Intervention de Jean-François Humbert

Commission des affaires européennes — Réunion du 8 juillet 2014 à 15h00
Économie finances et fiscalité — Situation de l'irlande : rapport d'information de m. jean-françois humbert

Photo de Jean-François HumbertJean-François Humbert :

Trois ans après son lancement, l'Irlande est sortie le 15 décembre 2013 du programme d'assistance financière négocié avec l'Union européenne et le Fonds monétaire international. Le prêt échelonné de 67,5 milliards d'euros a permis au pays de faire face aux échéances de remboursement de sa dette publique, sa position sur les marchés financiers s'étant sévèrement dégradée après l'explosion de la bulle immobilière et la crise bancaire qui a suivi. Au prix d'une cure d'austérité sans précédent - on parle en effet d'un ajustement budgétaire équivalant à près d'un cinquième de la richesse nationale depuis 2008 - le pays retrouve aujourd'hui une crédibilité pour pouvoir refinancer sa dette à des taux plus faibles que ceux des États-Unis ou du Royaume-Uni. Le taux d'intérêt des obligations est ainsi de 2,3 % à 10 ans, là où Londres emprunte à 2,7 % et Paris à 1,6 %.

La confiance des marchés à l'égard de l'Irlande se justifie notamment par le respect de la trajectoire budgétaire négociée par Dublin avec l'Eurogroupe. Établi à 8,2 % du PIB en 2012, le déficit public atteindra 4,8 % du PIB à la fin de l'exercice 2014 et devrait passer en dessous de la barre des 3 % en 2015. La dette demeure, quant à elle, à un niveau élevé : 124,4 % du PIB en 2013. Elle pourrait être ramenée à 120,8 % du PIB à la fin de l'exercice 2014. L'objectif est qu'elle atteigne 90 % du PIB à l'horizon 2024. Je vous rappelle qu'elle était établie à 25 % du PIB avant la crise bancaire et le début des injections massives d'argent public de l'État destinées à la recapitalisation des établissements financiers.

La relance de l'activité économique semble par ailleurs se confirmer en 2014. Le pays devrait renouer avec la croissance au cours de cette année, 2,1 % sont espérés. L'activité était jusqu'alors tirée par les exportations et les investissements directs étrangers. Ceux-ci sont, comme vous le savez, servis par un taux d'imposition sur les sociétés relativement bas, j'y reviendrai plus tard. Après des années d'atonie, la consommation semble enfin repartie. Elle est notamment servie par la reprise de la création d'emplois : 61 000 l'an dernier. Chiffre qui est à comparer aux 60 000 voitures neuves achetées également en 2013 et qui témoignent d'une vraie reprise de la consommation. Le nombre de demandeurs d'emplois décroît continuellement depuis 23 mois. Le taux de chômage dépassait 15 % de la population active il y a deux ans. Il atteint aujourd'hui 11,7 % de la population active. Les analystes tablent sur 10,5 % en 2015.

Il n'en demeure pas moins que cette sortie de programme n'équivaut pas totalement à une sortie de crise, même si le pays semble afficher un certain optimisme et vouloir renouer avec son passé de « Tigre celtique ». Je relève en effet deux défis.

Le premier concerne le chômage des jeunes qui frappe 30 % des moins de 30 ans. Dans ce contexte, il n'est pas étonnant que 70 % des 87 000 émigrants annuels aient entre 20 et 30 ans et que 62 % d'entre eux soient diplômés de l'enseignement supérieur. Les destinations privilégiées restent les pays anglophones : Australie, Canada et dans une moindre mesure États-Unis. Il y a là un risque indéniable de fuite des cerveaux. Même si ces chiffres doivent être compensés par ceux de l'immigration, toujours importante, en raison, notamment, de la présence sur le territoire des grands groupes américains.

Le second défi vise le financement de l'économie réelle, qui reste affecté par les difficultés rencontrées par les banques pour apurer les créances toxiques qui grèvent leurs bilans. Le nombre de prêts en arriérés de plus de 80 jours continue quant à lui de croître et représente environ 100 000 crédits sur les 760 000 octroyés par les banques. L'endettement des ménages représente 108 % du PIB, 87 % de leurs dettes consistant en des prêts hypothécaires. Compte tenu de la chute des prêts de l'immobilier, plus de la moitié de ces crédits sont en situation de « negative equity », c'est-à-dire que la valeur du bien ne couvre plus les montants dus aux créanciers.

Les établissements financiers doivent, quant à eux, encore intégrer un changement complet de paradigme économique en matière de gestion des prêts. Les crédits, qui étaient jusque-là octroyés en fonction de la valeur des biens, sont aujourd'hui accordés en fonction de la capacité de remboursement des emprunteurs. Les banques doivent mettre en place, dans le même temps, des procédures de recouvrement dont elles ne disposaient pas, aucune commission de surendettement au niveau national n'a par ailleurs été créée. Les banques se sont vues parallèlement assigner par la Banque centrale irlandaise des objectifs en matière de rééchelonnement des dettes visant les ménages et les entreprises. À la fin 2014, 85 % des particuliers en difficulté devront ainsi se voir proposer une solution et 45 % d'entre eux devront avoir signé un accord avec leur banque.

Dans ce contexte, la population irlandaise, pragmatique jusqu'alors, commence à manifester une forme de lassitude à l'égard des efforts continus qui lui sont demandés depuis 2008 pour juguler une crise dont l'origine reste bancaire. Les élections européennes l'ont d'ailleurs montré avec une poussée du Sinn Fein et un affaiblissement du Labour, membre de la coalition gouvernementale. Il est à noter que, jusqu'alors, cette politique n'a pas suscité de manifestations d'ampleur au sein d'une population relativement syndiquée : 38 % des Irlandais sont adhérents d'une organisation professionnelle. Il convient, en outre, de relever que le sentiment européen ne s'est pas non plus détérioré pendant cette période comme en témoigne la ratification par référendum du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, le 31 mai 2012, avec 60,29 % de votes favorables. L'Irlande était le seul pays à organiser une telle consultation.

À l'aune de ces éléments, il n'est pas étonnant de constater que le gouvernement souhaite revoir à la baisse l'ajustement budgétaire de 2 milliards d'euros prévu pour 2015. Il argue de recettes fiscales en augmentation pour limiter de nouvelles mesures d'austérité

La Commission européenne est très réservée sur cette probable révision. Elle craint un risque de détérioration de la confiance des marchés à l'égard de l'Irlande. Elle insiste également sur le caractère ouvert de l'économie locale. Celle-ci est, dans ces conditions, très sensible aux ralentissements de la conjoncture internationale et notamment à l'évolution des marchés américain et britannique. Les autorités irlandaises surveillent d'ailleurs avec inquiétude la question d'une éventuelle sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne.

Un dernier mot sur le marronnier que constitue l'impôt sur les sociétés. J'ai déjà indiqué par le passé que son faible taux, 12,5 %, était la clé pour permettre au pays de se développer. Il est cependant indispensable qu'il soit effectivement acquitté. Une enquête de la Commission européenne tend en effet à prouver que l'impôt demandé en Irlande à Apple et Google est proche de zéro, ces entreprises bénéficiant d'un certain nombre de failles dans la législation locale. Le gouvernement a décidé en conséquence de modifier les règles d'exemption. Il s'associe également aux travaux menés actuellement par l'OCDE sur la question de l'optimisation fiscale et qui devraient déboucher sur la présentation d'un rapport à l'occasion du sommet du G20 organisé à Cairns en septembre prochain.

Pour conclure, je vous rappelle que mon rapport fait également un point rapide sur la situation des quatre pays qui ont bénéficié ou qui sont encore sous aide européenne : l'Espagne, le Portugal, la Grèce et Chypre. Les États placés sous programme ont réalisé de substantielles économies en se finançant directement auprès du Fonds européen de stabilité financière puis du Mécanisme européen de stabilité. La Grèce a ainsi économisé 8,6 milliards d'euros en 2013 en ne passant pas par les marchés, Chypre, 3,4 milliards d'euros, le Portugal, 1,7 milliard d'euros, l'Irlande, 1,1 milliard d'euros et l'Espagne, 0,6 milliard d'euros. La situation macro-économique y demeure néanmoins toujours délicate.

C'est le dernier rapport que je présentais devant notre commission dont j'ai apprécié la qualité des travaux. Je tiens à remercier notre président pour la confiance qu'il m'a accordée.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion