Intervention de Jean Bizet

Commission des affaires européennes — Réunion du 24 mars 2016 à 9h00
Énergie — Sécurité de l'approvisionnement en gaz naturel et accords avec des pays tiers dans le domaine de l'énergie - proposition de résolution européenne de mm. jean bizet et michel delebarre

Photo de Jean BizetJean Bizet, président :

C'est à bon droit que le groupe de travail « subsidiarité » a souhaité attirer l'attention de la Commission sur cette première proposition. En effet, à ce stade, des questions se posent, principalement sur les innovations proposées concernant la coopération régionale, les compétences nouvelles de la Commission et les obligations imposées aux États membres.

La première interrogation peut porter sur la définition par le haut des régions envisagées. Cette définition s'appuie certes sur six critères, mais le dernier d'entre eux, la prise en compte des « structures de coopérations régionales existantes », n'est pas appliqué dans le cas particulier de la France. Notre pays est ainsi déjà partie prenante à un mécanisme d'échanges volontaires de documents pour l'évaluation conjointe des risques avec l'Allemagne et les trois pays du Benelux, dans le cadre de Gas platform. Pourtant le périmètre proposé en annexe de la proposition crée une région « Europe occidentale Nord-Sud » qui réunit la France et le Benelux.... avec l'Espagne et le Portugal. En d'autres termes, s'il convient bien sûr de privilégier les échanges et les discussions entre pays voisins, le volontariat doit l'emporter sur la contrainte.

En second lieu, le nouveau règlement prévoit la mise en place obligatoire de plans régionaux, plans d'actions préventifs et plans d'urgence, qui se substitueront aux actuels plans nationaux issus de la précédente réglementation. Cette disparition des plans nationaux au profit d'une seule planification régionale n'est pas forcément pertinente. Certains accidents d'approvisionnement peuvent n'avoir qu'un caractère national et ne justifient pas le déclenchement d'un mécanisme régional. L'approche locale permise par les plans nationaux d'urgence est un atout de réactivité et de proximité.

Il est également important de laisser aux États membres une latitude d'appréciation quant à la définition et la mise en oeuvre de leurs normes d'approvisionnement en fonction des caractéristiques de leurs systèmes gaziers respectifs. L'organisation de la sécurité d'approvisionnement - et donc le choix de s'inscrire dans un cadre régional - doit rester du ressort de chaque État membre. S'il convient d'encourager les mesures régionales, il peut être contreproductif de les imposer.

De même la proposition pourrait aussi contraindre les États membres, dont les normes de sécurité d'approvisionnement sont plus élevées que le minimum requis - c'est le cas de la France - à dégrader leurs normes, pour ne pas réduire, estime la Commission, la fluidité des marchés gaziers. C'est négliger que ces normes renforcées sont à même, en cas de crise, d'augmenter les marges de manoeuvre au bénéfice de l'Union européenne dans son ensemble.

Il y a donc là une série de dispositions qui ne nous semblent pas en conformité avec ce que la Commission est raisonnablement en situation de prescrire aux États membres dans ce qui demeure un domaine de compétence partagée.

Pour autant, nous nous trouvons au coeur d'une ambiguïté sur laquelle je souhaite attirer votre attention. Le traité de Lisbonne a introduit une nouvelle base juridique qui habilite l'Union européenne dans le domaine de l'énergie sur trois points : assurer le bon fonctionnement du marché de l'énergie ; assurer la sécurité de l'approvisionnement énergétique ; promouvoir l'efficacité énergétique et l'interconnexion des réseaux.

La Commission est donc dans son rôle lorsqu'elle suit les orientations que lui ont données en la matière les Conseils européens de 2013 et 2014 et qui ont conduit le président Juncker à faire de l'Union de l'énergie une des priorités politiques de la Commission qu'il préside.

Nous sommes nombreux, dans cette commission et plus largement au sein du Parlement, à plaider pour une politique qui vise à atteindre les objectifs de l'Union de l'énergie : la sécurité et la solidarité énergétique ; le marché intérieur ; la maîtrise de la consommation d'énergie ; la décarbonation et la promotion de la recherche et de l'innovation.

C'est pourquoi et par-delà les points que j'ai soulevés tout à l'heure, il nous est apparu, à M. Delebarre et à moi-même, plus pertinent de ne pas partir d'emblée sur la base d'un avis motivé dont la portée, fût-elle juridiquement plaidable, serait un signal politique négatif au regard de l'objectif lui-même de l'Union de l'énergie dont le principe fait consensus. Tout en soulignant que les modalités trop prescriptives que propose actuellement la Commission, en particulier s'agissant de la coopération régionale ou des normes d'approvisionnement, devront impérativement être revues.

Il nous semble donc nécessaire de se donner, dans le cadre de cette commission, le temps d'approfondir un dossier essentiel. Nous vous présenterons donc bientôt un rapport argumenté qui débouchera sur une proposition de résolution européenne et un avis politique circonstancié. J'ajoute, car l'information nous a été communiquée de Bruxelles hier, que des États membres, dont la France, qui éprouvent sur le projet les mêmes réserves que celles que je viens d'exposer, disposent désormais en Conseil de la minorité de blocage nécessaire pour obliger la Commission à revoir son texte, soit au moins quatre États membres représentant plus de 35% de la population de l'Union européenne.

Le second texte, une proposition de décision du Parlement européen et du Conseil, crée un nouveau mécanisme d'échange d'informations en ce qui concerne les accords intergouvernementaux et les instruments non contraignants conclus entre des États membres et des pays tiers dans le domaine de l'énergie.

La Commission, à la lumière de l'expérience, estime en effet que certains accords intergouvernementaux dans le domaine de l'énergie, conclus entre un État membre d'une part et un ou des pays tiers d'autre part, s'avèrent incompatibles avec les dispositions de l'Union européenne en matière de sécurité énergétique : c'est le cas, par exemple, d'un accord qui prévoirait une clause de destination de l'énergie fournie. En toile de fond historique figure aussi le projet de conduit gazier Southstream, initié en 2007 par Gazprom et l'italien ENI pour acheminer vers l'Europe du gaz de Sibérie en évitant l'Ukraine. Pour la mise en place de cet accord, la Bulgarie avait conclu avec la Russie un accord, dénoncé ensuite par la Commission comme non-conforme aux normes européennes, comme d'ailleurs les cinq autres accords bilatéraux conclus pour le même projet entre la Russie d'une part et la Hongrie, la Grèce, la Croatie, la Slovénie et l'Autriche d'autre part.

L'actuel mécanisme d'échange d'informations de 2012 consiste donc, à soumettre ces accords intergouvernementaux à la Commission mais après leur conclusion. La Commission alors a beau constater l'incompatibilité de telle ou telle disposition des accords en question avec la norme européenne, leur remise en cause est pratiquement impossible.

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