Intervention de Didier Marie

Commission des affaires européennes — Réunion du 2 juin 2016 à 8h40
Elargissement — Négociations en vue de la réunification de la république de chypre : rapport d'information proposition de résolution européenne et avis politique de m. didier marie

Photo de Didier MarieDidier Marie :

Nous bénéficions d'une conjoncture exceptionnelle : de part et d'autre, deux dirigeants qui souhaitent la réunification et négocient en tête-à-tête. Un processus a été mis en place pour traiter les questions les unes après les autres. Les dirigeants se rencontrent deux fois par mois, leurs équipes techniques plusieurs fois par semaine. C'est désormais une affaire interne, alors qu'auparavant les solutions étaient imposées de l'extérieur - c'est notamment le cas du plan Annan. Bien qu'impliquée, l'Union européenne veille par conséquent à maintenir une certaine distance.

Les récentes élections pourraient atténuer l'optimisme régnant, puisque le Président de Chypre est désormais soutenu par une coalition au sein de laquelle les partisans de la réunification ne sont plus majoritaires. Au Nord, un parti a quitté la coalition dirigée par le centre-gauche, entraînant la formation d'une nouvelle coalition plus pro-turque. C'est pourquoi l'ONU, la Commission européenne et les autres partenaires souhaitent réaffirmer leur intérêt pour ces négociations qui représentent une dernière chance : en cas d'échec à l'horizon 2018, les autorités turques ont déjà fait savoir qu'elles privilégieraient une solution à deux États, option qui pourrait avoir les faveurs de certaines forces politiques au Sud.

L'Union européenne ne peut accepter qu'un État membre soit occupé par une puissance étrangère. Elle reconnaît l'ensemble de l'île ; l'acquis communautaire est suspendu au Nord, mais celui-ci fait bien partie de l'Union européenne. Un délégué spécial pour les questions chypriotes est attaché au président de la Commission européenne. Nous avons une mission permanente installée au Nord, et l'Union consacre un budget annuel de 30 millions d'euros à la préparation de l'intégration du Nord, notamment en formant l'administration chypriote turque.

La France a des liens historiques avec Chypre. Au moment de la partition, la République de Chypre a été abandonnée par tous ses parrains à l'exception de la France, qui l'a aidée à se réarmer face à la menace turque. Les Chypriotes grecs nous en sont d'autant plus reconnaissants que, membre permanent du Conseil de sécurité, la France y défend leurs intérêts. Nous avons par conséquent intérêt à promouvoir la stabilité à Chypre.

En 1974, on comptait un Chypriote turc pour quatre Chypriotes grecs. Or la population du Nord, qui est aujourd'hui de 150 000 personnes, est en décroissance démographique et les autorités souhaitent naturaliser 70 000 colons turcs implantés depuis longtemps sur l'île pour maintenir ce ratio. Les Turcs voudraient davantage. Si l'accord est signé, que deviendront les Turcs non naturalisés ?

Cette proposition de résolution peut paraître trop modérée, mais le sujet est sensible. La Turquie s'est déclarée favorable à un accord mais à certaines conditions. C'est une négociation sur plusieurs plans qui s'engage, avec la question des réfugiés, celle des visas pour les citoyens turcs et accords économiques et, à terme, l'adhésion à l'Union européenne. La Turquie peut en effet utiliser le dossier chypriote pour faire pression sur l'Europe, mais c'est plutôt une monnaie d'échange car Chypre n'est pas, en Turquie, un sujet majeur de politique intérieure. De plus, l'Union européenne pose comme préalable à toute discussion la reconnaissance de Chypre par la Turquie. Huit chapitres de négociation ont été suspendus par l'Union européenne, six par Chypre ; ils n'ont pas été rouverts. Les autorités européennes n'ont jamais donné le moindre signe de souplesse à cet égard.

Enfin, au point de vue stratégique, la Turquie a besoin de rompre son isolement. Elle ne peut développer ses relations commerciales et jouer un rôle significatif qu'en dialoguant avec les pays riverains, l'Union européenne et les États-Unis. La position de la Turquie sur un éventuel règlement de la question chypriote appelle donc un optimisme raisonné même si, naturellement, elle s'inscrira dans une relation donnant-donnant.

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