadeur, nous avons rencontré le président du Sénat polonais, le secrétaire d'État aux affaires européennes et une quinzaine de sénateurs de la majorité et de l'opposition, en particulier à l'occasion des quatre sessions de travail conjointes organisées avec la commission des affaires étrangères et européennes du Sénat polonais. Nous avons aussi apprécié d'échanger avec le président de la commission des droits de l'Homme du Sénat.

Notre mission avait deux objectifs : mieux comprendre où en est la Pologne, pays au sujet duquel des questions se posent depuis quelques mois, et qui a fait l'objet d'un avis de la Commission européenne sur l'État de droit le 1er juin dernier ; engager le dialogue sur plusieurs dossiers européens avec ce partenaire qui pèse de plus en plus à Bruxelles et à Strasbourg.

Les élections présidentielles, législatives et sénatoriales de 2015 ont provoqué le retour au pouvoir du parti « Droit et Justice » (PIS) des jumeaux Kaczynski dont Jaroslaw, officiellement simple député, est encore aujourd'hui le dirigeant incontesté. Cette alternance a constitué un choc après huit années de gouvernement de la Plateforme civique, parti classique de centre droit pro-européen, et parti de Donald Tusk, l'actuel président du Conseil européen. Après quelques mois, la nouvelle majorité, élue sur un programme très conservateur et même patriotique, inquiète, à Bruxelles comme dans les chancelleries. Quels enseignements tirons-nous de nos rencontres ?

D'abord, l'ancrage européen de la Pologne est extrêmement profond. Depuis la chute du Mur de Berlin, cette appartenance participe de l'identité même du pays. Environ 80 % des Polonais sont attachés à l'Europe : c'est le meilleur pourcentage de l'Union ! Les responsables que nous avons rencontrés ne nous ont d'ailleurs pas caché leur grande inquiétude face à un Brexit qui pourrait entraîner un démembrement de l'Union.

Toutefois, les nouvelles autorités polonaises ont une vision de l'Europe très différente de la nôtre, au moins sur un point essentiel. Elles considèrent que l'intégration politique est allée trop loin, qu'il faudrait, disent-elles, « faire un demi-pas en arrière ». Invoquant en permanence le respect de la souveraineté nationale, elles souhaitent en fait que rien ne puisse être imposé à un État. Quand on connaît l'Histoire de la Pologne et qu'on sait comment son indépendance, tardive, lui a été rapidement confisquée par le Troisième Reich puis par l'URSS, on peut comprendre l'importance pour ce pays de l'idée de souveraineté nationale.

Nous leur avons bien sûr fait valoir que le partage de la souveraineté était nécessaire sur certains sujets, comme celui des gardes-frontières et des garde-côtes européens. Si tous les États refusaient de se plier à des disciplines qui peuvent leur peser ou leur coûter individuellement, l'Europe n'irait pas bien loin ! C'est un discours que les Polonais, premiers bénéficiaires des fonds européens doivent pouvoir entendre. En tous cas, c'est celui que nous leur avons tenu amicalement.

L'État de droit est la première question que nous avons abordée avec chacun de nos interlocuteurs. C'était une première façon d'envoyer un message. L'affaire du Tribunal constitutionnel a été la plus évoquée, notamment avec le président du Sénat. C'est la pierre angulaire : sans Tribunal constitutionnel en état de fonctionner, la future loi sur les médias tant redoutée ne fera l'objet d'aucun contrôle en termes de respect des droits fondamentaux. Cette affaire du Tribunal est avant tout politique. D'un côté, le PIS se rappelle de ses années au pouvoir entre 2005 et 2007 et veut un Tribunal qui lui permette de mener sa politique. De l'autre, la précédente majorité a nommé des juges par anticipation en 2015 au moment où elle voyait qu'elle allait perdre les élections. Le président du Sénat a évoqué une solution qui pourrait apaiser la crise. Affaire à suivre...

Nous avons organisé au Sénat polonais quatre sessions de travail thématiques : sur les migrants, le Partenariat oriental, l'Union de l'énergie et le numérique. Sur le défi migratoire, la Pologne ne remet pas en cause officiellement les décisions de septembre dernier, mais c'est tout comme. Le principe des relocalisations est très mal accepté. On nous a expliqué que la Pologne avait déjà fait un effort en accueillant des Ukrainiens, dont le nombre estimé est passé au fil de nos entretiens de deux millions à un million, puis à 800 000... En fait, ces migrations ne sont pas nouvelles, et elles apportent au pays une main d'oeuvre bon marché. Sur le partenariat oriental, évidemment, la priorité - et même l'obsession - russe se fait sentir, comme sur quasiment tous les sujets. C'est compréhensible si l'on pense au passé. Mais, avec l'aide du groupe de Visegrád, les Polonais ont le sentiment d'être les grands frères des pays baltes. Ce sont d'ailleurs eux, avec la Suède, qui ont tenu la plume au moment du Partenariat oriental.

En matière d'énergie, il n'y a peut-être pas d'aversion de principe de la Pologne contre le projet North Stream 2. Ce serait d'abord une question de conditions économiques, à négocier surtout avec l'Allemagne, car si le gazoduc ne passe plus sur leur territoire, il n'y aura plus de royalties ! Même s'il n'y a encore rien de concret, le choix du nucléaire semble acté et le partenaire perçu comme naturel est la France. Quels que soient les déboires d'Areva, ils ne veulent pas entendre parler de Rosatom ! Mais pour l'heure, il y a un gros problème financier. Quant au numérique, il s'agit d'un secteur nouveau pour la Pologne mais, le pays s'engage activement dans un rattrapage, pour l'heure concentré sur les infrastructures.

Le thème des travailleurs détachés s'est aussi invité à nos discussions du fait d'une actualité riche : carton jaune des pays de l'Est et mise en cause d'un décret français sur les transporteurs routiers. Nos interlocuteurs estiment que les bas salaires sont un élément de libre concurrence comme un autre mais ils nous écoutent lorsqu'ils découvrent que chez nous, le salaire du pays d'accueil ne règle pas tout car les cotisations sociales sont quasiment aussi importantes et que l'Europe ne les harmonise pas. Ils sont très déterminés à jouer la carte de leur avantage concurrentiel.

Au final, le grand intérêt de ces discussions est d'avoir été toujours directes, franches et amicales. Nous étions invités, et avons été très bien reçus. Nos interlocuteurs avaient-ils anticipé le Brexit ? En tous cas, ils veulent un dialogue avec un autre pays que l'Allemagne, et être considérés comme un grand pays. Le dialogue avec la Pologne est incontournable sur l'avenir de l'Europe, d'autant qu'au-delà de son poids propre, le pays fait figure de référence et pour partie, de chef de file pour l'Europe centrale et orientale. Dans l'Union européenne à l'heure du Brexit, elle est susceptible de jouer véritablement le rôle d'un Grand. Il faut faire en sorte que ce soit dans un sens constructif.

Les Polonais sont déterminés à poursuivre le dialogue. Nous leur rendrons leur invitation. Ils ont conscience que leur poids économique se développe, et le dialogue avec l'Allemagne ne leur suffit pas. Habilement, ils se positionnent comme porte-parole de la République tchèque, de la Slovaquie et de la Hongrie, ainsi que des pays baltes.

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