Intervention de Dominique Bailly

Commission des affaires européennes — Réunion du 9 juillet 2013 : 1ère réunion
Travail — L'union européenne et l'emploi des jeunes -rapport d'information et avis politique de m. dominique bailly

Photo de Dominique BaillyDominique Bailly :

Établi à 23,5 % au sein de l'Union européenne, le taux de chômage des jeunes est deux fois supérieur au taux de chômage global. Il est supérieur à 25 % au sein de 11 États membres, dont la France, dépassant 50% en Croatie, en Espagne et en Grèce. La crise économique que traverse le continent est, certes, la première cause de cette situation. Au regard de leur position d'entrants sur le marché du travail, l'emploi des jeunes est très sensible à la conjoncture économique.

Le coût du traitement du chômage des jeunes est estimé à 153 milliards d'euros par an au sein de l'Union européenne, soit 1,2 % de son produit intérieur brut (PIB). 5,627 millions d'Européens de moins de 25 ans sont présents sur le marché du travail sans trouver d'emploi. 30,1 % d'entre eux sont sans emploi depuis plus de 12 mois. Le taux de chômage de longue durée est ainsi particulièrement élevé chez les jeunes. En intégrant les jeunes qui ne sont pas inscrits auprès des régimes d'assurance chômage, le nombre des jeunes sans emploi ou sans formation, les NEETs (ni étudiant, ni employé, ni stagiaire), de moins de 25 ans s'élève à 7,5 millions sur le territoire de l'Union européenne. Cette situation contraste d'ailleurs avec les 2 millions postes de travail vacants au sein de l'Union européenne.

En présentant en décembre 2012 une série de mesures concernant l'emploi des jeunes, la Commission européenne a contribué à faire de cette problématique une des priorités d'action de l'Union européenne pour les années à venir. Le souhait du Conseil européen de créer un fonds spécifique pour financer la mise en place d'un mécanisme de garantie pour la jeunesse au sein des États membres est venu confirmer cette tendance. Il s'agit d'éviter que la jeunesse européenne devienne une « génération perdue ».

Cette nouvelle ambition sociale répond également aux objectifs de la stratégie Europe 2020 d'améliorer la formation des jeunes européens. L'Union européenne entend de la sorte contribuer au retour de la croissance économique. Ce faisant, elle donne une autre tonalité à son action, trop facilement résumée ces dernières années à la lutte contre les déficits publics et l'endettement.

Il convient de saluer les contours d'un plan assez large visant tout à la fois la réinsertion de jeunes en rupture avec le système éducatif et le monde du travail, mais aussi le contenu même des formations en insistant, notamment, sur le niveau des stages ou le développement de l'apprentissage.

Abordons en premier lieu la mesure-phare de ce dispositif qu'est la garantie pour la jeunesse. La Commission invite chaque État membre à présenter, dès 2014, une offre de qualité à tous les jeunes sans emploi ou sans formation de moins de 25 ans. Les États sont incités à créer rapidement une structure dédiée, chargée de coordonner tous les organismes intervenant dans ce domaine. Le texte n'a pour autant pas vocation à imposer un type de mécanisme mais bien de faciliter la mise en oeuvre de dispositifs adaptés aux circonstances nationales, régionales ou locales.

La Commission s'appuie sur les dispositifs mis en oeuvre en Autriche, en Finlande ou en Suède, avec un certain succès en Autriche puisque moins de 8 % des jeunes entre 15 et 24 ans sont au chômage. L'Allemagne, le Danemark, les Pays-Bas, la Pologne ou le Royaume-Uni ont également mis en oeuvre des programmes permettant aux jeunes en situation d'échec scolaire ou au chômage de bénéficier d'une formation, d'intégrer une école d'apprentissage ou d'une offre d'emploi dans un laps de temps déterminé. La France lancera également, à titre expérimental, une garantie jeunes à l'automne prochain dans 10 départements. Elle se composera à la fois d'une garantie d'une première expérience professionnelle et d'une garantie de ressources. Elle ciblera les jeunes NEETs de 18 à 25 ans dont les ressources ne dépassent pas le plafond du RSA, soit 483 euros par personne seule.

Afin de financer ce dispositif, le Conseil européen des 7 et 8 février derniers a acté la création d'un fonds spécifique : l'Initiative pour l'emploi des jeunes (IEJ), doté de 6 milliards d'euros pour la période 2014-2020, dont la moitié provient du Fonds social européen, le FSE. La dotation globale de l'IEJ a été portée à 8 milliards d'euros lors du Conseil européen des 27 et 28 juin derniers. Seule la contribution versée au titre du FSE doit être complétée financièrement par les États membres. Ces crédits sont destinés aux régions dont le taux de chômage des jeunes dépasse 25 %. L'Espagne, l'Italie et la France devraient être les principaux bénéficiaires du dispositif : elles devraient ainsi disposer de crédits s'élevant respectivement à 1,7 milliards d'euros, 1 milliard et 570 millions d'euros.

À côté de la garantie pour la jeunesse, la Commission a également présenté deux initiatives concernant les stages et l'apprentissage.

Le document de consultation des partenaires sociaux européens sur un cadre de qualité pour les stages insiste ainsi sur la nécessité de mieux définir les conventions de stage et de limiter la durée des stages à 6 mois. Ceux-ci seraient non-renouvelables immédiatement. La rémunération devrait, dans le même temps, être clairement établie.

La Commission a en outre jeté les bases d'une Alliance européenne pour l'apprentissage. L'objectif est d'améliorer l'offre et la qualité des apprentissages disponibles. L'Alliance a été lancée le 2 juillet dernier à Leipzig. Elle réunit représentants des pouvoirs publics, des entreprises, des partenaires sociaux et des jeunes et se résume pour l'instant à un forum d'échanges de bonnes pratiques.

Au-delà du paquet « emploi des jeunes » proprement dit, la Commission a mis, ces derniers temps, l'accent sur la mobilité des jeunes. La décision de la Commission du 26 novembre 2012 a permis la transformation du réseau européen de l'emploi (EURES) en un réseau européen de placement axé sur les résultats. Afin de compléter ce dispositif, la Commission a présenté le 17 juin 2013 un projet de décision mettant en place un réseau européen des services publics de l'emploi à compter du 1er janvier 2014. La Commission entend également s'appuyer sur le nouveau programme « Erasmus + » pour accroitre la mobilité des jeunes en alternance et répondre à l'objectif fixé par le Conseil en novembre 2011. Le Conseil a d'ailleurs rappelé les 27 et 28 juin 2013 que le programme « Erasmus + », doté de 14,5 milliards d'euros, devait être pleinement opérationnel au 1er janvier 2014.

Il n'en reste pas moins un certain nombre de questions en suspens, auxquelles le Conseil européen des 27 et 28 juin 2013 n'a que partiellement répondu. Il en est ainsi du financement ou du calendrier retenu pour la mise en place du mécanisme de garantie pour la jeunesse. Celui-ci ne saurait, par ailleurs, être envisagé comme la seule réponse à la montée du chômage chez les 15-24 ans. Le terme de « garantie » n'est, en effet, pas sans risque, en laissant croire que 7,5 millions de NEETs pourraient, à court terme, disposer d'une proposition d'emploi ou de stage de qualité. De telles propositions dépendent, on le sait, dans une large mesure de la conjoncture économique, nettement défavorable à l'heure actuelle. Il est indispensable, par ailleurs, que le programme soit le plus lisible possible pour les entreprises.

Par ailleurs, les dispositifs de garantie pour la jeunesse mis en place en Europe du Nord, Finlande ou Suède, souvent cités en exemple, ne constituent pas pour autant un gage de réussite pour endiguer le chômage des jeunes. Celui-ci atteint dans ces deux pays près d'un quart de la population concernée. L'efficacité du mécanisme de garantie doit plutôt être analysée à l'aune de l'exemple autrichien, où le taux de chômage des jeunes est inférieur à 8 %.

Reste que la Garantie jeunes n'intervient en Autriche qu'en dernier ressort, si la formation, l'alternance ou l'apprentissage n'ont pas débouché sur un emploi. Le point fort de la lutte contre le chômage des jeunes tient dans ce pays comme en Allemagne d'ailleurs à l'efficacité du système d'apprentissage ou de formation en alternance. C'est à ce titre qu'il convient de renforcer l'Alliance européenne pour l'apprentissage lancée le 2 juillet pour permettre des échanges de bonnes pratiques. Il faudrait qu'elle débouche également sur l'élaboration de cursus communs de formation en alternance pour différentes professions et faciliter la reconnaissance de l'apprentissage suivi à l'étranger. Il est de fait nécessaire de converger vers un véritable statut européen de l'apprenti.

Dans le même temps, il est indispensable de stabiliser à un niveau élevé - au moins 40 % - la part de l'apprentissage dans les rubriques enseignement supérieur et enseignement et formation professionnels du programme « Erasmus + ». Il serait également utile de mettre en place un véritable guichet européen pour l'alternance destiné à soutenir les initiatives nationales en la matière. Le renforcement de la qualité des stages va également dans ce sens.

En ce qui concerne le Fonds communautaire, l'Initiative pour l'emploi des jeunes, il convient d'éviter tout effet de saupoudrage. 8 milliards d'euros sur 7 ans revient à consacrer 153 € par an à chacun des 7 millions et demi de NEETs européens. Ramené aux seules régions où le chômage des jeunes dépasse 25 %, ce montant atteint 2 300 € sur l'ensemble de la période. On est loin des 16 000 euros consacrés à chaque jeune chômeur en Autriche. Le Conseil européen des 27 et 28 juin a insisté sur la nécessité de mieux utiliser les crédits du FSE pour compléter ce financement. Afin de renforcer la visibilité de l'action de l'Union européenne en matière de lutte contre le chômage des jeunes, il pourrait être opportun de prévoir une enveloppe fixe au sein du FSE.

La deuxième réserve tient au risque d'effet de seuil induit par le choix d'un taux de chômage des jeunes régional à 25 % pour permettre une intervention de l'IEJ. En France, 8 régions et 4 départements d'outre-mer seront éligibles. La région Ile-de-France ou Rhône-Alpes seront par contre écartées. Si une dérogation existe, elle est limitée à 10 % des crédits attribués à un pays, ce qui laisse peu de marges de manoeuvre.

Je salue néanmoins le fait qu'à l'initiative de la France, un peu plus de 5 milliards d'euros seront décaissés dès 2014 et 2015 afin de créer un véritable effet levier. Les États membres devront envoyer à ce titre leurs projets en octobre prochain. Ce délai reste relativement court : il s'agit en effet de déterminer un public pour partie introuvable puisque non inscrit aux différents guichets d'aide sociale. La priorité de tout financement doit d'ailleurs s'orienter en faveur de la détection des NEETs et de leur réinsertion dans le système. J'ai pu constater, dans ma commune, les difficultés à trouver des jeunes suffisamment insérés socialement pour leur faire signer un contrat d'avenir.

Avant de conclure mon propos, je souhaitais revenir un instant sur les initiatives bilatérales. Celle mise en oeuvre fin mai entre la France et l'Allemagne, qualifiée de New Deal, a eu le mérite de déboucher sur une réflexion à 28 sur la question du chômage des jeunes et d'enrichir ainsi les travaux du Conseil européen des 27 et 28 juin. La participation de la Banque européenne d'investissement au programme de lutte contre le chômage des jeunes a ainsi été intégrée dans ses conclusions, même si, je vous l'accorde, des interrogations subsistent sur l'utilisation de cet instrument déjà très sollicité. D'ailleurs, afin de compléter ce soutien de la Banque européenne d'investissement aux petites et moyennes entreprises, il conviendrait d'encourager la formation au niveau européen de pépinières d'entreprises favorisant celles qui recrutent justement des jeunes.

Je suis plus sceptique sur l'accord de coopération signé entre Berlin et Madrid le 21 mai dernier et dont l'objectif principal est de permettre à 5 000 jeunes Espagnols d'accéder à un emploi chaque année, au travers de la formation professionnelle en alternance allemande ou de l'accès à un poste de travail qualifié en Allemagne. Si cette initiative peut paraître louable, je m'interroge sur cette prime accordée à la mobilité. Il existe, en effet, un risque réel de favoriser un départ des travailleurs plus qualifiés et donc d'affaiblir certains États.

Compte tenu de toutes ces observations, je vous propose d'adopter l'avis politique qui vous a été distribué et qui reprend les pistes de travail que je viens d'évoquer pour lutter efficacement contre le chômage des jeunes au niveau européen.

Le Conseil européen des 27 et 28 juin 2013 a présenté, à ce titre, un certain nombre de propositions ambitieuses, qu'il s'agisse de la réforme des systèmes d'enseignement et des marchés du travail, de l'amélioration de l'environnement économique des jeunes entreprises ou de l'allègement de la fiscalité sur le travail. Il a néanmoins rappelé que la plupart de ces chantiers étaient de la seule responsabilité des États membres, reconnaissant explicitement les limites de l'Union européenne en la matière.

La mise en place de l'Initiative pour l'emploi des jeunes comme les mesures en faveur de l'apprentissage, des stages et de la garantie pour la jeunesse constituent, me semble-t-il, un indéniable pas en avant et le signe d'une réorientation plus que nécessaire de l'action de l'Union européenne dans sa gestion de la crise économique.

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